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L’obligation de reclassement en cas d’inaptitude à tout emploi enfin allégée ?

L’obligation de reclassement en cas d’inaptitude à tout emploi enfin allégée ?

La loi relative au dialogue social et à l’emploi du 17 août 2015 a réformé l’article L126-12 du Code du travail relatif au licenciement des salariés inaptes pour raison professionnelle, en supprimant partiellement l’obligation préalable de reclassement.


Pour bien cerner les changements qui en découleront pour les praticiens, il convient de rappeler préalablement l’état antérieur du droit qui continuera à s’appliquer aux licenciements pour inaptitude d’origine non professionnelle.

Licenciements pour inaptitude professionnelle : une obligation de reclassement inchangée

Depuis de nombreuses années, la Cour de Cassation considère que l’obligation de reclassement du salarié est d’ordre public.

Cette obligation ne pose le plus souvent pas de problème en cas d’inaptitude partielle ou temporaire, l’employeur parvenant à répondre aux recommandations du Médecin du travail et à aménager le poste en conséquence.

Il n’en reste pas moins que même dans ce cas, il est parfois nécessaire de solliciter le Médecin du travail pour qu’il précise la nature des restrictions partielles afin d’éviter toute interprétation erronée et préjudiciable aux salariés. Ainsi par exemple, l’employeur ne peut décider seul du sens à donner à la contrainte suivante : «éviter des mouvements du haut du corps répétés». Il lui appartient de demander au Médecin du travail de préciser de quels mouvements il s’agit, ainsi que la fréquence acceptable et les éventuelles préconisations d’aménagement du poste en découlant.

Plus délicat, est le cas des salariés déclarés, après deux visites espacées de quinze jours, «inaptes à tout poste dans l’entreprise». On pouvait penser qu’il s’agissait là d’un avis médical clair, écartant toute possibilité de reclassement. Or, il n’en est rien. La Cour de cassation considère de manière constante qu’un tel avis « ne dispense pas l’employeur de rechercher une possibilité de reclassement au sein de l’entreprise et le cas échéant du Groupe, par la mise en œuvre de mesures telles que : mutation, transformation de poste de travail ou aménagement du temps de travail ». (Notamment Cour de cass. 7 juillet 2004).

Cette situation étrange est accentuée par des décisions estimant que la brièveté du délai entre l’avis d’aptitude et le déclenchement de la procédure de licenciement, peut démonter à elle seule, l’absence de tentative sérieuse de reclassement (Notamment Cour de cass. 15 octobre 2014).

En réalité, les attentes de la Cour de cassation semblent résumées dans deux décisions du 24 juin 2015 considérant que si postérieurement à l’avis d’inaptitude totale, le Médecin a été re-sollicité par l’employeur et qu’il a confirmé que le salarié ne pouvait exercer aucune activité au sein de la Société ou du Groupe, l’employeur a satisfait à son obligation de reclassement.

On peut s’interroger sur l’utilité de cette visite supplémentaire lorsque l’employeur ne fait pas partie d’un groupe de sociétés et que le Médecin du travail connaît bien l’entreprise. En pratique, il n’en reste pas moins qu’il est indispensable après la deuxième visite constatant l’inaptitude totale à tout poste, que l’employeur sollicite à nouveau le Médecin du travail et ce n’est que si celui-ci confirme l’impossibilité de tout reclassement ou de toute adaptation du poste que l’employeur a satisfait à son obligation de reclassement.

L’enjeu de cette visite supplémentaire est important. A défaut, le licenciement sera dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En matière d’accident du travail, le nouveau texte limite l’obligation de reclassement

L’article L1226-12 du Code du travail dispose, d’une part, que l’employeur doit faire connaître par écrit au salarié inapte pour raison professionnelle les motifs qui s’opposent à un reclassement et ce, avant l’envoi de la lettre de licenciement. Il précise, d’autre part, que le licenciement n’est possible que si l’employeur justifie de l’impossibilité de proposer un emploi au salarié ou en cas de refus du salarié d’accepter l’emploi proposé.

Désormais, il indique que la rupture du contrat de travail est également possible «si l’avis du Médecin mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé».

Ce texte pose les deux questions suivantes :

  • dans quel cas le maintien peut être considéré comme «gravement préjudiciable» ? Les débats parlementaires donnent deux illustrations; d’une part, l’exemple du salarié atteint d’un cancer grave qui souhaite continuer à travailler malgré l’avis du Médecin du travail et, d’autre part, celui du salarié harcelé. A vrai dire, on ne voit pas trop pourquoi ces cas seraient traités différemment de celui du salarié qui réalise tous les jours un geste susceptible de dégrader sa santé. Il est à craindre que le qualificatif de «grave» puisse conduire à une augmentation des procédures de contestation de l’avis du Médecin du travail, aujourd’hui peu courantes.En effet, à l’avenir une telle contestation aura une conséquence directe sur la procédure à suivre.
  • en second lieu, se posera la question de la formulation de l’avis du Médecin et notamment du recours éventuel à une formule ayant le même sens que celle de la loi. A notre sens, l’utilisation du terme « expressément » laisse à penser que seule la reprise des termes exacts du Code du travail permettra d’éviter la mise en Å“uvre de l’obligation de reclassement.

En conclusion, ce nouveau texte permettra dans un nombre très limité de cas et exclusivement en cas d’inaptitude professionnelle, de supprimer l’obligation de reclassement à la charge de l’employeur. Reste à savoir comment la pratique et en particulier les Médecins du travail vont s’approprier ce dispositif nouveau.

 

Auteur

Alain Herrmann, avocat associé en droit social.

 

L’obligation de reclassement en cas d’inaptitude à tout emploi enfin allégée ? – Article paru dans Les Echos Business le 5 octobre 2015