L’externalisation par une clinique de l’activité de bionettoyage et des services hôteliers à un prestataire extérieur emporte-t-il ou non application de l’article L. 1224-1 du Code du travail ?
10 mai 2022
Dans une affaire tranchée le 2 mars 2022 (RG n°21/03343), dans laquelle le Cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats représentait la clinique, le tribunal judiciaire de Nanterre, après avoir analysé les faits de l’espèce, a estimé qu’une telle externalisation emportait application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, et donc transfert de plein droit des contrats de travail des salariés concernés de la clinique vers le prestataire.
Rappel des faits
Le 20 octobre 2021, la Direction de la clinique a transmis au CSE une note d’information, aux fins de son information et de sa consultation, concernant un projet de transfert de l’activité de bionettoyage et de services hôteliers de ladite clinique auprès d’un prestataire, emportant selon elle transfert automatique des contrats de travail des salariés concernés.
Lors de la première réunion d’information en date du 27 octobre 2021, le CSE a désigné un Cabinet d’expertise pour l’assister dans le cadre de ce projet important. L’expert a déposé son rapport le 14 décembre 2021.
Lors de la réunion du 20 décembre 2021, le CSE a rendu un avis négatif et a sollicité auprès de la Direction la suspension du projet devant être mis en œuvre le 1er janvier 2022.
La saisine du TJ de Nanterre
Autorisés par ordonnance rendue le 29 décembre 2021 par le juge des référés, suivant acte du 29 décembre 2021, le CSE de la clinique, l’Union départementale des Syndicats CGT Force Ouvrière de Paris et l’Union locale CGT du 16ème ont assigné en référé d’heure à heure la clinique et le prestataire aux fins de voir, au visa des articles 834 et 835 du Code de procédure civile, L. 1224-11, L. 4121-1 et suivants, L. 2132-3, R. 4121-2 et R. 4512-6 du Code du travail :
A titre principal
-
- interdire la mise œuvre du projet de transfert de l’activité de bionettoyage et de services hôteliers de la clinique auprès d’un prestataire extérieur,
-
- assortir cette interdiction d’une astreinte de 10.000 euros par jour et par infraction constatée et se réserver la liquidation de l’astreinte,
A titre subsidiaire
-
- suspendre la mise en œuvre du projet, tant que l’employeur n’aura pas identifié et évalué les risques et mis en place les mesures de prévention nécessaires et notamment tant qu’il n’aura pas mis à jour le document unique d’évaluation des risques et élaboré un plan de prévention pour l’intervention des entreprises extérieures, ce en concertation avec le CSE,
-
- assortir cette suspension d’une astreinte de 10.000 euros par jour et par infraction constatée et se réserver la liquidation de l’astreinte,
A titre très subsidiaire
-
- renvoyer l’affaire à une audience dont il fixera la date pour qu’il soit statué au fond en application de l’article 837 du Code de procédure civile,
-
- suspendre la mise en œuvre du projet dans l’attente de la décision qui sera rendue par le juge du fond,
-
- assortir cette suspension d’une astreinte de 10.000 euros par jour et par infraction constatée et se réserver la liquidation de l’astreinte,
En tout état de cause,
-
- condamner solidairement la clinique et le prestataire à verser à l’Union Départementale des Syndicats CGT Force Ouvrière de Paris et à l’Union Locale CGT du 16e à titre provisionnel la somme de 3.000 euros chacune à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession et notamment aux salariés de la clinique,
-
- condamner solidairement la clinique et le prestataire à verser au CSE la somme de 3.600 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
-
- condamner solidairement la clinique et le prestataire à verser à l’Union Départementale des Syndicats CGT Force Ouvrière de Paris et à l’Union Locale CGT du 16ème la somme de 600 euros chacune au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.
La position des demandeurs :
A l’appui de leurs prétentions, les demandeurs ont fait valoir, notamment :
-
- que les documents transmis au CSE ne permettaient pas de vérifier que les conditions du transfert d’une entité économique autonome étaient remplies,
-
- que l’employeur n’a pas effectué un travail de comparaison des fonctions exercées par les agents de services hospitaliers « ASH » avant et après le projet de sorte qu’il n’a pu procéder à l’évaluation des risques,
-
- que l’expert a relayé les fortes inquiétudes des salariés concernés,
-
- que l’externalisation d’une partie des activités de la clinique confirmait l’atteinte portée à l’intérêt collectif de la profession.
La position de la clinique
La clinique a conclu à titre principal à l’irrecevabilité des demandes, à titre subsidiaire à leur débouté et, en tout état de cause, à la condamnation des demandeurs à lui verser, chacun, la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.
Elle a soutenu que :
-
- le CSE était irrecevable en ses demandes car il ne disposait pas d’un intérêt propre à invoquer la violation de l’article L 1224-1 du Code du travail, outre que la consultation sur le projet était close,
-
- que les syndicats ne justifiaient pas d’un intérêt à agir car l’action en contestation du transfert d’un contrat de travail était un droit exclusivement attaché à la personne du salarié, la procédure d’information-consultation étant par ailleurs achevée,
-
- que le trouble manifestement illicite n’était pas caractérisé dès lors que l’employeur justifiait du transfert d’une entité économique autonome,
-
- qu’elle a respecté son obligation de prévention des risques,
-
- que les organisations syndicales ne justifiaient d’aucun préjudice.
La position du prestataire
Le prestataire a conclu à titre principal à l’irrecevabilité des demandes, à titre subsidiaire à leur débouté, et en tout état de cause, à la condamnation solidaire des demandeurs à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Elle a exposé notamment que :
-
- l’action en contestation du transfert d’un contrat de travail était exclusivement attachée à la personne du salarié de sorte que les syndicats ne justifiaient pas d’un intérêt à agir,
-
- que le CSE ne tenait d’aucune disposition légale le pouvoir d’exercer une action en justice au nom des salariés ou de se joindre à l’action de ces derniers lorsque ses intérêts propres ne sont pas en cause,
-
- que l’activité de bionettoyage constituait un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité économique poursuivant un objectif propre et constituait une entité économique,
-
- qu’elle disposait d’un DUER remis à jour régulièrement et de divers dispositifs de prévention.
L’analyse et la solution du TJ de Nanterre
Après avoir déclaré recevable l’action et les demandes des demandeurs, le TJ de Nanterre a estimé :
1. que les conditions de l’article L 1224-1 du Code du travail étaient réunies :
« Il résulte de l’ensemble des pièces versées au débat que le service de bionettoyage et de services hôteliers est composé de 13 ASH et 1ESG : ces salariés sont rattachés hiérarchiquement au Responsable Qualité et Risques ainsi qu’il en résulte de l’organigramme et des fiches de postes. Tous ces salariés ne participent aucunement à une activité de soins.
L’ensemble du matériel mis à la disposition des agents concernés pour effectuer toutes ces tâches a été cédé au prestataire de sorte que cette activité dispose bien de moyens propres.
Les opérations nécessaires au nettoyage et à la restauration des malades effectuées dans la clinique qui disposait du matériel nécessaire à ces opérations et y affectait un personnel spécialisé, tendent bien à la réalisation d’un même objectif, avec des moyens repris ensuite par le prestataire.
Il en résulte que le personnel chargé de ces tâches, les locaux et les éléments d’exploitation forment bien une entité économique autonome qui a conservé son identité à la suite du marché conclu avec le prestataire qui continuera avec les mêmes moyens d’exploitation, la poursuite de l’activité antérieurement assurée par la clinique, au sens des dispositions visées à l’article L 1224-1 du Code du travail.
Dès lors qu’il n’est pas démontré que les conditions cumulatives visées à l’article L 1224-1 du Code du travail n’ont pas été remplies, le trouble illicite ou le dommage imminent ne sont pas caractérisés ».
2. que la clinique a respecté ses obligations concernant la prévention des risques :
« La clinique indique qu’elle dispose d’un DUER comprenant la situation des ASH : ce document prévoit une partie spécifique « ASH » et « ASH bloc ». Seuls les ASH étant concernés par le transfert, aucune mise à jour ponctuelle ne s’imposait puisque les risques identifiés et les réponses à apporter ne sont nullement impactés par la mise en œuvre du projet d’externalisation.
L’employeur n’a pas à établir de comparatif avant et après transfert puisque les salariés de l’activité externalisée seront des salariés du prestataire.
Elle a mis en œuvre de nombreuses actions dans le cadre du projet d’externalisation :
-
- proposition de décalage du projet afin de laisser du temps aux salariés comme recommandé dans l’expertise,
-
- engagement de mettre à jour le DUERP à compter du 3 janvier 2021,
-
- mise en mouvement des différents acteurs de prévention des RPS (soutien psychologique gratuit, plusieurs rappels avec diffusion de plaquette, médecine du travail, information et convocation systématique, managers de direction ; réunions et entretiens, expertise RPS,
-
- organisation d’une cellule d’écoute et de soutien dédiée : mise à disposition d’un psychologue sur site jusqu’à la date du transfert.
Le prestataire dispose d’un DUERP mis à jour régulièrement, d’un accord avec les organisations syndicales portant sur la Qualité de vie au Travail signé en 2018, d’un service social au travail extérieur mis en place depuis 2017 accessible par téléphone 7/7 et dont un bilan annuel est présenté au CSE chaque année, d’un responsable sécurité régional qui organise des causeries sécurité sur les sites avec les agents, des protocoles de bionettoyage qui seront présentés et validés par la clinique et d’un service formation qui intervient sur le site au démarrage puis chaque année pour former le personnel aux méthodes et protocoles (bionettoyage, service repas) et aux règles d’hygiène, de sécurité et prévention dans l’utilisation des produits et des risques infectieux.
Il résulte de tout ce qui précède que la clinique justifie avoir mis en place des mesures spécifiques de prévention avant le transfert, l’existence d’un DUERP n’étant pas contestée.
Par ailleurs, aucune disposition légale n’impose des mesures de prévention avant et après projet d’externalisation, les mesures de prévention incombant alors au nouvel employeur, qui, en l’espèce, justifie de l’existence d’un DUERP mis à jour et d’un certain nombre de mesures de prévention spécifiques.
Faute pour les demandeurs de démontrer que la Clinique n’a pas satisfait à ses obligations de prévention, le trouble illicite n’est pas caractérisé ».
Le TJ de Nanterre a donc débouté le CSE, l’Union Départementale des Syndicats CGT Force Ouvrière de Paris et l’Union Locale CGT du 16ème arrondissement de Paris de l’ensemble de leurs demandes.
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