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Liberté d’expression des salariés sur Internet : tout n’est pas permis

Liberté d’expression des salariés sur Internet : tout n’est pas permis

Sur Internet comme ailleurs, les salariés jouissent d’une liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Un salarié a ainsi le droit d’exprimer son opinion concernant son employeur, mais de façon pondérée et constructive, sous peine de sanctions disciplinaires. L’arrêt de la Cour de Cassation du 11 avril 2018 (n°16-18.590) en est une parfaite illustration.

Liberté d’expression des salariés : principe et limites

En application de l’article L.1121-1 du Code du travail, les salariés bénéficient d’une liberté d’expression, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise. La faculté d’exprimer en toutes circonstances ses opinions renvoie aux libertés reconnues à tout citoyen, proclamées notamment par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Convention européenne des droits de l’homme.

La seule limite est de ne pas commettre d’abus. L’abus dans la liberté d’expression se matérialise par des propos injurieux, diffamatoires, excessifs, des dénigrements ou des accusations non fondées.

L’évolution de la jurisprudence est révélatrice de la démarche des juges tenus de rechercher un équilibre entre les droits et libertés souvent contraires du salarié et de l’employeur : d’un côté, la liberté d’expression du salarié, de l’autre, la liberté d’entreprendre, la relation subordonnée de travail et l’obligation de loyauté du salarié.

Pour caractériser un exercice abusif de la liberté d’expression, les juges font ainsi une analyse précise des faits soumis à leur appréciation et se fondent sur la teneur des propos, le cadre dans lequel les propos ont été tenus (plus les propos sont diffusés largement, plus l’abus a des chances d’être reconnu) et les fonctions exercées par le salarié (le fait d’avoir des responsabilités importante pouvant constituer une circonstance aggravante).

La question de la protection et des limites de la liberté d’expression a connu de nouveaux développements avec l’émergence et le développement massif des réseaux sociaux et des plates-formes d’expression et de notation.

 

Notation des entreprises sur Internet et abus de la liberté d’expression

A l’instar des sites qui évaluent les restaurants et les hôtels, de plus en plus de sites Internet permettent aux salariés, anciens salariés, stagiaires de noter anonymement leur entreprise ainsi que de laisser des commentaires sur celle-ci.

La liberté d’expression des salariés sur ses plateformes de notation a toutefois des limites, comme l’illustre un arrêt rendu le 11 avril 2018 par la Cour de Cassation.

Dans cette affaire, une agence de communication avait été avertie par un client d’un message très négatif la concernant et publié anonymement sur un site Internet permettant aux salariés d’évaluer leur entreprise.

Le contenu du message litigieux était le suivant : « La direction est drastique à tous points de vue. Salaire minimum, aucune prime, ni même d’heures supplémentaires payées (sauf celles du dimanche pour les téméraires!)… L’agence ne possède même pas de site Internet. Le comble pour une entreprise de ce secteur ! Le client est roi en toutes circonstances, peu importe qu’il faille travailler à perte, et votre travail sera parfois descendu devant le client. Rien n’incite à la motivation, si ce ne sont que les promesses jamais tenues. Mais ça ne fait qu’un temps. La direction ne s’en cache pas « … » Pour preuve, le turn-over incessant : un départ par mois en moyenne, pour un effectif moyen d’une vingtaine de personnes. ».

Après avoir obtenu du site Internet le retrait de l’avis litigieux, l’entreprise a réussi, via des investigations informatiques dans l’entreprise, à identifier l’ordinateur à l’origine du message. Ces investigations ont permis de remonter au directeur artistique de l’entreprise qui manifestement s’était connecté sur le site Internet de notation le jour même du dépôt des propos contestés.

Le salarié, licencié pour faute grave, a contesté le bien-fondé de son licenciement invoquant sa liberté d’expression.

Après examen des éléments de preuve fournis par la société pour établir que le salarié était bien l’auteur du message litigieux, la Cour d’appel de Versailles a validé la faute grave au motif que les propos publiés sur le site internet caractérisaient un abus de la liberté d’expression.

La Cour de cassation a considéré que la sanction prononcée par l’employeur était parfaitement justifiée par le caractère excessif du message dont les termes étaient tant déloyaux que malveillants à l’égard de l’employeur et relève qu’il était publié sur un site accessible à tout public.

 

Critiquer ne signifie pas nécessairement abuser de sa liberté d’expression

Entre liberté d’expression et abus, la frontière est parfois mince : la liberté d’expression autorise le salarié à émettre des critiques mais pas à dénigrer.

La Cour de Cassation a ainsi précédemment considéré que le fait pour un salarié de mettre en ligne sur un site Internet extérieur à l’entreprise revêtant un caractère quasiment confidentiel deux articles qui dénoncent le comportement de son employeur à l’égard d’un collègue qui avait été licencié n’est pas constitutif d’un abus (Cass., soc. 6 mai 2015, n°14-10.781).

Un salarié a ainsi le droit de s’interroger publiquement sur des mesures prises par l’entreprise dans une situation de conflit, mais une frontière ne saurait être franchie : ses propos ne doivent en aucun cas être injurieux ou vexatoires, ni dénigrants pour sa hiérarchie.

 

Article publié dans les Echos Executives le 28/05/2019