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L’imposition de la quote-part de frais et charges sur les dividendes constitue-t-elle une imposition du dividende ?

L’imposition de la quote-part de frais et charges sur les dividendes constitue-t-elle une imposition du dividende ?

Par un arrêt en date du 27 janvier 2022, la CAA de Lyon reconnait expressément que l’imposition de la quote-part de frais et charges constitue une imposition du dividende sous-jacent et fait droit à l’imputation d’un crédit d’impôt conventionnel.

Il est communément admis que la retenue à la source étrangère grevant des dividendes éligibles au régime mère-fille[1] n’ouvre pas droit à imputation d’un crédit d’impôt en France. Cette solution repose sur l’idée selon laquelle il convient de distinguer, d’une part les dividendes qui sont totalement exonérés, et d’autre part, la quote-part de frais et charges (« QPFC ») qui correspond aux frais généraux supportés par la société mère pour la perception des dividendes et qui de ce fait ne sont pas déductibles[2].

L’article 216 du Code général des impôts (« CGI ») prévoyait d’ailleurs expressément que la QPFC était égale à 5 % du produit total des participations, crédit d’impôt compris, sans pouvoir excéder « le montant total des frais et charges de toute nature exposés par la société participante au cours de la même période ».

En raison des possibles optimisations liées à ce plafonnement, comme par exemple dans le cas de sociétés holdings n’ayant que peu de charges, et dans un souci de rendement budgétaire, la Loi de Finances pour 2011[3] a supprimé le plafonnement de la QPFC en ne laissant subsister que le taux fixe de 5 %. Les rapporteurs des Commissions des Finances de l’Assemblée Nationale et du Sénat observaient d’ailleurs que cette modification aboutissait « à l’imposition des produits perçus au taux de 1,67 %[4] ».

En 2018, le Conseil d’Etat a considéré qu’en instituant cette seule QPFC forfaitaire de 5 %, « le législateur s’était borné à préciser la portée de l’exonération qu’il instituait [c.-à-d., une exonération à hauteur de 95 %] »[5].

C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat a clarifié la nature de la QPFC de 12 % sur les plus-values à long terme (1), et que la Cour administrative d’appel (« CAA ») de Lyon a estimé que la QPFC de 5% sur les dividendes « exonérés » constituait une imposition du dividende permettant l’imputation des crédits d’impôt conventionnels (2).

  1. La QPFC de 12% sur les plus-values long terme constitue une imposition de la plus-value

La reconnaissance de ce que la QPFC constitue une imposition de la plus-value long terme a été initiée dans une décision en date du 14 octobre 2020[6], où le Conseil d’Etat s’est interrogé sur le régime d’imposition des plus-values de cessions par des sociétés non-résidentes de participations substantielles dans des sociétés françaises[7]. En raison de la contrariété de ce dispositif avec le droit de l’Union européenne, l’administration fiscale avait instauré d’elle-même une tolérance visant à appliquer à ce type d’opération le régime de droit interne d’exonération des titres de participation[8]. Or, ce dernier impose néanmoins une QPFC forfaitaire égale à 12 % de la plus-value brute[9]. Le Conseil d’Etat a alors estimé qu’il convenait de décharger totalement la société non-résidente dans la mesure où il ne revenait pas à l’administration de maintenir une imposition partielle à raison de dispositions incompatibles avec le droit de l’Union européenne.

Dans une décision du 15 novembre 2021, le Conseil d’Etat s’est interrogé sur la possibilité d’imputer des crédits d’impôt conventionnels sur l’IS dû à raison de la QPFC de 12 %, en cas de cession de titres de participation d’une société étrangère[10]. L’administration estimait dans sa doctrine qu’, « en l’absence d’imposition effective de la plus-value réalisée, aucune imputation de l’impôt étranger éventuellement acquitté au titre de la plus-value réalisée ne peut être effectuée dès lors qu’aucune double imposition ne peut être constatée[11] ». Le Conseil d’Etat pouvait toutefois, s’agissant de la QPFC de 12%, s’écarter de la décision SA Fournier Industrie et Santé de 1997 dans la mesure où la QPFC sur les plus-values est progressivement passée, pour des raisons de recettes fiscales, de 5 % à 12 %[12], et n’a jamais fait l’objet d’un plafonnement. Elle a donc été, dès l’origine, forfaitaire et mise en place dans une optique de rendement budgétaire. De ce fait, le Conseil d’Etat juge que la QPFC de 12% doit être regardée non pas comme ayant pour objet de neutraliser de manière forfaitaire la déduction de frais exposés pour l’acquisition ou la conservation d’un revenu afférent à une opération exonérée, mais comme visant à soumettre à l’IS, à un taux réduit, les plus-values de cession de titres de participation. En conséquence, les crédits d’impôt conventionnels peuvent être imputés sur l’IS dû à raison de cette QPFC.

  1. Vers une reconnaissance de la nature d’imposition de la QPFC de 5 % sur les dividendes ?

La question qui n’est pas encore totalement tranchée concerne la QPFC de 5% sur les dividendes. Au-delà de l’homonymie, l’histoire législative plus mouvementée de la QPFC de 5% impose-t-elle de la traiter différemment de la QPFC de 12% ?

La CAA de Lyon, dans un arrêt rendu le 27 janvier 2022[13] répond par la négative à cette question. Pour arriver à cette conclusion, la CAA reprend la position exprimée par le Conseil d’Etat dans sa décision Vétoquinol et juge « qu’en prévoyant, à l’article 216 du code général des impôts, la soumission à l’impôt sur les sociétés d’une quote-part des produits de participation perçus par une société mère, qui constituent des revenus dont elle a disposé, le législateur s’est borné à préciser la portée de l’exonération qu’il instituait sans soumettre à l’impôt, quel que soit le montant de cette quote-part, des revenus fictifs. Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient l’administration, la soumission à l’impôt sur les sociétés de la quote-part, fixée forfaitairement, de 5 % des dividendes en cause s’analyse comme une modalité d’imposition de l’ensemble de ces revenus en France ». La CAA en conclut que la société requérante pouvait imputer les crédits d’impôt attachés à ces revenus sur l’IS afférent à la QPFC de 5%.

La CAA de Lyon a donc pris une position opposée à la jurisprudence SA Fournier Industrie et Santé du Conseil d’Etat. Dans ces conditions, il semble que cette jurisprudence, rendue sur la base d’un texte qui prévoyait un plafonnement aux charges réellement exposées, doive être réexaminée. C’est en tout cas la position clairement exprimée par le Rapporteur Publique Merloz dans ses conclusions sur une décision M. et Mme C du 14 février 2022[14]. Au cas particulier, il ne s’agissait pas de l’imputation de crédits d’impôt mais de l’appréciation du caractère privilégié d’un régime fiscal étranger au sens de l’article 238 A du CGI. La question sous-jacente est cependant identique : l’imposition de la QPFC de 5% constitue-t-elle une imposition ?

Pour Marie-Gabrielle Merloz, même si le Conseil d’Etat n’a pas eu l’occasion de réexaminer sa position depuis la suppression du plafonnement, les décisions QPC du 5 mars 2018, Sté Vicat et Sté Vétoquinol traduisent un certain infléchissement en faveur de l’imposition. Par ailleurs, et même si elle a été rendue dans un contexte différent, la décision Sté L’Air Liquide pourrait constituer une source d’inspiration pour revisiter la nature de la QPFC de 5%. Marie-Gabrielle Merloz conclut sa démonstration en estimant que « vous aurez saisi le fond de notre pensée : la discussion est plus ouverte mais ces éléments nous paraissent tendre vers une logique d’imposition des produits de participations au taux effectif de 1,67 % ».

Nous comprenons que le Conseil d’Etat devrait connaître prochainement de la problématique de la nature de la QPFC de 5% en raison d’une part d’un pourvoi en cassation formé à l’encontre de l’arrêt de la CAA de Lyon et d’autre part, d’un recours pour excès de pouvoir visant à contester la doctrine administrative sur ce point. De ce fait, nous ne pouvons que recommander aux contribuables concernés de préserver leurs droits en déposant des réclamations visant à obtenir la restitution de l’IS afférent à l’imputation des crédits d’impôt conventionnels à hauteur de l’IS dû à raison de la QPFC. N’oublions pas en effet que l’imputation des crédits d’impôt est limitée par la règle dite du « butoir » qui limite l’imputation du crédit d’impôt au montant de l’IS afférent au revenu sous-jacent.

Article paru dans Option Finance 28/04/2022

[1] Régime prévu aux articles 145 et 216 du CGI

[2] CE 23 avril 1997 n° 145611, SA Fournier Industrie et Santé

[3] Article 6 du projet de loi de finances pour 2011 devenu l’article 10 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011

[4] Ceci, pour un taux d’IS de droit commun à l’époque de 33,1/3 % ; voir Rapport n° 2857, tome II de la Commission des finances de l’Assemblée nationale page 117 et Rapport n° 111, Tome II de la Commission des finances du Sénat

[5] CE QPC 5 mars 2018 n° 416567, Sté Vétoquinol et n° 416514, Sté Vicat

[6] CE 14 octobre 2020 n° 421524, Sté AVM International Holding

[7] Article 244 bis B du CGI

[8] BOI 4 B-1-08 du 4 avril 2008

[9] Article 219, I-a quinquies du CGI

[10] CE 15 novembre 2021 n° 454105, Sté L’Air Liquide

[11] BOI-IS-BASE-20-20-10-20 n° 180 du 3 février 2016

[12] L’article 4 de la Loi n° 2011-117du 19 septembre 2011, de finances rectificative pour 2011, a porté ce taux de 5 à 10 % ; l’article 22 de la Loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, de finances pour 2013, ayant porté ce taux de 10 à 12 %

[13] CAA Lyon 27 janvier 2022 n° 20LY00698, Sté A. Raymond et Cie

[14] CE 14 février 2022 n° 442061, M. et Mme C

Auteurs

Benoît Foucher, avocat counsel en droit fiscal

Maxime Carpentier, fiscaliste