Licenciement en cas d’absence prolongée ou d’absences fréquentes et répétées : des précisions quant au délai à respecter pour remplacer le salarié
6 septembre 2021
La situation objective de l’entreprise, dont le fonctionnement est perturbé par l’absence prolongée ou les absences répétées du salarié, peut justifier un licenciement si ces absences perturbent le bon fonctionnement de l’entreprise et nécessitent le remplacement définitif du salarié. Parmi ces conditions, l’une des plus difficiles à démontrer pour l’employeur, surtout lorsqu’il ne s’agit pas d’une TPE, réside dans la preuve de la nécessité de procéder au remplacement définitif de l’intéressé(e) en engageant un autre salarié.
Par un arrêt du 24 mars 2021 (1), la Cour de cassation apporte un nouvel éclairage sur le délai à respecter entre le remplacement définitif et le licenciement du salarié absent.
La nécessité de procéder au remplacement définitif du salarié
Afin que le licenciement soit justifié, l’employeur doit démontrer qu’au regard de la nature des fonctions du salarié, son ou ses absence(s) apporte(nt) au fonctionnement de l’entreprise des perturbations qui sont telles que l’employeur ne peut y pallier autrement que par son remplacement définitif.
En d’autres termes, l’employeur doit donc justifier, non seulement de l’embauche d’un salarié en contrat à durée indéterminée, mais aussi – et surtout – qu’il n’était pas possible de pallier l’absence par une mesure « temporaire » comme le recours à un contrat à durée déterminée ou à du travail temporaire par exemple.
A défaut, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, voire nul s’il peut être établi que la rupture du contrat de travail du salarié repose en réalité uniquement sur son état de santé.
En revanche, il est admis que le salarié absent soit remplacé par un salarié muté en interne sur son poste s’il est lui-même remplacé par un salarié recruté en contrat à durée indéterminée (remplacement en cascade).
Date à laquelle le remplacement doit intervenir
La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de juger que le remplacement définitif d’un salarié absent peut être postérieur au licenciement sous réserve qu’il intervienne dans un délai raisonnable après celui-ci (2).
Dans d’autres arrêts, elle a indiqué que le remplacement définitif pouvait avoir lieu, après le licenciement, à une « époque proche (3) », une « date proche (4) » ou encore une « période proche (5) » du licenciement.
Ces formulations étaient voisines de celles employées par la Cour de cassation pour vérifier si le délai était respecté lorsque l’employeur procédait définitivement au remplacement de l’intéressé avant son licenciement. En effet, dans ce cas l’employeur doit remplacer le salarié à une « date proche du licenciement (6) ».
Par son arrêt du 24 mars 2021 n° 19-13.188, la Cour de cassation reprécise le délai de remplacement, et, selon ses propres commentaires (7) « dissipe les doutes » qui pouvaient résulter de l’usage de plusieurs notions quant à l’appréciation du délai après le licenciement.
Ainsi :
-
- avant le licenciement, le remplacement doit être effectué à une date proche de celui-ci ;
-
- après le licenciement, le recrutement doit intervenir dans un délai raisonnable après celui-ci.
L’appréciation souveraine des juges du fond quant au délai à respecter
Dans les deux cas, à savoir un remplacement antérieur ou postérieur au licenciement, les juges se placeront à la date de notification du licenciement pour apprécier le caractère raisonnable du délai en tenant compte des spécificités de l’entreprise et de l’emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l’employeur en vue d’un recrutement.
Toutefois, il va sans dire qu’en l’absence de plus de précisions sur les notions de « date proche » avant le licenciement et de « délai raisonnable » après celui-ci, il incombera aux juges d’apprécier au cas par cas si le délai respecté par l’employeur répond à ces exigences, ce qui est source d’une insécurité juridique.
A titre d’illustrations, il a été jugé que le recrutement :
-
- deux mois avant le licenciement était possible (8) ;
-
- un an et quatre mois avant le licenciement était trop prématuré (9) ;
-
- deux mois après le licenciement du salarié était intervenu dans un délai raisonnable (10) ;
-
- huit mois après le licenciement était trop tardif (11).
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 24 mars 2021, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir décidé, compte tenu des démarches immédiatement engagées par l’employeur en vue d’un recrutement et de l’importance du poste de directeur, que le remplacement de l’intéressée, intervenu plus de six mois après son licenciement avait eu lieu dans un délai raisonnable.
Dans ce contexte, les entreprises peuvent avoir de légitimes réticences à recourir à un licenciement fondé sur ce motif compte tenu des différents aléas judiciaires auxquels il est soumis en cas de contentieux.
Cependant, dans certaines situations – comme pour les employeurs de salariés soumis à une obligation vaccinale ou de détention d’un passe sanitaire qui refuseraient de se soumettre à leurs obligations en la matière notamment – ce motif de licenciement pourrait constituer l’une des options susceptible d’être envisagée, en tenant compte des précautions qu’elle requiert.
Néanmoins, dans sa décision du 5 août 2021 (DC n °2021-824) rendue à propos du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, le Conseil constitutionnel a censuré la possibilité de rompre le contrat de travail à durée déterminée ou le contrat de mission pour non présentation du passe sanitaire et a jugé « qu’il résulte des travaux préparatoires que le législateur a entendu exclure que la méconnaissance de l’obligation de présentation des justificatif, certificat ou résultat précités puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement d’un salarié en contrat à durée indéterminée » (Ct 75).
Dans ces conditions, il existe un doute sur la possibilité de procéder dans un tel cas au licenciement du salarié.
(1) Cass. Soc. 24 mars 2021 n° 19-13.188
(2) Cass. Soc. 10 novembre 2004, n° 02-45.156
(3) Cass. soc., 16 sept. 2009, n° 08-41.879
(4) Cass. Soc. 15 janvier 2014, n° 12-21.179
(5) Cass. Soc. 21 janvier 2015, n° 13-26.470
(6) Cass. Soc. 5 mars 2014, n° 12-28.303
(7) Lettre de la chambre sociale de la Cour de cassation, N°9, mars/avril 2021, p.11
(8) Cass. Soc., 19 déc. 2007, n° 06-45.301
(9) Cass. soc., 16 sept. 2009, n° 08-41.879
(10) Cass. Soc., 11 juill. 2012 n° 11-16.370
(11) Cass. Soc., 31 mars 2016, n° 14-21.682
Article publié dans Les Echos le 06 septembre 2021
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