Le licenciement du salarié gréviste participant à la séquestration du DRH
29 septembre 2014
Lorsqu’il exerce son droit de grève le salarié, s’il peut revendiquer une forme de protection, ne bénéficie pas d’une immunité absolue. Si une faute lourde lui est imputable, il peut ainsi se voir notifier son licenciement de ce chef.
A l’occasion des conflits sociaux, certains salariés peuvent être amenés à adopter un comportement dont on peut indiquer qu’il n’est pas en adéquation avec l’exercice normal du droit de grève, voire qu’il présente un caractère tout à fait fautif. Ainsi en est-il de la destruction de l’outil de production ou de la participation à des altercations, à des actes de violences ou à la séquestration d’un membre de la Direction. Ces agissements peuvent caractériser une faute lourde, autorisant ainsi l’employeur à licencier le ou des salarié(s) s’étant mal comporté(s). Les arrêts (n°13-12561 et 13-12562) rendus par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation le 2 juillet 2014 donnent à ce principe une parfaite illustration, s’agissant plus particulièrement de la séquestration du Directeur des Ressources Humaines.
1. L’exercice du droit de grève ne peut en principe justifier la rupture du contrat de travail
Il ressort de l’article L 2511-1 du Code du travail, en particulier, que l’exercice du droit de grève :
- ne peut à lui seul justifier la rupture du contrat de travail ;
- ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire, notamment en matière de rémunération et d’avantages sociaux.
Encore faut-il que le salarié participe à une grève licite, laquelle se caractérise par la cessation collective et concertée du travail, en vue d’appuyer des revendications professionnelles (en ce sens notamment : Cass. soc. 18 janvier 1995 ; Cass. soc. 18 juin 1996 ; Cass. soc. 23 octobre 2007).
Dans deux affaires soumises à la Chambre Sociale de la Cour de Cassation le 2 juillet 2014 (n°13-12561 et 13-12562), l’employeur soutenait que le mouvement social auquel ont participé une trentaine de salariés était illicite en tant qu’il s’agissait, selon lui, d’une grève de solidarité vis-à-vis de salariés à l’égard desquels une sanction disciplinaire était projetée, ces derniers ayant commis des faits fautifs (menaces de mort notamment) à l’occasion d’un précédent fait de grève.
L’employeur soutenait notamment, à cet égard :
- que le précédent mouvement de grève (licite) avait pris fin lors de la conclusion d’un protocole de fin de conflit, de telle sorte que toutes les revendications professionnelles étaient purgées au moment de la signature de ce document ;
- que le tract du syndicat appelant à la nouvelle grève – quelques jours après la signature du protocole de fin de conflit – mentionnait selon lui qu’il s’agissait d’un mouvement destiné uniquement à soutenir la cause de salariés convoqués à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, en raison de fautes personnelles commises par eux lors du précédent mouvement ;
- que précisément, le second mouvement social a débuté le jour de l’entretien préalable aux sanctions disciplinaires projetées ;
- que les représentants syndicaux ont fait état à plusieurs reprises, notamment dans la presse et en la présence d’un huissier de justice présent sur les lieux, qu’il s’agissait pour eux de défendre la cause et les intérêts des salariés à l’égard desquels des sanctions disciplinaires étaient projetées, et non de formuler des revendications professionnelles.
La cour d’appel de Douai, dans deux arrêts en date du 21 décembre 2012, n’a pas suivi l’argumentation de l’employeur et a considéré au contraire que les salariés ont participé à un mouvement de grève licite.
Elle a notamment estimé, pour ce faire, que le syndicat (CGT) avait appelé dans son tract à la mobilisation pour la levée des sanctions disciplinaires. Selon la Cour d’appel :
- le mouvement social avait donc pour but la défense des salariés menacés pour des faits commis à l’occasion d’un précédent mouvement dont la légitimité n’était pas contestée ;
- ces menaces pouvaient apparaître comme caractérisant une volonté d’intimidation des salariés grévistes, de sorte que la mobilisation destinée à les soutenir répondait à un intérêt collectif.
Il en découlait alors, selon elle, que le mouvement social devait être considéré comme licite.
Aux termes de ses arrêts précités du 2 juillet 2014, la Cour de Cassation a confirmé la position de la Cour d’appel en tranchant que cette dernière, qui a retenu que le syndicat (CGT) avait appelé les salariés de l’entreprise à la grève pour soutenir les salariés menacés par des sanctions disciplinaires pour des faits commis lors du précédent mouvement de grève (dont la légitimité n’était pas contestée), et que ces menaces avaient pu être perçues au sein de l’entreprise comme susceptibles de porter atteinte au droit de grève, a pu en déduire légitimement que la mobilisation destinée à soutenir les salariés grévistes répondait à un intérêt collectif et professionnel, de sorte que ce mouvement de grève était licite.
2. La faute lourde du salarié justifie son licenciement : le cas particulier de la séquestration du Directeur des Ressources Humaines
A supposer donc que l’on soit en présence d’un mouvement social licite, le salarié ne bénéficie pas d’une protection absolue contre toute procédure de licenciement.
Il ressort en effet de l’article L 2511-1 du Code du travail que la faute lourde commise par un salarié à l’occasion d’un mouvement de grève est susceptible de conduire à son licenciement. En d’autres termes, la protection qui est offerte par ce même article aux salariés grévistes cesse lorsqu’ils adoptent un comportement lourdement fautif.
Les hypothèses de fautes lourdes sont légion. Il peut s’agir de voies de fait, d’entraves à la liberté du travail accompagnées de violences, du refus de procéder aux opérations nécessaires pour assurer la sécurité des personnes, de la destruction du matériel ou des stocks, des menaces ou brutalités à l’encontre des dirigeants, de menaces verbales accompagnées d’une certaine agressivité, … Il en est également ainsi en cas d’atteinte à la liberté du travail (obstacle au déchargement de camions et blocage des portes et des voies d’accès, obstacle à l’entrée et à la sortie de véhicules provoquant la désorganisation de l’entreprise, participation à un piquet de grève barrant la route d’accès à une usine ou à un chantier accompagné du refus d’exécuter l’ordonnance de référé faisant injonction de libérer l’accès à ce chantier, etc.).
De la même manière, la séquestration d’un ou de plusieurs membres de la Direction est constitutive d’une faute lourde. Elle s’analyse au demeurant en une infraction pénale visée à l’article 224.1 du Code pénal.
La Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a jugé, sur le fondement de cette disposition légale, que constituait le délit de séquestration arbitraire le fait, pour des salariés, de retenir contre son gré le chef d’entreprise sur les lieux du travail – quand bien même aucune violence n’a été observée – afin de le contraindre à accorder les avantages qu’ils réclament (en ce sens : Cass. crim. 23 décembre 1986 ; Cass. crim. 19 février 1991).
L’exercice de violences caractérisées n’est donc pas nécessaire à la reconnaissance d’une séquestration arbitraire. Il n’en constitue qu’une circonstance aggravante.
La même Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a estimé également que sont coupables du délit de séquestration les salariés ayant eu conscience d’entraver la liberté d’aller et venir des deux victimes (en l’occurrence le Chef de département et le Chef d’atelier), qu’ils empêchaient de sortir de la salle de réunion tant par leur présence que par un barrage constitué de tables (Cass. crim. 4 avril 2002, n°01-86.505).
Elle a estimé de la même manière qu’une Cour d’appel, ayant constaté qu’un cadre commercial avait été séquestré dans les locaux administratifs de la société a pu décider, à juste titre, que le comportement personnel et volontaire des salariés s’étant physiquement opposés à la sortie de l’intéressé de l’entreprise était constitutif d’une faute lourde justifiant leur licenciement (Cass. soc. 1er avril 1997).
La Haute Cour a également précisé que le fait que la personne retenue contre son gré pendant plusieurs heures n’ait pas manifesté la volonté de passer outre ou n’ait pas tenté de mettre à l’épreuve les barrages des salariés grévistes était sans incidence (Cass. crim. 18 mars 1980, n°79-91.228).
Les arrêts rendus par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation le 2 juillet 2014 offrent une illustration récente des principes ainsi dégagés en matière de séquestration.
Dans les affaires ayant donné lieu à ces décisions, l’employeur a entrepris le licenciement pour faute lourde de deux salariés au motif de leur participation à ce qu’il considérait être la séquestration d’un membre de la Direction, en l’occurrence le Directeur des Ressources Humaines, étant précisé que ce grief s’ajoutait d’une part à la participation des intéressés à ce que l’employeur estimait être un mouvement illicite, et d’autre part au comportement (menaces de mort) adopté par ces mêmes salariés lors du précédent mouvement de grève licite. L’employeur s’appuyait ainsi, pour caractériser selon lui l’existence de cette séquestration :
- sur le tract du syndicat (CGT) appelant à la grève, lequel portait des attaques directes et personnelles à l’endroit du Directeur des Ressources Humaines ;
- sur le procès-verbal établi par l’huissier de justice présent dans l’entreprise au moment des faits, lequel faisait mention, en particulier :
– de la présence de plusieurs personnes se trouvant dans le couloir face au bureau du Directeur des Ressources Humaines ;
– de ce qu’une personne a indiqué qu’il s’agissait de la «séquestration du DRH et de la Direction» ; - sur le fait que le Directeur des Ressources Humaines a été privé de la possibilité de quitter son bureau pendant près de 4 heures ;
- sur les articles de la presse régionale dans lesquels les représentants syndicaux revendiquaient la privation des allers et venues du Directeur des Ressources Humaines ;
- sur le fait que le Directeur des Ressources Humaines a bien été privé de la possibilité de se déplacer librement dès lors que l’entrée de son bureau était entourée de chaises (placées en arc de cercle) occupées par certains des grévistes ;
- sur le fait que la forte population des grévistes permettait à ces derniers, ne serait-ce que par leur nombre et leur présence, d’empêcher tout mouvement et tout déplacement du Directeur des Ressources Humaines, et d’exercer ainsi une pression importante sur ce dernier ;
- sur la plainte pénale déposée par le Directeur des Ressources Humaines lui-même ;
- sur la nécessaire intervention des forces de l’ordre pour évacuer les salariés présents lors du mouvement social.
La cour d’appel de Douai, bien qu’attentive aux arguments qui lui ont été présentés par l’employeur, s’est curieusement abstenue de matérialiser l’existence d’une séquestration.
Par ses deux arrêts du 2 juillet 2014, la Haute Cour a cassé et annulé les décisions de la cour d’appel de Douai. Elle a estimé en effet qu’alors qu’elle avait constaté que les deux salariés ont personnellement participé à l’action collective au cours de laquelle le Directeur des Ressources Humaines a été retenu de 11 heures 45 à 15 heures 30 dans son bureau, dont il n’a pu sortir qu’après l’évacuation par les forces de l’ordre des personnes présentes, ce dont il résultait que le comportement des salariés était constitutif d’une faute lourde, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article L 2511-1 précité du Code du travail.
3. Quelques recommandations
A l’heure où l’on observe une forme de durcissement des mouvements sociaux et un accroissement des comportements empreints d’agressivité ou de violences, singulièrement à l’occasion de l’annonce de fermetures de sites ou de la mise en œuvre de plans de sauvegarde de l’emploi – les salariés estimant en particulier ne plus rien avoir à perdre – il y a lieu, pour ces derniers, de faire preuve d’une certaine vigilance.
Au-delà du fait qu’il est susceptible de conduire à la mise en œuvre d’une procédure de licenciement pour faute lourde – laquelle est privative de toutes indemnités – leur comportement est susceptible de constituer une infraction pénale.
Par ailleurs, le licenciement pour faute lourde autorise l’employeur à rechercher la responsabilité des salariés fautifs aux fins d’obtenir leur condamnation à des dommages et intérêts, en raison des préjudices causés à l’entreprise.
Les salariés grévistes doivent en conséquence faire preuve de discernement et ne pas dépasser les limites de ce qui peut être considéré comme raisonnable et acceptable en termes notamment de propos tenus ou de comportement adopté.
De son côté, l’employeur qui souhaite engager une procédure de licenciement pour faute lourde à l’égard d’un ou de plusieurs salariés, doit avoir bien réfléchi aux conséquences d’une telle mesure.
Il a été vu ci-avant que seule une faute lourde permet le licenciement d’un salarié gréviste. A contrario, ni une faute grave, ni a fortiori un fait constitutif d’une «simple» cause réelle et sérieuse de licenciement, ne peuvent conduire à la rupture du contrat de travail.
Bien plus, il ressort de l’article L 2511-1 du Code du travail que le licenciement prononcé en l’absence de faute lourde est nul de plein droit. L’employeur n’a donc, en la matière, pas droit à l’erreur.
Si les juges du fond (Conseil de Prud’hommes puis Cour d’appel), saisis d’une action en contestation du licenciement, devaient en effet estimer que les faits reprochés aux salariés soit ne sont pas matériellement démontrés, soit ne sont pas constitutifs d’une faute lourde, alors le licenciement serait annulé et le salarié pourrait solliciter sa réintégration, avec toutes les conséquences qui en résultent aux plans financier et psychologique.
Enfin, le licenciement pour faute lourde d’un ou de plusieurs salariés pourrait avoir un effet contre-productif dès lors qu’il pourrait purement et simplement conduire les autres salariés à se mobiliser à nouveau, pour dénoncer notamment l’atteinte portée par l’employeur à l’exercice du droit de grève.
On le voit bien ici, l’employeur comme les salariés doivent, en cas de grève, faire preuve d’une attitude mesurée et responsable.
Auteur
Rodolphe Olivier, avocat associé en droit social.
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