Litiges de propriété intellectuelle impliquant une personne publique : compétence du juge judiciaire
Depuis l’adoption de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011, l’article L. 331-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que les actions relatives à la propriété littéraire et artistique « sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire« .
Si, lors de son adoption, cette disposition avait pour objet d’instaurer une spécialisation de certains tribunaux judiciaires, ainsi qu’en témoignent les travaux parlementaires de l’époque, elle a néanmoins soulevé une question : celle de savoir si dans le cadre de litiges relevant normalement de la compétence du juge administratif, le TGI devait, à titre dérogatoire, intervenir.
C’est de cette question que le Conseil d’Etat a décidé de saisir le Tribunal des conflits, dans le cadre de deux recours distincts.
Dans la première affaire, le contentieux était né de l’exécution d’un marché public. Or en la matière, les marchés publics étant des contrats administratifs du fait de la loi1, la compétence de principe pour ce qui concerne leur conclusion et leur mise en Å“uvre est normalement dévolue au juge administratif. Cette disposition s’oppose donc à la règle de compétence prévue par le Code de propriété intellectuelle.
Au cas d’espèce, le Tribunal des conflits a jugé que « par dérogation à la règle […] la recherche de la responsabilité contractuelle des personnes morales de droit public en matière de propriété littéraire et artistique, relève, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2011, de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire » (TC, 7 juillet 2014, n°3955). Dans la seconde affaire, aucun contrat n’avait été conclu entre la personne publique et un photographe titulaire de droits d’auteur. Le Tribunal des conflits en a déduit a fortiori que la compétence d’exception de la juridiction judiciaire devait prévaloir sur la règle de compétence de droit commun de la juridiction administrative (TC, 7 juillet 2014, n°3954).
Ce faisant, le Tribunal des conflits unifie le contentieux de la propriété intellectuelle, en étendant au domaine des droits d’auteur la règle de compétence qu’il avait déjà consacrée en matière de dessins et modèles2, de marques3, de brevets4, d’indications géographiques et d’obtentions végétales5.
Ce nouveau principe est d’une grande importance en ce qui concerne l’élaboration et l’exécution des contrats administratifs. La solution dégagée en matière de marchés publics est en effet transposable aux contrats de partenariat, aux délégations de service public, aux concessions de travaux publics, ou encore aux conventions domaniales. Les personnes publiques et leurs cocontractants devront donc, en pratique, rédiger les clauses de propriété intellectuelle figurant dans leurs contrats, en se fondant désormais sur les règles dégagées par la jurisprudence de droit privé. Une approche coordonnée des spécialistes de droit public avec ceux traitant du droit de la propriété intellectuelle et industrielle est donc plus que jamais nécessaire pour les nombreux contrats publics présentant de tels aspects.
Notes
1 Article 2 de la loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 dite « loi Murcef«Â
2 TC, 2 mai 2011, n°3770, sur le fondement de l’article L. 521-3-1 du Code de propriété intellectuelle
3 TC, 27 juin 1988, n°2542
4 TC, 6 juin 1989, n°2572
5 Dispositions harmonisées par la loi du 17 mai 2011, selon la même rédaction qu’en matière de droits d’auteur (pour les indications géographiques et les obtentions végétales)
Auteur
François Tenailleau, avocat associé en droit public des affaires