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La lourde charge de la preuve permettant de contrer la règle d’épuisement des droits

La lourde charge de la preuve permettant de contrer la règle d’épuisement des droits

On sait qu’aux termes de l’article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle, l’usage d’une marque authentique (par exemple la vente d’un produit authentique) est susceptible de constituer un acte de contrefaçon dès lors que cet usage n’a pas été autorisé par le propriétaire de la marque.

Ce principe est toutefois tempéré par la règle d’épuisement des droits, exprimée à l’article L.713-4 du même code qui prévoit : « Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la communauté économique européenne ou dans l’Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement. »

Dans un arrêt en date du 10 novembre 2015, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a dû examiner le pourvoi des sociétés Converse Inc et All Star CV, qui reprochaient à la cour d’appel de Paris son application de cette règle. Ces dernières – titulaires de plusieurs marques internationales désignant l’Union européenne d’une part, et d’une marque française d’autre part – avaient assigné en contrefaçon deux sociétés ayant commercialisé des chaussures revêtues de ces marques, lesquelles étaient soutenues dans leur défense par deux fournisseurs intervenus à l’action.

Les quatre sociétés défenderesses ont invoqué l’épuisement des droits des sociétés Converse et All Star et obtenu raison devant la Cour d’appel sans avoir à prouver ni l’authenticité des produits, ni leur mise en circulation dans l’Union européenne avec le consentement des titulaires de droit.

En effet, alors qu’il appartient en principe à celui qui invoque l’épuisement du droit de le prouver, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a considéré que lorsque le défendeur prouve un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux dans le cas où il supporterait lui-même la charge de cette preuve -en particulier lorsque le titulaire de la marque commercialise ses produits dans l’Espace économique européen au moyen d’un système de distribution exclusive-, « il appartient au titulaire de la marque d’établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement en dehors de l’Espace économique européen » (CJUE, 8 avril 2003, C-244/00).

Apparemment en mal d’une telle preuve, les sociétés Converse et All Star ont prétendu devant la Cour d’appel :

  • d’une part, démontrer l’absence d’authenticité des produits commercialisés par les quatre défenderesses par la fourniture d’attestations émanant du vice-président et de la directrice de la protection des marques de la société Converse ;
  • d’autre part, prouver l’absence de risque de cloisonnement des marchés en soulignant l’absence d’interdiction des ventes passives faite aux distributeurs, par la fourniture d’une nouvelle attestation émanant du directeur juridique de la société Converse.

Ces attestations – preuves à soi-même – n’ayant pas emporté la conviction de la Cour d’appel, cette dernière a retenu l’épuisement des droits.

Les sociétés Converse et All Star ont donc formé un pourvoi critiquant la lourde charge de la preuve qui leur était imposée, en soutenant en particulier que :

  • la preuve de l’authenticité des produits incombait aux défenderesses ;
  • la présomption d’épuisement des droits était doublement conditionnée par un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux et par l’authenticité des produits ;
  • les attestations étaient recevables.

La Cour de cassation écarte ces arguments et rejette le pourvoi, soulignant que, loin de mettre à la seule charge des sociétés Converse et All Star la preuve de ces éléments, la Cour d’appel a souverainement apprécié les éléments fournis et a constaté que rien n’établissait suffisamment le défaut d’authenticité des produits et que la connaissance par les sociétés Converse et All Star de la source d’approvisionnement des quatre défenderesses leur permettrait de faire obstacle à la libre circulation des produits sur le territoire de l’Espace économique européen en tarissant cette source (Cass. Com., 10 novembre 2015, n°14-11.479).

La Cour d’appel a ainsi parfaitement appliqué la règle de renversement de la charge de la preuve énoncée par la jurisprudence communautaire.

 

Auteurs

Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.

Julie Tamba, avocat en droit de la Propriété Intellectuelle et droit commercial