Licenciements économiques et transferts d’entreprise : une réconciliation ?

7 juillet 2016
La mise en oeuvre d’un licenciement collectif pour motif économique par le cédant avant un transfert d’entités économiques pourrait, sous certaines conditions, être envisageable et protégée contre toute contestation fondée sur les effets de l’article L. 1224-1 du Code du travail, si les dispositions de l’article 41 du projet de loi dit «El Khomri» devaient être adoptées en l’état.
Cette dérogation à la position actuelle des juridictions françaises et européennes sur le sujet permettrait de substituer à une fermeture de site inéluctable une solution de cession d’entité avec la reprise «redimensionnée» des salariés par un repreneur et ce, en vue de favoriser le transfert d’unités viables.
Reste à savoir si cette disposition résistera aux nombreuses contestations élevées contre le projet de loi travail.
Une analyse restrictive des ruptures des contrats de travail intervenant avant le transfert d’entités économiques
Retenant une interprétation stricte des textes communautaires combinés avec les dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail (qui prévoient le transfert automatique des contrats de travail des salariés affectés à l’activité transférée), tant la Cour de cassation que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) considèrent que les licenciements économiques réalisés à l’occasion du transfert d’une entité par le cédant sont «dépourvus d’effet». Cette position stricte vise à éviter le contournement des règles garantissant le transfert des contrats de travail, pour des raisons d’opportunité financière ou en vue de mettre en oeuvre une réorganisation décidée par le repreneur.
Pourtant, une telle position peut, dans certains cas, s’avérer contraire à l’objectif de sauvegarde des emplois ou faire échec au processus de reprise de certaines sociétés confrontées à des difficultés économiques. Nombre de projets de reprises échouent en effet – avec des conséquences sociales souvent dramatiques – en raison du refus du repreneur de conserver la totalité de l’effectif.
La nouvelle articulation des projets de transferts et de licenciements pour motif économique, dans le cadre d’un PSE, proposée par le projet de loi travail
Prenant le contre-pied de la jurisprudence de la CJUE et de la Cour de cassation, l’article 41 du projet de loi introduit une nouvelle1 exception au principe de l’article L. 1224-1 selon lequel le transfert d’une entité économique autonome entraîne la reprise automatique des contrats de travail des salariés affectés à l’activité par le repreneur.
Ainsi, selon ledit article 41, un employeur pourrait mettre en oeuvre, avant un transfert d’activité, un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) prévoyant dans le plan de reclassement une ou plusieurs cession(s) d’entité(s) économique(s). Présentée comme un moyen d’éviter une fermeture de site ou d’établissement et de protéger une partie des emplois, la cession emporterait le transfert automatique des contrats de travail limité au nombre d’emplois qui ne seraient pas supprimés dans le cadre du PSE.
Ce nouveau régime s’appliquerait aux seules entreprises tenues d’établir un PSE (c’est-à-dire les entreprises d’au moins 50 salariés, envisageant sur une même période de 30 jours, 10 licenciements ou plus pour motif économique) et soumises à l’obligation de proposer un congé de reclassement (entreprise de plus de 1 000 salariés ou appartenant à un groupe de plus de 1 000 salariés sur l’Union européenne).
Si l’on peut regretter que cette disposition soit réservée aux seuls grands groupes, son intérêt mérite d’être souligné. Il conviendra donc de suivre avec attention l’évolution de ce texte qui ne manquera pas de rencontrer des obstacles dans sa bonne mise en oeuvre, du fait notamment de l’exception qu’il créée au principe d’ordre public du transfert des contrats de travail.
Note
1 Deux autres exceptions sont applicables en cas de procédures collectives et de reprise de la société par les salariés.
Auteur
Maïté Ollivier, avocat en droit social
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