L’inadaptation de la loi fiscale à la pratique des restructurations et des cessions de groupes
La compétitivité des groupes de sociétés passe par une adaptation aisée de leurs structures. La loi fiscale et la doctrine administrative demeurent pourtant inadaptées à la pratique des affaires dans bien des circonstances. Examen à la lumière de la doctrine administrative sur la notion de holding animatrice et de la récente réforme des plus-values mobilières
1. La notion de holding animatrice à l’épreuve de la pratique des cessions
La conférence organisée le 10 juin 2013 sous l’égide de l’Institut des Avocats Conseils Fiscaux a été l’occasion, pour l’administration centrale, d’annoncer l’évolution récente de sa doctrine concernant la notion de « holding animatrice de groupe ». L’animation du groupe supposerait désormais le contrôle exclusif par le holding de ses filiales, sans exception.
Au-delà des nombreux arguments techniques – d’ores et déjà été développés dans ces colonnes(1) – qui permettent de contrer cette doctrine, l’examen de situations pratiques courantes conforte les doutes que l’on peut avoir sur sa pertinence.
La thèse de l’administration aboutit en effet à contester le caractère animateur du holding chaque fois que celui-ci, à l’occasion de la cession de l’une de ses filiales, est conduit (à la demande du cessionnaire) à « accompagner » la cession en conservant, pendant une période intercalaire, une participation reliquataire. Cette situation, courante dans la pratique des cessions d’entreprises, entrainerait mécaniquement la remise en cause du caractère animateur (quand bien même le holding resterait détenir et contrôler de nombreuses filiales), et la déchéance corrélative de l’exonération d’ISF au titre des biens professionnels. Paradoxalement, et alors même que la doctrine administrative reconnait aux titres de participation la nature d’actif social professionnel au regard de l’ISF, l’actionnaire d’un holding détenteur d’une participation reliquataire pendant une période transitoire d’accompagnement (condition de la cession) serait traité plus sévèrement que celui d’un holding qui se départit de tout risque capitalistique au titre de la participation cédée !
Le même constat s’impose, symétriquement, en cas d’acquisition par le holding d’une participation par fractions successives ; le cédant « accompagnant » la cession pendant une phase intercalaire d’observation, le holding peut se trouver ne détenir au départ qu’une participation minoritaire, le temps de prendre le pouls de la cible (cette situation préfigurant couramment une véritable prise de contrôle).
En contestant le caractère animateur du holding dans de telles hypothèses, la doctrine administrative méconnait la réalité du fonctionnement des cessions d’entreprises, et l’objectif maintes fois mis en exergue par le législateur de « mobilité des structures des entreprises » comme garant de notre compétitivité.
S’agissant de la détention d’une société holding animatrice, une autre difficulté récurrente tient à l’appréciation de la prépondérance de l’activité d’animation. L’instruction administrative de mars 2012, commentant les dispositions de l’article 885 I bis du CGI, édicte des critères d’appréciation de la prépondérance de l’activité éligible d’une société dont les titres font l’objet d’un engagement collectif de conservation (« pacte Dutreil ISF »). Ces critères (chiffre d’affaires notamment) ne sont toutefois pas adaptés à la pesée de l’activité d’animation. De sorte que, alors même que cette instruction confirme l’éligibilité des titres d’une société holding animatrice au pacte Dutreil, on ignore toujours à l’aune de quels paramètres l’administration entend apprécier la prépondérance de l’animation en cas d’exercice par la société d’une activité civile accessoire. Il est impérieux de lever l’insécurité qui en résulte, ce d’autant que cette difficulté (à l’instar de celle attachée à la définition même de l’animation) se pose de façon analogue en cas de détention et de transmission (c’est-à -dire pour l’application du « pacte Dutreil transmission »).
2. Quelques difficultés posées par la réforme des plus-values sur titres
La loi de finances pour 2014 contient une nouvelle réforme des plus-values de cession de valeurs mobilières et droits sociaux. L’intégration des plus-values au barème progressif de l’impôt sur le revenu est sanctuarisée, mais deux types d’abattements sont susceptibles de s’appliquer, en fonction de la durée de détention des titres cédés : 50% à 65% dans le régime de droit commun, le taux de l’abattement « renforcé » pouvant atteindre 85% dans le cas de certains régimes dérogatoires, dont celui des cessions de titres de PME souscrits ou acquis dans les 10 ans de sa création (régime dit des « pigeons »).
Au-delà de l’effet d’annonce attaché à ce dispositif, il est permis de s’interroger sur sa portée réelle, et sa réelle mise en œuvre s’agissant de la cession de titres de PME représentatifs d’un groupe de sociétés.
On relève en premier lieu que le législateur, en prévoyant que « l’abattement renforcé s’applique (…) lorsque la société émettrice des droits cédés (…) exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, à l’exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier », exclut du régime de faveur la cession de titres de société holding interposée. La détention d’une société ou d’un groupe, au travers d’un échelon de holding (interposition d’une société holding familiale par exemple) est donc sévèrement pénalisée, alors même que la société sous-jacente (et ses éventuelles filiales) peut (peuvent) parfaitement satisfaire à tous les critères de PME édictés par le texte. Cette exclusion pénalise une forme de structuration très courante, et on peine à la comprendre.
La situation n’est pas plus simple s’agissant de la cession de titres d’une société holding animatrice de groupe. L’article 17 de la loi de finances, qui modifie notamment l’article 150-0 D du CGI, prévoit en effet que « lorsque la société émettrice des droits cédés est une société holding animatrice au sens du dernier alinéa du VI quater du même article 199 terdecies-0 A, le respect des conditions mentionnées au présent 1° s’apprécie au niveau de la société émettrice et de chacune des sociétés dans laquelle elle détient des participations ». Cette exigence est d’autant plus rigoureuse que la jurisprudence du Conseil d’Etat invite d’ores et déjà , quand la société dont les titres sont cédés tient des comptes consolidés, à faire masse des sociétés du périmètre de consolidation pour apprécier les seuils (effectif, chiffre d’affaires, total du bilan) qui caractérisent la PME, limitant l’accès au dispositif…
Faut-il craindre, en l’état, que la filialisation de l’immobilier du groupe dans une filiale dédiée rende la holding animatrice inéligible au régime dérogatoire ? Quid de l’existence d’une participation acquise sur fonds d’emprunt, et dont la présence dans le périmètre de cession (ne satisferait-elle pas à la définition de « jeune PME ») n’affecterait par hypothèse pas le prix de cession des titres de la holding ? Faut-il comprendre en revanche que, faute de viser les participations indirectes, le législateur entend se montrer moins exigeant à l’endroit des sous-filiales ?
L’une des six conditions requises (parmi les « conditions mentionnées au présent 1° ») prévoit que « la société (comprenons ici la société holding et chacune de ses filiales directes) est créée depuis moins de dix ans et n’est pas issue d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise d’activité préexistante. Cette condition s’apprécie à la date d’acquisition ou de souscription des droits cédés ». L’exclusion des sociétés issues d’une concentration, restructuration, extension ou reprise d’activité préexistante est de nature à soulever des difficultés : prive-t-elle du régime dérogatoire la société holding qui aurait bénéficié d’un apport de titres de filiales éligibles ? Ou encore celle qui, pour avoir cédé ou absorbé une participation non éligible, recèlerait leur contre-valeur, les titres représentatifs de son capital étant dès lors affectés d’une forme de vice indélébile ? La jurisprudence rendue pour l’application du III de l’article 44 sexies du CGI (à l’endroit d’entités qualifiées « d’entreprises nouvelles » selon une terminologie comparable à celle retranscrite ci-dessus), devrait contenir certains éléments de réponse aux questions que ne manquera pas de soulever cette exclusion.
Souhaitons que la doctrine appelée à commenter ce dispositif contienne des assouplissements, sans lesquels l’abattement renforcé risque de ne jamais s’appliquer aux cessions de titres représentatifs de groupes de PME. Est-il raisonnablement concevable que ce régime de faveur, prime à l’investissement dans de jeunes entreprises, soit en pratique fermé aux investisseurs qui, pour des raisons de diversification d’activités ou de structuration patrimoniale, interviennent au travers d’un holding dédié, comme le requiert au demeurant la législation applicable en matière d’ISF ?
1. Option finance du 25 février 2013 : Notion de contrôle ISF et apport-cession
A propos de l’auteur
Olivier de Saint Chaffray, avocat associé spécialisé en fiscalité, il intervient plus particulièrement en matière de conseils, commentaires, rédactions d’actes et contentieux dans les domaines suivants : fiscalité d’entreprise (assistance au quotidien de clients sur des questions de fiscalité directe, opérations de fusions & acquisitions et de restructurations, gestion et assistance dans les contrôles et contentieux fiscaux), fiscalité des personnes physiques et fiscalité immobilière et financière.
Article paru dans la revue Option Finance du 27 janvier 2014