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L’évolution du cadre des financements alternatifs «classiques»

L’évolution du cadre des financements alternatifs «classiques»

Si l’actualité récente fait la part belle aux Initial Coin Offerings (ICO), les autres modes de financement n’ont clairement pas dit leur dernier mot et, à ce titre, les régulateurs entendent améliorer encore leur encadrement.

S’agissant de l’entrée en vigueur de certaines dispositions du Règlement Prospectus1, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a confirmé qu’elle avait bien opté pour la possibilité de relèvement à huit millions d’euros dès cet été du seuil à partir duquel l’établissement d’un prospectus est obligatoire lors d’une offre au public de titres financiers. Mais, au-delà de cette réforme, c’est tout le spectre des opérations de financement qui est susceptible d’évoluer en conséquence de nouveaux textes ou d’interprétation récente.

En effet, les opérations de financement par émission de titres financiers s’articulent autour de deux corpus réglementaires : les règles d’information tirées de la réglementation des offres au public et, bien sûr, celles applicables aux services en lien à de telles opérations fixées par la Directive 2014/65/UE (« MIF »).

Pour autant, d’autres modes de conduite d’opérations de financement existent et échappent tant à l’obligation d’établir un prospectus d’offre en vertu du Règlement Prospectus qu’aux obligations tirées de MIF2.

On trouve ainsi de chaque côté du spectre les opérations de haut de bilan impliquant des investisseurs institutionnels pour lesquelles l’AMF a récemment clarifié sa doctrine ou, à l’opposé, des opérations de financement participatif pour lesquelles la Commission européenne a présenté un projet de règlement (le « Projet de Règlement »)2.

1. Le champ enfin précisé du conseil en haut de bilan

S’agissant du conseil en haut de bilan, l’AMF et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sont venues rappeler, dans la Position AMF 2018-03 (la « Position »), les critères de distinction entre cette activité, qui ne fait pas l’objet d’une réglementation propre, et les services régulés participant à la réalisation d’opérations de financement.

On distingue ainsi classiquement, d’un côté, les services d’investissement de placement non garanti et de conseil en investissement financier et, d’un autre côté, le service connexe dit de conseil de haut de bilan.

Le service de conseil en investissement visé au 5 de l’article L.321‐1 du code monétaire et financier (CMF) se définit comme la fourniture de recommandations personnalisées à un client, soit à sa demande, soit à l’initiative de l’entreprise qui fournit le conseil, en ce qui concerne une ou plusieurs transactions portant exclusivement sur des instruments financiers.

Le service de placement non garanti, visé au 7 de l’article L.321‐1 du CMF, se définit comme « le fait de rechercher des souscripteurs ou des acquéreurs pour le compte d’un émetteur ou d’un cédant d’instruments financiers sans lui garantir un montant de souscription ou d’acquisition » (C. mon. fin., art. D. 321-1, 7°). Il se caractérise ainsi par la présence de deux conditions cumulatives :

  • l’existence d’un service rendu à un émetteur ou cédant d’instruments financiers ;
  • la recherche, qu’elle soit directe ou indirecte, de souscripteurs ou d’acquéreurs.

Alors que ces deux activités entrent pleinement dans le champ de MIF2, la réglementation reconnaît également une activité de « conseil aux entreprises en matière de structure de capital, de stratégie industrielle et de questions connexes ainsi que la fourniture de conseil et de services en matière de fusions et de rachat d’entreprises3«  qui elle ne requiert pas d’agrément.

A cet égard, le droit français a longtemps suscité une interrogation quant à la frontière entre (i) les services (a) d’assistance au financement des entreprises susceptibles de constituer des opérations de placement ou, (b) à l’inverse, d’assistance des investisseurs et relevant du conseil en investissement financier et (ii) les prestations d’assistance et de conseil dans la conception et la mise en œuvre de projets entrepreneuriaux de cession, d’acquisition, de levée de fonds et la recherche de financement pour ces opérations.

En effet, alors que les premières sont des modes régulés de financement s’inscrivant dans le champ de la réglementation MIF2, les secondes n’en relèvent pas. En outre, alors qu’une opération de placement inscrit une opération dans le champ d’une offre au public ou d’un placement privé au sens du Règlement Prospectus, le conseil en haut de bilan qui peut également conduire à une opération de financement n’entre pas nécessairement dans le champ du Règlement Prospectus.

Ainsi, avec le renforcement des obligations des prestataires de services d’investissement en application de MIF2, la question de la délimitation du champ du conseil en haut de bilan apparaît essentielle.

La Position présente ainsi l’intérêt de souligner qu’il convient de procéder, ainsi que le recommandait le CESR, à une analyse in concreto des prestations réalisées afin de qualifier le service fourni.

S’agissant de la distinction entre le service de conseil en investissement financier et la prestation de conseil en haut de bilan, les régulateurs estiment qu’il faut examiner l’intention du client : si l’objectif est de nature entrepreneuriale et industrielle (financer son développement, pénétrer de nouveaux marchés, organiser la cession ou l’acquisition d’une branche d’activité), alors le conseil fourni est un conseil en haut de bilan ; en revanche, si l’objectif est de nature patrimoniale (constituer une épargne, rechercher un rendement financier régulier, se couvrir contre un risque), alors le conseil fourni est un conseil en investissement financier. Pour autant, il peut arriver qu’une même opération semble poursuivre les deux objectifs. Dans ce cas, il conviendra de s’appuyer sur les critères suivants pour identifier la prestation : (i) le besoin du client : patrimonial ou entrepreneurial, (ii) la mission de recherche : des investisseurs ou des partenaires commerciaux, (iii) l’existence d’une négociation ou non pour déterminer les conditions de l’investissement et (iv) l’intuitu personae fort entre partenaires dans les opérations de haut de bilan, qui ne se retrouve généralement pas entre acheteur et vendeur d’instruments financiers.

Pareillement, afin de distinguer la fourniture du service de placement non garanti du conseil en haut de bilan, les régulateurs préconisent l’application in concreto de ces mêmes critères. Il faut considérer, notamment, les contreparties recherchées : dans le conseil en haut de bilan, le conseiller recherche des personnes intéressées par le projet entrepreneurial de son client et qui sont prêtes à s’engager à moyen ou long terme (entreprises du secteur ou de capital investissement). Au contraire celui qui fournit le service de placement non garanti recherche des investisseurs intéressés par les instruments financiers proposés avec des perspectives de rendement à plus court terme. La Position met également en avant l’existence d’une négociation multi ou bilatérale pour la fixation des termes de l’opération dans le conseil en haut de bilan et le fort intuitu personae entre les partenaires.

Ainsi, les activités d’assistance au financement dans une perspective de rapprochement de partenaires dans un projet entrepreneurial et impliquant un réel intuitu personae relèvent bien du conseil en haut de bilan.

2. Le futur cadre européen du financement participatif

L’intuitu personae est largement absent du financement participatif. Ce dernier est défini par la Commission européenne comme « une nouvelle forme de financement émergente qui met en relation ceux qui peuvent donner, prêter ou investir de l’argent directement avec ceux qui ont besoin de financement pour un projet spécifique. Il se réfère généralement aux appels publics en ligne pour contribuer au financement de projets spécifiques ».

Si la France connaît déjà un régime spécifique aux opérations de financement participatif depuis l’ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 qui a introduit une dérogation aux règles en matière d’offre au public à l’article L.411-2 du CMF, il n’en demeure pas moins que le régime français est un régime national qui ne bénéficie pas d’une reconnaissance au-delà des frontières de l’hexagone.

L’intérêt du Projet de Règlement réside donc dans la création d’un cadre harmonisé européen pour ce type d’opération.

Tout d’abord, le Projet de Règlement appréhende le financement participatif dans ses deux modalités, à savoir le financement en dettes sous forme de prêt et par l’acquisition de titres financiers, en définissant le service de financement participatif comme le rapprochement des intérêts de porteurs de projets et d’investisseurs au travers d’une plateforme électronique permettant :

  • (i) la facilitation de l’octroi de prêts ; et
  • (ii) la réalisation des services d’investissement de (a) placement non garanti sur les valeurs mobilières émises par les porteurs de projet et (b) de réception transmission d’ordres au bénéfice des investisseurs sur lesdits titres.

Toutefois, le Projet de Règlement précise que les prestataires de financements participatifs ne sont pas des prestataires de services d’investissement (les « PSI« ) auquel le projet n’est d’ailleurs pas applicable. Ainsi, à la différence du droit français où les conditions posées sur une plateforme de financement participatif s’appliquent de la même manière qu’elle soit ou non opérée par un PSI, le régime applicable à ces « nouveaux » acteurs constitue un cadre propre.

Par voie de conséquence, si ces prestataires sont soumis à des obligations relevant tant de MIF2 que des règles de la Directive 2015/849/UE en matière de lutte contre le blanchiment telles que transposées dans leur Etat d’origine, le Projet de Règlement donne à l’ESMA et non, pour la France, à l’AMF, le pouvoir de les agréer. Cela signifie que pourraient coexister des acteurs autorisés par l’AMF en vertu de la loi française et dont le cadre d’intervention serait national et des acteurs pouvant réaliser le même type d’activité mais dans toute l’Union européenne pour autant qu’ils aient été agréés par l’ESMA.

Au-delà des interrogations qu’une telle coexistence d’acteurs peut soulever, le projet a déjà fait l’objet de critiques, en particulier, en ce qu’il fixe à un million d’euros le montant maximum de chaque opération pouvant être réalisée par ces nouveaux acteurs, alors même que le Règlement Prospectus a relevé à huit millions d’euros le seuil à partir duquel les règles en matière d’offre au public sont applicables. Par ailleurs, le Projet de Règlement envisage la possibilité pour ces nouveaux acteurs d’organiser les négociations de titres financiers entre leurs clients en les exonérant des conséquences qui seraient autrement applicables en vertu de MIF2 au seul motif qu’ils se limiteraient à permettre à leurs clients d’interagir sans autre forme d’intermédiation. La frontière avec les acteurs relevant du statut de « lieu de négociation » risque d’être ténue…

Points clés :

  • une opération de financement ne relève pas nécessairement du champ de MIF 2 ou du Règlement Prospectus ;
  • les activités de conseil en haut de bilan sont plutôt réservées aux projets entrepreneuriaux impliquant un fort intuitu personae entre les personnes participant à l’opération ; et
  • le cadre des opérations de financement participatif est amené à évoluer prochainement à l’occasion de l’adoption du Projet de Règlement européen concernant ce type d’acteurs.
Notes

1 Règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé.
1 Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on European Crowdfunding Service Providers (ECSP) for Business.
1 Article L. 321-2, 3° du CMF

 

Auteurs

Jérôme Sutour, avocat associé, Head of financial services

Léa Hadjadj, avocat, Services financiers

 

L’évolution du cadre des financements alternatifs « classiques » – Article paru dans le magazine Option Finance – Innovation et transformation – le 18 juin 2018