Licenciement pour motif économique et obligation de reclassement à l’étranger : les apports de la loi Macron
21 septembre 2015
La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 10 juillet 2015, dite «loi Macron», a modifié les contours de l’obligation de reclassement, particulièrement pour les groupes d’entreprises à dimension internationale, lors de la mise en œuvre de procédures de licenciement pour motif économique.
Lors de la mise en œuvre d’une procédure de licenciement pour motif économique, le Code du travail impose aux employeurs le respect d’une obligation préalable de reclassement aux fins de limiter le nombre de licenciements prononcés.
Le périmètre territorial de cette obligation est très large puisqu’il inclut non seulement l’entreprise elle-même mais également les entreprises appartenant au même groupe dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent la permutabilité des salariés.
Les entreprises du groupe situées à l’étranger entrent dans le champ de cette obligation dès lors que la permutabilité était possible, à savoir notamment lorsque le droit local n’interdit pas l’emploi d’étranger sur les postes concernés ou lorsque les compétences linguistiques le permettent.
La méconnaissance par l’employeur de son obligation de reclassement est sévèrement sanctionnée par la jurisprudence : le licenciement est considéré comme privé de cause réelle et sérieuse, permettant au salarié de prétendre à l’octroi de dommages et intérêts en compensation de son préjudice.
Rappel de la procédure antérieure concernant les reclassements à l’étranger
Dans les entreprises et groupes de dimension internationale, la difficulté consiste, pour la Direction des ressources humaines, à contacter les filiales étrangères pour leur demander si elles disposent de postes disponibles et à leur faire accepter le fait que ces postes doivent être prioritairement proposés à des salariés français.
Une telle démarche conduit parfois à devoir «geler» des embauches, ce qui peut s’avérer particulièrement complexe en pratique.
En outre, cette obligation préalable avait conduit des entreprises à proposer des postes dans des pays où les salaires étaient nettement inférieurs à ceux des salariés français, voire dérisoires, démontrant par là même le caractère finalement artificiel des postes offerts.
Pour redonner sens au reclassement hors de France, le législateur est intervenu en 2010 pour introduire, par le biais de l’article L. 1233-4-1 du Code du travail, une procédure par laquelle l’entreprise adressait à chaque salarié, concerné par un projet de licenciement pour motif économique, un questionnaire afin de lui demander s’il serait intéressé par des propositions de reclassement à l’étranger et sous quelles restrictions éventuelles (localisation, rémunération, etc.).
Les salariés concernés disposaient d’un délai de six jours ouvrables à compter de la réception du questionnaire pour répondre. A défaut de réponse dans ce délai, les salariés étaient réputés refuser toute offre de reclassement à l’étranger.
Une réduction du champ territorial de l’obligation de reclassement
L’article 290 de la loi Macron modifie l’article L. 1233-4 du Code du travail en réduisant expressément le périmètre de l’obligation de reclassement à l’entreprise et aux entreprises du groupe situées sur le seul territoire national.
Pour autant, l’entreprise ne sera pas exonérée de toute recherche de reclassement à l’étranger puisqu’elle devra être en mesure de présenter les propositions de reclassement à l’étranger aux salariés qui en feront la demande.
La question se pose néanmoins de savoir si, à défaut de recherches sérieuses de reclassement à l’étranger, la jurisprudence considèrera toujours le licenciement comme privé de cause réelle et sérieuse ou, si, le cantonnement de l’obligation légale au territoire national limitera également la sanction applicable, ce dont on peut douter.
Une inversion de la démarche
Sans écarter toute obligation de reclassement à l’étranger, l’article 290 de la loi modifie le texte de l’article L. 1233-4-1 du Code du travail, allégeant les obligations de l’entreprise en inversant la démarche : il appartiendra désormais au salarié d’indiquer à l’entreprise qu’il souhaite recevoir des offres de reclassement à l’étranger.
Dans ce cas seulement l’entreprise sera tenue de rechercher des postes disponibles dans l’entreprise ou dans le groupe à l’étranger afin de faire éventuellement des propositions au salarié.
Le salarié sera tenu de préciser les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois recherchés, notamment en termes de rémunération ou localisation.
Une application suspendue à la parution un décret
Les dispositions du deuxième alinéa de l’article précité devraient être précisées par décret dont la parution est prévue pour décembre 2015, alors même que ce dispositif est entré en vigueur le 8 août 2015 puisque le texte dispose que :
«Les modalités d’application du présent article, en particulier celles relatives à l’information du salarié sur la possibilité dont il bénéficie de demander des offres de reclassement hors du territoire national, sont précisées par décret.»
Dès lors, se pose la question de l’attitude à adopter pendant la période transitoire en ce qui concerne les reclassements à l’étranger.
Dans l’attente de la parution du décret, il nous parait hasardeux de faire l’impasse sur le reclassement à l’étranger et on se saurait que recommander de continuer à appliquer les anciennes dispositions, allant ainsi au-delà des seules obligations légales plutôt que de risquer une remise en cause du caractère réel et sérieux du licenciement pour défaut de tentative de reclassement.
En effet, à défaut, il appartiendra à la jurisprudence d’apprécier la validité du dispositif mis en œuvre et notamment les garanties pour le salarié d’une recherche sérieuse de reclassement pendant la période courant du 8 août 2015 à la parution du décret d’application.
Par ailleurs, ce renvoi à un décret et à des modalités d’information du salarié invite à relativiser l’assouplissement introduit par la loi Macron.
Un assouplissement qui apparaît limité
Il ressort du deuxième alinéa de l’article L. 1233-4-1 du Code du travail que l’employeur sera tenu d’informer le salarié de la possibilité dont il dispose de demander un reclassement à l’étranger.
On peut supposer que l’information du salarié portera notamment sur les mentions obligatoires de sa demande (restrictions éventuelles) ainsi que sur les pays où le groupe est implanté, soit une information similaire à celle antérieurement prévue pour le questionnaire.
Afin de garantir une certaine sécurité juridique pour l’employeur, la demande du salarié devra assurément intervenir dans un certain délai à compter de la réception de cette information.
On ne peut qu’espérer que le décret instaure un tel délai. A défaut, il appartiendra à l’employeur de déterminer un délai de réaction raisonnable, calqué, le cas échéant, sur l’ancien délai légal de six jours ouvrables.
Auteur
Vincent Delage, avocat associé en droit social.
Laure Soyer, avocat en droit social.
Licenciement pour motif économique et obligation de reclassement à l’étranger : les apports de la loi Macron – Article paru dans Les Echos Business le 21 septembre 2015
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