Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Top

Licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié protégé : le Conseil d’Etat remplace l’obligation préalable de reclassement par une obligation d’adaptation

Licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié protégé : le Conseil d’Etat remplace l’obligation préalable de reclassement par une obligation d’adaptation

Par une décision du 2 décembre 2024 (1), la Haute juridiction opère un revirement de sa jurisprudence en abandonnant l’exigence d’une obligation préalable de reclassement en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié protégé.

 

Désormais, lorsqu’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est fondée sur une insuffisance professionnelle, le Conseil d’Etat juge qu’il appartient à l’administration de vérifier que l’employeur a pris les mesures propres à satisfaire à son obligation d’assurer l’adaptation du salarié à son poste de travail et envisagé, le cas échéant, de lui confier d’autres tâches susceptibles d’être mieux adaptées à ses capacités professionnelles.

 

Rappel des règles en matière de licenciement pour insuffisance professionnelle 

 

L’insuffisance professionnelle est un motif de licenciement particulier qui ne repose pas sur un comportement fautif du salarié mais sur son incapacité objective et durable à exercer ses fonctions de manière satisfaisante.

 

Ce motif de licenciement donne lieu à une analyse in concreto par les juges, qui examinent les conditions de travail du salarié et les moyens mis à sa disposition par l’employeur.

 

Selon une jurisprudence constante, pour constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, l’insuffisance professionnelle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables (2). L’employeur ne peut se limiter à une appréciation subjective de l’insuffisance du salarié.

 

Par ailleurs, il est important de rappeler que si l’employeur est juge des aptitudes professionnelles de ses salariés, ce constat doit être tempéré par l’obligation faite à celui-ci de respecter l’obligation générale de formation et d’adaptation du salarié à son poste de travail prévue par l’article L.6321-1 du Code du travail.

 

Dès lors, un employeur ne peut se prévaloir d’une insuffisance professionnelle de son salarié sans avoir cherché à assurer au préalable l’adaptation de celui-ci à son poste de travail et le maintien de sa capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Cette obligation relève de l’initiative de l’employeur et non du salarié.

 

Un licenciement prononcé sans respecter cette obligation serait dépourvu de cause réelle et sérieuse (3).

 

Licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié protégé : une obligation spécifique de reclassement

 

Pour mémoire, les salariés investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des salariés qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle. Ils ne peuvent être licenciés sans autorisation préalable de l’inspection du travail dont le rôle est notamment de déterminer si le motif allégué justifie une autorisation de licenciement.

 

Contrairement aux salariés non protégés (4), la jurisprudence du Conseil d’Etat imposait jusqu’à présent à l’employeur une recherche préalable de reclassement dès lors qu’il souhaitait licencier un salarié protégé à raison de son insuffisance professionnelle.

 

En effet, saisie d’une demande d’autorisation de licenciement fondée sur une insuffisance professionnelle, le Conseil d’Etat jugeait depuis sa décision du 27 septembre 1989 (5) qu’il appartenait à l’inspecteur du travail, et le cas échéant, le ministre du travail, de s’assurer :

 

    • d’une part, de la réalité de l’insuffisance professionnelle et l’absence de lien entre le licenciement et le mandat ; et
    • d’autre part, de la possibilité d’assurer son reclassement au sein de l’entreprise.

 

Reprenant l’analyse du Conseil d’état, les circulaires de l’Administration du travail considéraient qu’une telle recherche « s’impose à l’employeur », l’inspecteur du travail devant opérer « un contrôle sur l’effectivité et le sérieux de la recherche de reclassement dans l’entreprise » (6).

 

De plus, selon les termes d’une réponse ministérielle « lorsque le licenciement d’un salarié détenteur d’un mandat de représentation du personnel est demandé sur le fondement de l’insuffisance professionnelle, l’inspecteur du travail et, le cas échéant, le ministre sont tenus de refuser l’autorisation sollicitée en l’absence de recherche de reclassement de la part de l’employeur » (7).

 

Cette obligation de «reclassement» ne reposait pourtant sur aucun fondement textuel.

 

Dans sa décision du 2 décembre 2024, le Conseil d’Etat revient sur cette obligation préalable de reclassement.

 

Rappel des faits et de la procédure

 

Dans l’affaire ayant conduit à la décision du 2 décembre 2024, une société avait sollicité l’autorisation de licencier pour insuffisance professionnelle un salarié détenant un mandat de représentant syndical.

 

Sa demande est rejetée par l’inspecteur du travail le 12 février 2019, puis par la ministre du Travail le 20 novembre 2019 et le tribunal administratif le 3 décembre 2020.

 

Toutefois, la Cour administrative d’appel de Versailles a annulé ces décisions et jugé que l’insuffisance professionnelle du salarié était suffisamment caractérisée (8).

 

Dans sa décision, la Cour administrative d’appel souligne notamment qu’aucun texte législatif ou réglementaire, ni aucun principe, n’impose une obligation de reclassement à un employeur qui souhaite licencier un salarié pour insuffisance professionnelle. En effet, les dispositions du Code du travail ne prévoient une telle obligation que dans les hypothèses où le licenciement est justifié soit par un motif économique, soit par l’inaptitude médicale du salarié.

 

En conséquence, la Cour administrative d’appel considère que le salarié «ne peut utilement se prévaloir de l’absence de toute recherche de reclassement menée par son employeur».

 

La décision de la Cour administrative d’appel va ainsi à l’encontre de la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’Etat, étant précisé qu’un an auparavant, cette même Cour avait déjà statué en ce sens (9).

 

Décision du Conseil d’Etat : une obligation d’adaptation et de rechercher des tâches plus adaptées aux capacités professionnelles du salarié

 

Désormais, lorsque la demande de licenciement est motivée par une insuffisance professionnelle, le Conseil d’Etat considère qu’il appartient à l’inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre du Travail, de s’assurer que les conditions suivantes sont réunies :

 

le licenciement n’est pas en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale du salarié ;

 

l’insuffisance professionnelle reprochée au salarié ne résulte pas d’un manquement de l’employeur à son obligation d’assurer l’adaptation du salarié à son poste de travail ;

 

l’employeur a envisagé, le cas échéant, de confier au salarié d’autres tâches susceptibles d’être mieux adaptées à ses capacités professionnelles.

 

Le Conseil d’Etat annule toutefois l’arrêt d’appel au motif que «la cour, qui n’a pas recherché si l’employeur avait pris les mesures propres à satisfaire à son obligation d’assurer l’adaptation du salarié à son poste de travail et envisagé, le cas échéant, de lui confier d’autres tâches susceptibles d’être mieux adaptées à ses capacités professionnelles, a commis une erreur de droit».

 

L’affaire est renvoyée à la Cour administrative d’appel de Versailles qui devra la réexaminer.

 

En pratique

 

Cette décision paraît cohérente puisque, comme le relève très justement le rapporteur public dans ses conclusions (10), le Code du travail n’impose une recherche de reclassement qu’à l’égard des salariés licenciés pour inaptitude physique (articles L.1226-2 et L.1226-10) ou pour motif économique (article L.1233-4) ; aucune disposition équivalente n’existe s’agissant des salariés licenciés pour insuffisance professionnelle.

 

Par cette décision, le Conseil d’Etat harmonise ainsi le régime des salariés protégés avec le régime de droit commun.

 

L’employeur n’aura donc plus l’obligation de justifier d’une recherche préalable de reclassement.

 

Toutefois, à l’appui de sa demande d’autorisation de licenciement, l’employeur devra être en mesure de démonter à l’administration qu’il a respecté son obligation générale de formation et d’adaptation en accompagnant le salarié dans l’évolution de ses missions, proposant les formations requises pour pouvoir occuper pleinement ses fonctions et envisageant de confier des tâches alternatives correspondant mieux aux compétences du salarié.

 

Cette démonstration est loin d’être simple, étant précisé que cette obligation doit être à l’initiative de l’employeur qui ne peut reprocher au salarié de ne pas avoir sollicité de formations professionnelles.

 

En outre, il est important de vérifier que la Convention collective de branche applicable ne prévoit pas des dispositions spécifiques en matière d’insuffisance professionnelle.

 

Par exemple, l’article 26 de la Convention collective de la banque prévoit qu’avant d’engager la procédure de licenciement « l’employeur doit avoir considéré toutes solutions envisageables, notamment recherché le moyen de confier au salarié un autre poste lorsque l’insuffisance résulte d’une mauvaise adaptation de l’intéressé à ses fonctions » (11).

 

A défaut de respecter l’ensemble de ces obligations, l’autorisation de licenciement ne pourra être accordée.

 

AUTEURS

Thierry Romand, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats 

Chloé Delecourt, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) CE, 2 décembre 2024, n°487954
(2) Cass. Soc., 3 décembre 2003, n°01-45.039
(3) Cass. soc., 21 oct. 1998, n°96-44.109
(4) Cass. Soc., 7 juillet 2010, n°08-45.085
(5) CE, 27 septembre 1989, n°91613
(6) Guide DGT relatif aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés du 11 octobre 2019
(7) Rép. min. n°21227 à Mme Zimmermann, JOAN Q 31 mars 2009
(8) Cour administrative d’appel de Versailles, 4 juillet 2023, n°21VE00328
(9) Cour administrative d’appel de Versailles, 17 juin 2022, n°20VE02541
(10) Conclusions de Monsieur Raphaël Chambon, Rapporteur public
(11) Convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000 (IDCC 2120)

Next Story

This is the most recent story.