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Licenciement pour divergence de vue : attention à la nullité du licenciement pour atteinte à la liberté d’expression du salarié

Licenciement pour divergence de vue : attention à la nullité du licenciement pour atteinte à la liberté d’expression du salarié

Tout employeur a tendance à attendre de la part de ses salariés, surtout lorsqu’ils occupent des fonctions de direction, une certaine réserve ainsi qu’une pleine adhésion à la politique de l’entreprise.

Il est en effet légitime de considérer que l’équipe de direction doit adhérer à la même stratégie, sauf à risquer de porter atteinte à la bonne marche de l’entreprise.

 

Aussi, un salarié ayant manifesté une vive opposition ou une profonde divergence de point de vue, ou ayant proféré d’importantes critiques à l’égard de son employeur devrait pouvoir faire l’objet d’une mesure de licenciement.

 

Pour autant, contrairement aux souhaits des employeurs, la Cour de cassation admet que les salariés (et notamment les cadres) jouissent d’une grande liberté d’expression au sein de l’entreprise.

 

Les employeurs ayant porté atteinte à cette liberté se voient donc sanctionnés par les tribunaux avec constance.

 

Licencier un salarié pour une attitude d’opposition, un désaccord ou une attitude critique, s’avère donc un exercice périlleux, et la plus grande vigilance est requise lors de la rédaction de la lettre de licenciement.

 

En effet, afin d’illustrer la divergence de vue et l’opposition du salarié, l’employeur sera amené à préciser les propos tenus par le salarié sanctionné. Or, tout licenciement pour des propos tenus par le salarié sans que ne soit mis en évidence un abus encourt la nullité, selon une jurisprudence constante, réaffirmée avec force dans un arrêt du 16 février 2022 (n°19-17.871).

 

La liberté d’expression est une liberté fondamentale, dont l’usage ne peut, sauf abus, être sanctionné

La liberté d’expression est une liberté fondamentale consacrée par l’article 10 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

 

Dès lors, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées (Article L. 1121-1 du Code du travail).

 

Une telle liberté n’est néanmoins pas sans limite. En cas d’abus dans l’exercice de la liberté d’expression, le salarié peut être sanctionné.

 

Tel est le cas en présence de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs. Ces trois termes, employés de manière constante par la jurisprudence, marquent la différence entre les propos critiques autorisés et les propos pouvant être sanctionnés.

 

L’analyse de la jurisprudence démontre qu’en pratique, l’usage abusif de la liberté d’expression n’est caractérisé que dans des situations où le salarié a fait preuve d’une particulière agressivité ou a tenu des propos insultants ou diffamatoires. La notion d’abus est donc appréciée strictement par les juges.

 

A titre d’exemple, un tel abus a été reconnu dans une affaire où le salarié avait écrit à la direction des relations humaines avec copie à son supérieur hiérarchique en indiquant que le système de rémunération variable mis en place était «un système de tricheurs», «un système de voleurs», qu’il s’agissait d’une volonté de bafouer délibérément le droit du travail, que l’insistance de la société démontrait la nécessité impérieuse qu’elle avait de «faire cautionner ce système inique par ses victimes» et que la société «[méritait] mieux que ces pratiques plus que douteuses» (Cass. soc., 14 avril 2016 n° 14-29.769).

 

La publicité donnée aux propos peut également mettre en évidence un tel abus.

 

L’existence d’une faute grave a ainsi été retenue concernant un directeur commercial qui avait adressé aux administrateurs de la société une lettre critiquant la gestion de l’entreprise et contestant l’action du président, lettre qui avait été diffusée auprès d’une partie du personnel (Cass. soc., 4 février 1992 n° 89-43.611).

 

Si un tel abus de la part du salarié n’est pas caractérisé, les sanctions sont importantes

Le licenciement pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression, dès lors qu’il porte atteinte à une liberté fondamentale, est nul.

 

Ce principe n’est pas nouveau puisqu’il a été énoncé pour la première fois par la Cour de cassation dans l’arrêt Clavaud, il y a plus de 35 ans (Cass. soc., 28 avril 1988, n°87-41.804), puis codifié au sein du Code du travail par les ordonnances Macron en 2017.

 

L’article L. 1235-3-1 du Code du travail prévoit ainsi désormais expressément la nullité de tout licenciement prononcé en violation d’une liberté ou d’un droit fondamental.

 

Dans un arrêt du 16 février 2022, la Cour de cassation réaffirme avec fermeté qu’il n’est pas possible de déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque celui-ci porte atteinte à la liberté d’expression du salarié. La nullité n’est pas un choix pour le juge du fond lorsque le salarié l’a demandée à titre principal.

 

Dans cet arrêt, la cour d’appel avait constaté que les propos litigieux sur lesquels était fondé le licenciement ne caractérisaient pas un abus de la liberté d’expression et en avait déduit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

 

A tort, selon la Cour de cassation. Dès lors qu’aucun abus de la part du salarié dans l’usage qu’il avait fait de sa liberté d’expression n’était mis en évidence, le licenciement ne pouvait qu’être déclaré nul.

 

L’enjeu est donc important pour les entreprises puisque le salarié bénéficie d’une réparation potentiellement bien plus importante si son licenciement est déclaré nul plutôt que sans cause réelle et sérieuse.

 

En effet, en cas de nullité de licenciement, l’article L. 1235-3 du Code du travail résultant de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 fixant le barème d’indemnisation prud’homale (dit barème Macron), n’est pas applicable.

 

Le salarié peut ainsi obtenir :

 

    • Soit sa réintégration dans l’entreprise accompagnée d’une indemnité correspondant à la rémunération qu’il aurait perçue entre son départ et sa réintégration, et ce sans que ne puissent être déduits les éventuels salaires perçus par ailleurs dans l’attente de la réintégration ;
    • Soit, s’il ne demande pas sa réintégration, une indemnité pour licenciement nul non soumise au plafond fixé par le barème Macron, et d’un montant minimal de 6 mois de salaire.

 

La nullité est acquise même si d’autres griefs sont reprochés à juste titre au salarié et auraient à eux seuls justifié le licenciement (Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-16.060).

 

Néanmoins, ainsi que le prévoit l’article L. 1235-2-1 du Code du travail, la nullité encourue au titre de l’atteinte à la liberté d’expression ne dispense pas le juge dans un tel cas, d’examiner l’ensemble des griefs énoncés pour en tenir compte dans l’évaluation qu’il fait de l’indemnité à allouer au salarié, laquelle ne peut, lorsque le salarié ne demande pas sa réintégration, être inférieure à six mois de salaire.

 

La prudence est donc de mise dans la motivation de la lettre de licenciement

Le moins qu’on puisse dire est que la jurisprudence se montre plutôt tolérante, voire libérale, face aux éventuels propos tenus par les salariés comme l’illustrent les jurisprudences ci-après :

 

    • Les positions négatives adoptées par un directeur général concernant la stratégie développée par le président de la société et les propos tenus à l’égard de la Direction, à savoir «un PDG en mode panique», «une équipe de direction qui ne comprend plus son PDG», «un PDG visiblement reparti sur une paranoïa aigüe», ne caractérisent pas un abus dans l’usage de la liberté d’expression, en l’absence de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs (Cass. soc., 15 mai 2019, n° 17-20.615) ;
    • Le directeur de filiale qui a adressé une lettre au président du directoire du groupe aux termes de laquelle il déplore notamment «4 ans de non gestion où le groupe a renié des valeurs aussi essentielles que sécurité et éthique», «la sécurité : le management en place avant mon arrivée est incompétent, gravement incompétent», «personne n’est à la hauteur», «les limites à la gestion à distance de M. […] sont criantes», «concernant l’éthique, la situation est tout aussi dramatique» ne commet pas d’abus dans l’exercice de sa liberté d’expression (Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-16.060). Dans cette affaire, la Cour d’appel d’Amiens avait notamment souligné le fait qu’en l’espèce, la probité de l’employeur n’avait pas été mise en cause – seulement sa gestion de l’entreprise – et que le salarié n’avait donné aucune publicité à son courrier ni aux faits dénoncés.

 

On constate également que les juges du fond peuvent adopter une position particulièrement stricte et ordonner la nullité du licenciement s’il est fait mention dans la lettre de licenciement des propos tenus pendant l’entretien préalable de licenciement sans que ne soit mis en évidence un abus du salarié, au motif qu’il s’agirait d‘une violation de la liberté d’expression.

 

Tel a été le cas dans une affaire où la lettre de licenciement notifiée à la salariée indiquait : «Lors de votre entretien, fidèle à votre comportement habituel, vous avez rejeté tous les éléments qui vous ont été présentés, adoptant une attitude insolente et désobligeante à l’égard de votre ligne hiérarchique».

 

Bien que l’employeur ait tenté de faire valoir qu’il avait simplement dressé le constat que, pendant l’entretien préalable, la salariée n’avait pas reconnu les faits ni proposé aucune amélioration, confortant ainsi la décision de l’employeur de la licencier, la Cour d’appel de Versailles a retenu l’existence d’une atteinte à la liberté d’expression de la salariée qui n’avait pas commis d’abus (Cour d’appel de Versailles, 18 juin 2020 n° 18/03264).

 

Afin de limiter de telles difficultés, il faut être particulièrement vigilant.

 

Il convient d’analyser l’attitude critique ou d’opposition manifestée par le salarié, et de déterminer si les propos tenus peuvent être considérés comme abusifs.

 

Pour cela, il peut être tenu compte du contexte, de la publicité donnée aux propos ou de leurs destinataires.

 

Si les propos, bien que traduisant un désaccord, ne sont ni injurieux, ni excessifs, ni diffamatoire, il est crucial d’éviter d’en faire la moindre référence au sein de la lettre de licenciement, celle-ci fixant les termes du litige.

 

Une telle vigilance dans la rédaction de la lettre de licenciement est d’autant plus importante que la Cour de cassation a récemment validé le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse dit « Barème Macron » (Cass. soc., 11 mai 2022, n° 21-14.490).

 

Il est donc à craindre que les salariés tentent encore davantage à l’avenir de se placer sur le terrain de la nullité du licenciement, dans le but de ne pas se voir appliquer ce barème.