L’incidence du congé de reclassement sur la participation
12 décembre 2018
Par un arrêt du 7 novembre 2018, la Cour de cassation a décidé que les salariés en congé de reclassement doivent être bénéficiaires de l’accord de participation applicable dans leur entreprise (Cass. soc., 7 novembre 2018, n°17-18.936, 17-18.937, 17-18.940, 17-18.941, 17-18.942, 17-18.943). Cet arrêt soulève plus d’interrogations qu’il ne résout de questions : quel impact sur le calcul de la réserve spéciale de participation et sur sa répartition ?
Rappels liminaires sur le congé de reclassement et la participation
Sur le congé de reclassement. Dans les entreprises ou groupes d’au moins 1 000 salariés procédant à un licenciement pour motif économique, l’employeur doit proposer à chaque salarié concerné un congé de reclassement. Ce congé, d’une durée variable, a pour objet de permettre au salarié de bénéficier d’actions de formation et de l’aide d’une cellule d’accompagnement pour ses démarches de recherche d’emploi (C. trav., art. L.1233-71). Le congé de reclassement est pris pendant le préavis, que le salarié est dispensé d’exécuter. Si la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme du préavis, et donc la rupture effective du contrat de travail, est reporté jusqu’à la fin du congé (C. trav., art. L.1233-72).
Pendant la période de congé correspondant à la durée du préavis, l’employeur verse la rémunération habituelle du salarié. Pendant la durée du congé excédant le préavis, le salarié perçoit une allocation mensuelle dont le montant est au moins égal à 65% de son salaire brut moyen.
Sur la participation. Afin de distribuer de la participation à leurs salariés, les entreprises employant habituellement au moins 50 salariés sont tenues de constituer une réserve spéciale de participation dont le montant est calculé au titre de chaque exercice. La formule légale de la réserve spéciale de participation est la suivante : ½ (B – 5 C/100) x (S/VA). Dans cette formule, B représente le bénéfice net de l’entreprise, C les capitaux propres, S les salaires et VA la valeur ajoutée.
La réserve spéciale de participation est ensuite répartie entre les bénéficiaires selon des critères prévus par l’accord collectif de participation : en fonction du salaire, du temps de présence ou encore de manière uniforme. Tous les salariés d’une entreprise sont en principe bénéficiaires de la participation. La détermination des bénéficiaires est fondée sur le critère de l’appartenance juridique à l’entreprise, laquelle se traduit par l’existence d’un contrat de travail (Guide épargne salariale juillet 2014). Les accords de participation peuvent simplement exiger une condition d’ancienneté, qui ne peut excéder trois mois (C. trav., art. L.3342-1).
Sur la qualité de bénéficiaire de la participation des salariés en congé de reclassement
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation précité, des salariés ayant bénéficié d’un congé de reclassement avaient réclamé à leur ancien employeur un rappel de participation pour la période correspondant au congé de reclassement.
Pour s’opposer à ces demandes, l’employeur faisait notamment valoir que la suspension du contrat de travail qui résulte du congé de reclassement accepté par les salariés ne s’analyse pas en une période de présence, ni en une période de travail effectif ou assimilée.
Toutefois, et comme précédemment explicité, la qualité de bénéficiaire de la participation n’est pas liée à la suspension du contrat de travail mais à l’existence d’un contrat de travail entre le salarié et l’employeur. Dès lors que la rupture du contrat de travail n’est effective qu’à l’issue du congé de reclassement, les salariés en congé de reclassement doivent être bénéficiaires de la participation.
C’est pourquoi la Cour de cassation a décidé logiquement, dans un attendu de principe, que « sous réserve d’une condition d’ancienneté qui ne peut excéder trois mois, tous les salariés d’une entreprise compris dans le champ des accords de participation bénéficient de leurs dispositions, de sorte que les titulaires d’un congé de reclassement, qui demeurent salariés de l’entreprise jusqu’à l’issue de ce congé […], bénéficient de la participation […] » (Cass. soc., 7 novembre 2018, précité) et a rejeté le pourvoi de l’employeur contre les arrêts de la cour d’appel de Paris du 30 mars 2017 (CA Paris, 30 mars 2017, n°15/00652, 15/00653, 15/00655, 15/00656, 15/00657 et 15/00658).
Semble toutefois plus discutable la suite de son attendu selon laquelle les salariés en congé de reclassement sont bénéficiaires de la participation « que leur rémunération soit ou non prise en compte pour le calcul de la réserve spéciale de participation ».
Sur la prise en compte de l’allocation de congé de reclassement dans le calcul de la réserve spéciale de participation
Il est regrettable que la Cour de cassation ne se soit ainsi pas prononcée sur le fait de savoir si les sommes versées pendant le congé de reclassement au-delà de la durée du préavis doivent être retenues pour le calcul du montant de la réserve spéciale de participation et pour sa répartition entre les salariés.
Selon l’article D. 3324-1 du Code du travail, les salaires à retenir pour le calcul du montant de la réserve spéciale de participation sont les revenus d’activité tels qu’ils sont pris en compte pour la détermination de l’assiette des cotisations définie à l’article L.242-1 du code de la sécurité sociale. Rappelons à cet égard que, selon cet article L.242-1, sont assujetties aux cotisations sociales « toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail ».
Afin de déterminer si les allocations de congé de reclassement doivent être retenues dans le calcul de la réserve spéciale de participation, la question se pose dès lors de savoir si le renvoi à l’article L.242-1 vise exclusivement les rémunérations effectivement soumises à cotisations sociales ou, plus largement, celles qui répondent à la définition du salaire donnée par cet article L.242-1, peu important alors que ces sommes soient éventuellement exonérées de cotisations sociales en application d’un texte spécial ou encore parce que le salarié relèverait d’un régime de sécurité sociale étranger (cas des salariés expatriés) :
- si le renvoi à l’article L.242-1 ne vise que les rémunérations effectivement soumises à cotisations, les allocations de congé de reclassement ne devraient pas entrer dans le calcul de la réserve spéciale de participation puisqu’elles sont expressément exonérées de cotisations sociales en application de l’article L.131-2 du Code de la sécurité sociale ;
- si, en revanche, le renvoi à l’article L.242-1 vise tous les éléments de rémunération, les allocations de congé de reclassement devraient être intégrées dans le calcul de la réserve spéciale de participation dès lors qu’elles sont bien versées en considération de la qualité de salarié de leurs bénéficiaires et, donc, « en contrepartie ou à l’occasion du travail ». Si cette analyse devait prévaloir, il faudrait, en toute logique, s’interroger sur la prise en compte, pour le calcul de la réserve spéciale de participation, d’autres sommes également « versées en contrepartie ou à l’occasion du travail » échappant pareillement aux cotisations sociales du fait d’une exonération particulière, telles que les indemnités de licenciement et les dommages et intérêts alloués par un juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (sommes traditionnellement exclues en pratique du calcul de la participation par les employeurs).
Par la formule sibylline « que leur rémunération soit ou non prise en compte pour le calcul de la réserve spéciale de participation », la Haute juridiction s’abstient de répondre à cette question et laisse subsister une incertitude regrettable.
Sur la répartition de la participation entre les bénéficiaires
En refusant de se positionner quant au calcul de la réserve spéciale de participation, la Cour de cassation s’abstient également de se prononcer clairement sur sa répartition entre les bénéficiaires.
Le montant de la réserve spéciale de participation est réparti entre les bénéficiaires proportionnellement à leur salaire si c’est ce critère de répartition qui est prévu par l’accord collectif de participation (C. trav., art. L.3324-5). Le salaire servant de base à cette répartition est défini par référence à l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale (C. trav., art. D. 3324-10).
Là encore, la question se pose de savoir si ce renvoi textuel vise les rémunérations qui représentent par essence du salaire au sens du droit de la sécurité sociale ou seulement celles qui sont effectivement assujetties à cotisations.
Il nous semble que cette seconde interprétation aurait pu prévaloir.
D’abord, parce que, dans l’esprit des praticiens, la référence à l’article L.242-1 vise à l’évidence les sommes effectivement assujetties à cotisations, c’est-à-dire celles figurant sur feu la déclaration annuelle des données sociales (DADS).
Ensuite, car les salariés en congé de reclassement sont dispensés d’activité et ne participent plus ni à la réalisation du bénéfice de l’entreprise ni à la constitution de la réserve spéciale de participation. Il semblerait dès lors juste que les allocations qu’ils perçoivent ne leur génèrent pas de droit à participation au détriment du reste du personnel de l’entreprise.
A la lecture de l’arrêt précité, la Cour de cassation semble toutefois considérer, sans l’exprimer de manière très explicite, que l’allocation de congé de reclassement doit être prise en compte pour la répartition en fonction du salaire de la réserve spéciale de participation entre les bénéficiaires.
Suivant sa volonté de faire bénéficier le plus grand nombre de la participation, la Cour de cassation semble opérer une confusion entre la qualité de bénéficiaire des salariés en congé de reclassement (dont la qualité ne peut être discutée) et la répartition de la réserve spéciale de participation. Un salarié peut pourtant être bénéficiaire sur le plan des principes mais ne percevoir aucune prime de participation en application des critères de répartition.
Pour conclure, on peut s’interroger sur ce que déciderait la Haute juridiction dans une hypothèse où la répartition entre les bénéficiaires serait prévue proportionnellement à la durée de présence et non pas en fonction des salaires.
Conviendrait-il alors d’assimiler la dispense d’activité inhérente au congé de reclassement à du temps de présence ? Une telle solution, cohérente avec la décision ici commentée, serait assurément critiquable, en particulier parce que le congé de reclassement ne figure pas au nombre des absences assimilées à de la présence par la loi (maladie professionnelle, congé de maternité, etc.).
Auteurs
Matthieu Beaumont, avocat, en droit social
L’incidence du congé de reclassement sur la participation – Article paru dans Les Echos Exécutives le 7 décembre 2018
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