De l’impossibilité de reproduire une œuvre dont la distribution a été autorisée sur un support différent de celui initialement prévu
La directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 protège les auteurs d’œuvres artistiques en leur garantissant tout à la fois un droit de regard sur les possibles usages de leurs créations et une juste rémunération sur les profits que pourraient en tirer des tiers.
La Cour de justice de l’Union européenne a été saisie à titre préjudiciel d’une question délicate d’interprétation de ce texte. En l’espèce, une société avait été autorisée par Pictoright, l’organisme néerlandais de gestion collective des droits d’auteurs, à reproduire sur des affiches les peintures de différents artistes. Dans le cadre de cette exploitation, la société avait proposé des affiches à la vente, mais également des transferts desdites affiches sur toile de peintre. Pictoright a considéré que ce type de reproduction allait au-delà de l’autorisation d’exploitation accordée, tandis que la société défendait l’idée qu’il s’agissait d’un usage licite des Å“uvres.
La difficulté de la question tenait notamment à la particularité du procédé technique employé. En effet, pour opérer le transfert sur toile, un laminé est appliqué sur une affiche en papier. Par la suite, un procédé chimique permet le transfert de l’image du papier sur une toile de peintre vierge. Enfin, cette toile est tendue sur un cadre de bois. L’image qui était reproduite sur l’affiche papier a alors disparu ; il n’y a donc pas de multiplication des copies. Par ailleurs, l’encre reproduisant l’œuvre n’est pas affectée, et l’œuvre représentée ne subit aucune modification ou dégradation. La modification concernée est ainsi uniquement une substitution du support de l’œuvre.
La Cour a interprété de manière très littérale les termes de l’article 4 de la directive 2001/29/CE, lequel dispose : « Les Etats membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public […] de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles-ci. Le droit de distribution […] relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre n’est épuisé qu’en cas de première vente […] de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement« . Elle juge que « l’épuisement du droit de distribution s’applique à l’objet tangible dans lequel une œuvre protégée ou sa copie est incorporée« , et non à la création elle-même (CJUE, 22 janvier 2015, C-419/13, point 40).
Cette interprétation peut surprendre. En pratique, elle est guidée par l’esprit général des textes régissant le droit d’auteur, qui vise à apporter un niveau de protection élevé. Elle est certainement également motivée par la différence des supports utilisés, le transfert sur toile permettant de pratiquer des prix supérieurs et d’attirer une clientèle différente. Par ailleurs, cette technique permet des reproductions plus durables, de meilleure qualité et plus proches des œuvres originales. Ainsi, les droits d’auteur versés en contrepartie de la reproduction des œuvres, envisagée seulement sur des affiches, sont sous-évalués du fait de la montée en gamme du support commercialisé. La question peut donc se poser de savoir si la solution aurait été et devrait être la même en cas de transfert d’une œuvre sur un autre support de qualité équivalente (par exemple, des cartes postales et des affichettes, la différence se trouvant alors dans l’existence d’un verso permettant d’indiquer une adresse) ?
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Hélène Chalmeton, juriste au sein du Département droit des affaires, en charge du knowledge management.