Logiciels et conventions fiscales : le Conseil d’Etat apporte des précisions utiles
Deux arrêts du 18 juin dernier du Conseil d’Etat témoignent des difficultés toujours existantes quant à l’application des conventions fiscales aux facturations concernant les logiciels. Le Conseil d’Etat vient apporter un éclairage sur le cas des prestations de maintenance de logiciels dans le cadre de contrats mixtes et sur la preuve du paiement effectif des retenues à la source notamment sur des redevances de logiciels.
- Le cas des prestations de maintenance afférentes à des logiciels concédés
Dans un premier arrêt du 18 juin dernier[1], le Conseil d’Etat se prononce, pour la première fois, sur le traitement, au regard des dispositions conventionnelles, de contrats mélangeant concession de logiciels et prestations d’intégration et de maintenance sur ces logiciels.
Une société du groupe Sopra Steria, ayant une activité d’édition et de distribution de logiciels professionnels, avait concédé à ses clients situés au Brésil, en Espagne, au Maroc et en Thaïlande un droit d’utilisation de progiciels professionnels qu’elle concevait et leur proposait par ailleurs d’en assurer l’intégration et la maintenance.
Tant les paiements pour l’utilisation des logiciels que ceux relatifs à la maintenance avaient subi localement des retenues à la source, dont la société avait considéré qu’elles ouvraient droit à un crédit d’impôt.
- Remarque préalable sur la qualification des licences de logiciels pour l’application des conventions fiscales
Dans cette affaire, l’administration fiscale a reconnu le caractère de redevances aux sommes payées par les clients au titre de la licence de logiciels, et le Conseil d’Etat n’est pas revenu sur cette question qui ne lui était pas soumise. En l’espèce, était exclusivement concédé, dans le cadre de la licence, le droit d’utilisation du logiciel, de sorte que les droits transférés se limitaient à ceux nécessaires pour son exploitation. La licence n’emportait donc a priori ni concession d’un droit d’auteur, ni transfert de savoir-faire.
Cette qualification n’a pourtant rien d’évident eu égard aux rédactions des clauses conventionnelles en présence. Très peu de conventions fiscales visent expressément le cas de licences de logiciels et en l’occurrence, les conventions fiscales franco-brésilienne, franco-espagnole, franco-marocaine et franco-thaïlandaise, visent classiquement, au titre des redevances, (i) les rémunérations payées pour l’usage ou la concession de l’usage d’un droit d’auteur, y compris d’une formule ou d’un procédé secrets et (ii) les rémunérations payées pour le transfert de savoir-faire. La convention franco-brésilienne vise également les rémunérations payées pour l’usage ou la concession de l’usage d’un équipement.
- Le caractère dissociable des prestations de maintenance par rapport aux licences de logiciels
Le principal apport de l’arrêt porte sur la qualification des rémunérations des prestations de maintenance portant sur les logiciels concédés.
L’administration fiscale avait en effet remis en cause l’imputation des crédits d’impôt en France au titre des retenues à la source supportées sur les rémunérations des prestations de maintenance, considérant que ces rémunérations avaient, à tort, supporté une retenue à la source localement. Pour l’administration, ces rémunérations relevaient des bénéfices des entreprises et auraient dû faire l’objet d’une imposition exclusive en France.
La société faisait en revanche valoir que les prestations de maintenance étaient en réalité indissociables de la licence des logiciels et que l’ensemble des rémunérations perçues (celles perçues au titre de la licence comme celles perçues au titre de la maintenance) devait être regardées comme des redevances.
La cour administrative d’appel a toutefois procédé à un certain nombre de constatations. Elle a notamment relevé que l’objet des prestations de maintenance était distinct de l’objet du contrat de licence, que les clients n’étaient pas tenus de recourir aux prestations de maintenance et que ces prestations faisaient l’objet d’une facturation séparée.
La cour en a déduit que les prestations de maintenance devaient être distinguées pour l’application des stipulations conventionnelles des licences de logiciels. Selon les conclusions de la rapporteure publique, la différence d’objet entre ces deux contrats est déterminante en l’espèce, en dépit du lien fonctionnel les unissant, « ce lien ne permettant pas de confondre les rémunérations (…) pour leur qualification au regard des stipulations conventionnelles ».
Le Conseil d’Etat approuve la cour administrative d’appel en se fondant sur le fait que la maintenance n’entraine aucun transfert de droit de propriété intellectuelle ni de savoir-faire ou de procédé secret au client et aussi sur le fait que la maintenance était prévue de façon séparée dans le contrat, et était une option offerte au client, dont le prix était distinct.
Ce faisant, le Conseil d’Etat adopte une solution parfaitement conforme aux commentaires de l’OCDE sur l’article 12 du Modèle de convention fiscale, qui, dans le cadre de contrats mixtes comprenant la concession de droit d’usage d’un logiciel assortie de prestations de services, recommande de décomposer les montants en vertu du contrat en fonction des diverses prestations auxquels il s’applique afin de soumettre chacune de ses composantes au régime fiscal qui lui est propre[2].
Le Conseil d’Etat confirme donc l’impossibilité d’imputer les retenues à la source prélevées sur les prestations de maintenance[3].
- L’octroi du crédit d’impôt est conditionné à la preuve du paiement effectif des retenues à la source sur redevances
Dans un second arrêt du 18 juin[4], rendu à propos de la même société, le Conseil d’Etat s’est penché sur le cas particulier des rémunérations de source franco-marocaine.
Cet arrêt comme dans le précédent, invalide l’imputation des retenues à la source prélevées au Maroc sur les rémunérations des prestations d’intégration et de maintenance considérant qu’elles ne rentrent pas dans la catégorie des études techniques. Comme relevé par la rapporteure publique dans ses conclusions, si la société a pu réaliser des études en interne, ces études n’ont pas été communiquées au client.
Concernant la licence de logiciel, l’administration fiscale avait refusé l’imputation d’un crédit d’impôt en France au motif que la société n’établissait pas un paiement effectif au Maroc. L’administration fiscale malgré les attestations produites par la société, a exigé la production d’une attestation des services fiscaux marocains certifiant de l’acquittement de ces retenues à la source.
La société estimait à l’inverse que ni la convention fiscale, ni la loi n’imposaient expressément la fourniture d’un tel justificatif.
L’article 25.2 de la convention fiscale franco-marocaine prévoit qu’en ce qui concerne les redevances, l’Etat contractant sur le territoire duquel le bénéficiaire a son domicilie fiscal (i.e. la France) peut, en conformité avec les dispositions de sa législation interne, les imposer mais qu’il doit accorder sur le montant des impôts afférents à ces revenus, et dans la limite de ce montant, une réduction correspondant au montant des impôts prélevés par l’autre Etat sur ces mêmes revenus.
La cour administrative d’appel, approuvée par le Conseil d’Etat, a déduit de ces dispositions que le bénéfice du crédit d’impôt est subordonné au prélèvement effectif d’un impôt au Maroc.
S’agissant de la preuve du paiement, le Conseil d’Etat confirme la décision de la cour administrative d’appel en jugeant que l’administration pouvait valablement exiger la production d’une attestation des services fiscaux marocains certifiant le paiement des retenues à la source dès lors que les attestations fournies par la société n’étaient pas précises, et ce y compris si un tel justificatif n’est pas exigé par la loi ou par la convention fiscale.
Dans ses conclusions, la rapporteure publique avait considéré que, dans le silence des conventions, la preuve du prélèvement effectif des impositions doit pouvoir être apportée par tout moyen et qu’il ne fallait pas déduire de la décision de la cour administrative d’appel que celle-ci exigeait en toutes circonstances la production d’une telle attestation.
La formulation retenue par le Conseil d’Etat semble particulièrement exigeante. Cet arrêt, fiché au recueil Lebon, ce qui marque son importance selon le Conseil d’Etat, devrait valoir solution de principe et révèle que l’exigence probatoire qui pèse sur le contribuable est forte.
[1] CE, 9è – 10è ch. Réunies, 18 juin 2021, n°433315, Sté Sopra Steria Group.
[2]  Modèle de convention fiscale de l’OCDE, 2017, commentaire sur l’article 12, paragraphe 17.
[3]  Notons que la cour administrative d’appel avait fait droit à la demande à titre subsidiaire de la société de pouvoir déduire lesdites retenues de son résultat imposable.
[4]  CE, 9è – 10è ch. Réunies, 18 juin 2021, n°433323, Sté Sopra Steria Group.
Auteurs
Agnès de L’estoile-Campi, avocat associé en droit fiscal
Delphine Groux, juriste