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L’intérêt à agir exclut la possibilité pour un syndicat professionnel de demander la régularisation de situations individuelles de salariés

L’intérêt à agir exclut la possibilité pour un syndicat professionnel de demander la régularisation de situations individuelles de salariés

Par deux arrêts du 6 novembre 2024 (Cass. soc., 6 novembre 2024, n°22-21.966 et n°22-17.106), la Cour de cassation a opportunément rappelé ce qui relève de la notion d’intérêt collectif de la profession dans le cadre du droit d’agir en justice pour un syndicat professionnel.

 

Cette dernière notion, qui fête aujourd’hui ses plus de 100 ans, a été initialement créée par la jurisprudence, puis a été consacrée par la loi du 12 mars 1920 à l’article L.411-11 devenu l’article L.2132-3 du Code du travail.

 

Il en résulte que les syndicats peuvent agir en justice pour défendre les intérêts de la profession qu’ils représentent. L’intérêt collectif de la profession constitue une condition de l’action en justice d’un syndicat et ne doit pas se confondre avec l’intérêt général ni avec les intérêts individuels des salariés.

 

Dans les deux affaires du 6 novembre 2024, des syndicats professionnels agissaient en justice aux fins :

 

    • (i) de faire appliquer des dispositions conventionnelles dans l’entreprise ;
    • (ii) d’être indemnisés du préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession ;
    • et (iii) d’obtenir la régularisation individuelle des salariés concernés.

 

Dans la première affaire (n° 22-21.966), la cour d’appel de Versailles (1) considérait qu’un syndicat, recevable pour exiger l’exécution d’un accord, était également recevable, par voie de conséquence, pour demander la régularisation des situations individuelles des salariés concernés par l’irrégularité.

 

Sa décision revenait à admettre que le syndicat puisse agir en paiement des jours fériés, habituellement chômés, des salariés placés en activité partielle, jusque-là payés à hauteur de 70% de leur rémunération.

 

Dans la seconde affaire (n°22-17.106), la cour d’appel de Paris (2) considérait que les syndicats étaient recevables à demander la régularisation des situations individuelles des salariés, en ce que l’inapplication d’un accord causait nécessairement un préjudice à l’intérêt collectif de la profession, qu’un syndicat signataire d’un accord collectif avait nécessairement la qualité à agir et, qu’ainsi, un syndicat pouvait solliciter la reconstitution de carrière des salariés lésés par le non-respect des dispositions conventionnelles liées au gel temporaire des évolutions de carrière.

 

Malgré l’ancienneté des notions d’« intérêt à agir » et d’« intérêt collectif de la profession », la question de leurs contours ne faisait manifestement pas encore l’unanimité, nécessitant un pourvoi en cassation des sociétés dans les deux affaires.

 

La question posée devant la Cour de cassation était la suivante : un syndicat professionnel a-t-il qualité à agir au titre des droits individuels que les salariés tirent d’un accord collectif, tels qu’une reprise d’échelons d’ancienneté avec reconstitution de carrière et rattrapage salarial ou le versement de rappels de salaires concernant des jours fériés situés en activité partielle ?

 

La Cour de cassation a cassé les deux arrêts d’appel par des arrêts publiés au bulletin le 6 novembre 2024, en statuant au visa de l’article L.2132-3 du Code du travail.

 

Pour la Cour de cassation, si un syndicat est recevable à faire constater une irrégularité commise par l’employeur au regard des dispositions légales, réglementaires, ou conventionnelles ou au regard du principe d’égalité de traitement, à demander qu’il soit enjoint de mettre fin à ces irrégularités, et à se voire indemniser au titre du préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession, il ne l’est pas à demander la régularisation de la situation individuelle des salariés concernés.

 

La demande de régularisation de la situation individuelle des salariés nécessitait, pour qu’il y soit fait droit :

 

⇒ Dans la première affaire, d’identifier les personnes concernées, de déterminer les jours fériés chevauchant les périodes d’activité partielle éventuellement subies par chacune d’elles, de calculer en fonction du niveau de rémunération de chaque salarié concerné, l’arriéré leur étant dû et de condamner l’employeur à leur régler personnellement, ce qui tendait à voir modifier la situation individuelle des salariés concernés, relevant de la liberté personnelle de chacun d’eux quoique non nommément désignés.

 

⇒ Dans la deuxième affaire, de calculer précisément, salarié par salarié, l’ancienneté acquise dans l’entreprise en fonction de leur date d’arrivée et, pour les salariés ayant rejoint l’entreprise au cours du plan de transformation, du nombre de mois supprimés par l’effet de la mesure de gel d’échelons imposé par l’employeur ainsi que de l’arriéré de salaire qui en découlait pour chacun d’eux, ce qui relevait de l’appréciation de la situation individuelle et de la revendication de droits liés à la personne de chacun des salariés concernés et de leur liberté d’agir en justice.

 

Or, si un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier, il ne peut prétendre obtenir la condamnation de l’employeur à régulariser la situation des salariés concernés. Le fait que le syndicat soit signataire de l’accord collectif litigieux n’est pas de nature à ôter tout caractère individuel aux demandes formulées, pour lesquelles le syndicat n’a pas qualité à agir.

 

C’est ainsi que la Cour de cassation casse les deux arrêts rendus par les cours de Versailles et Paris pour violation des dispositions de l’article L.2132-3 du Code du travail.

 

Ces décisions permettent à la Cour suprême de réaffirmer sa position.

 

A noter que la Cour de cassation considérait déjà que si un syndicat pouvait agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier, une telle action était irrecevable quand seul un intérêt individuel était lésé, par exemple lorsque l’action tendait à obtenir l’inopposabilité de conventions individuelles de forfait en jours et un décompte du temps de travail des salariés concernés selon les règles du droit commun (Cass. soc., 15 décembre 2021, n°19-18.226 ; dans le même sens : Cass. soc., 6 juillet 2022, n°21-15.189) ou à obtenir le paiement d’heures supplémentaires (Cass. soc., 14 décembre 2016, n°15-20.812).

 

Aussi, au fur et à mesure des décisions rendues, la chambre sociale de la Cour de cassation précise la ligne de partage existante, au regard de l’action syndicale, entre l’intérêt collectif et l’intérêt individuel, écartant la possibilité pour le syndicat de demander au juge d’enjoindre à l’employeur de procéder à des régularisations de situations individuelles.

 

Seul le salarié concerné reste habilité à solliciter la régularisation de sa situation individuelle et est libre d’agir en justice à cette fin.

 

AUTEURS

 

Anaïs Vandekinderen, Avocate Counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats

Dimitri Hamel, Élève-avocat HEDAC, Stagiaire CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) Cour d’appel de Versailles, 15 septembre 2022 n°21/00945
(2) Cour d’appel de Paris, 31 mars 2022 n°21/01268