L’UES : confirmation d’un nouveau périmètre de négociation d’un accord majoritaire fixant le contenu du PSE
17 mai 2022
Dans un arrêt du 2 mars 2022 (1), qui sera publié au recueil Lebon, le Conseil d’Etat reconnaît de manière inédite qu’un accord majoritaire déterminant le contenu d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) (2) peut être négocié et conclu au niveau d’une UES et indique qui doivent être les signataires d’un tel accord pour qu’il soit valide.
Rappel des faits et de la procédure
La Société Pierre Fabre Santé Information (PFSI) qui fait partie de l’unité économique et sociale (UES) Pierre Fabre, transfère son activité de promotion dentaire (Oral Care) à la société Pierre Fabre Oral Care Information.
En raison de cette restructuration, la société PFSI met en place un PSE qu’elle négocie au niveau de l’UES Pierre Fabre.
La Direccte valide le 25 mars 2019 l’accord majoritaire signé au niveau de l’UES.
Plusieurs salariés demandent l’annulation de la décision rendue par la Direccte en soutenant notamment que l’accord majoritaire n’était pas valable puisqu’il avait été conclu par une UES dépourvue de personnalité morale et par un signataire, côté patronal, qui n’avait pas qualité pour signer pour le compte de chaque entreprise composant l’UES.
Les juges de première instance n’ont pas fait droit à leur demande. La cour administrative d’appel de Bordeaux a suivi l’argumentation développée par les salariés et leur a donné raison.
Le ministre du Travail et la société forment un pourvoi à l’encontre de l’arrêt ainsi rendu.
Le Conseil d’Etat devait donc prendre position sur la possibilité de conclure un accord majoritaire portant PSE au niveau de l’UES et vérifier la validité de l’accord qui avait été conclu au sein de l’UES Pierre Fabre.
L’UES : un niveau auquel peut être négocié et conclu l’accord majoritaire fixant le PSE
A l’origine, la principale conséquence de la reconnaissance d’une UES entre plusieurs entreprises est la mise en place d’institutions représentatives du personnel communes et potentiellement la désignation de délégués syndicaux centraux.
En matière de négociation collective, l’UES a été reconnue par la loi comme un niveau au sein duquel la participation aux résultats doit être mise en place.
Ainsi, la participation peut être mise en place par un accord unique couvrant l’intégralité de l’UES ou par des accords d’entreprise distincts.
En dehors de l’épargne salariale, l’administration considérait que les accords conclus au niveau d’une UES sont soumis au régime des conventions et accords d’entreprise, ainsi qu’à leurs conditions de validité (3).
En matière de licenciement économique, l’UES constitue :
-
- a minima le périmètre de l’obligation de reclassement (4),
-
- le niveau auquel doit être apprécié les conditions d’effectif et le nombre de licenciements envisagés lorsque la décision de licencier a été prise au niveau de l’UES (5),
-
- le niveau auquel doit être apprécié le caractère suffisant d’un PSE par la Dreets (6).
Lorsqu’une entreprise appartenant à une UES souhaite se réorganiser et prononcer des licenciements pour motif économique deux questions se posent immédiatement :
-
- A quel(s) niveau(x) doit-elle consulter les CSE mis en place au sein de l’UES ? La plupart du temps la consultation concernera le CSE central et le CSE d’établissement dans lequel ladite société est représentée,
et
-
- A quel niveau peut-elle négocier et conclure un éventuel accord majoritaire ? A cet égard on peut imaginer que la société souhaite conclure un accord uniquement dans son périmètre ou au contraire conclure au niveau de l’UES.
Dans cet arrêt le Conseil d’Etat confirme, de manière inédite, que l’accord majoritaire (7) déterminant le contenu du PSE peut être conclu au niveau d’une UES :
« A ce titre, eu égard à l’objet d’une UES constituée par voie conventionnelle ou par voie judiciaire, qui est d’assurer la protection des droits des salariés appartenant à une même collectivité de travail, en raison de l’existence, en dépit d’entités juridiques distinctes, d’activités complémentaires ou similaires de celles-ci et d’une concentration du pouvoir de direction économique et d’une unité sociale, en permettant une représentation de leurs intérêts communs, l’accord prévu à L. 1233-24-1 précité peut être conclu au niveau de l’UES, même si celle-ci, qui n’a pas la personnalité morale, ne se substitue pas aux entités juridiques qui la composent. »
La Haute juridiction administrative justifie sa décision au regard de l’objet de l’UES qui est avant tout d’assurer la protection des droits des salariés appartenant à une même collectivité de travail.
En l’absence de personnalité morale reconnue à une UES quelles sont les conditions à respecter pour valablement signer l’accord du côté patronal ?
Il appartient naturellement à l’administration, lorsqu’elle valide l’accord majoritaire qui lui est soumis de vérifier la qualité des signataires de ce dernier. L’absence de qualité d’un signataire est un argument qui peut être soulevé devant le juge de l’excès de pouvoir saisi de la légalité de la décision de validation.
L’UES n’ayant ni la qualité d’employeur ni de personnalité morale, la qualité pour signer du côté patronal n’allait pas forcément de soi.
En l’espèce, l’accord avait été signé pour l’UES des Laboratoires Pierre Fabre par Madame X agissant en qualité de directrice générale adjointe en charge des ressources humaines et de l’éthique de la société Pierre Fabre SA. En l’occurrence cette personne n’avait pas de délégation de pouvoirs des autres sociétés de l’UES pour signer l’accord.
Le Conseil d’Etat rappelle que lorsqu’un accord est conclu dans le périmètre d’une UES, dans la mesure où cette dernière n’a pas de personnalité morale, l’accord doit être conclu d’une part par les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau de l’UES et d’autre part soit par chacune des entreprises constituant l’UES, soit par l’une d’entre elles, sur mandat exprès préalable des entreprises membres de l’UES.
Dans la mesure où Madame X avait uniquement le pouvoir de signer pour l’entreprise Pierre Fabre SA mais pas pour les autres entités juridiques composant l’UES l’accord est entaché de nullité.
En revanche, l’arrêt commenté ne se prononce pas sur la nature de l’accord conclu au sein de l’UES. En effet, dans la mesure où l’accord d’UES n’existe pas dans le Code du travail, il est possible de se demander si l’accord conclu au niveau d’une UES a la nature d’un accord d’entreprise, d’un accord de groupe ou d’un accord interentreprises (8).
A la différence de l’accord collectif de groupe, aucune entité membre de l’unité économique et sociale n’est investie d’un mandat légal de représentation. Il serait donc possible de trouver un argument supplémentaire dans cet arrêt pour exclure la qualification d’accord de groupe à un accord qui serait conclu au niveau d’une UES.
En conclusion, la possibilité de négocier un accord majoritaire fixant le PSE au niveau de l’UES peut avoir un réel intérêt lorsque plusieurs sociétés appartenant à la même UES souhaitent négocier un PSE en même temps.
Cela évitera en effet aux différents employeurs de mener des négociations au sein de leur entreprise qui seront nécessairement influencées par les négociations ayant lieu en parallèle dans les autres sociétés.
Encore faut-il que l’ensemble des sociétés souhaitent mettre en œuvre des mesures d’accompagnement identiques (ce qui peut potentiellement en pratique, en fonction de l’historique des différentes sociétés concernées, favoriser le nivellement des mesures vers le haut).
En dehors des accords majoritaires fixant le contenu du PSE et des accords de participation il serait souhaitable que la jurisprudence voire le législateur confirment que tous les types d’accord peuvent être conclus au niveau de l’UES et précisent quel est la nature d’un tel accord.
Par ailleurs, dans le prolongement de cet arrêt il serait bienvenu que la jurisprudence confirme que l’accord majoritaire fixant le PSE peut être négocié au niveau d’un groupe (9).
(1) CE, Chambres réunies, décision n°438136 du 2 mars 2022
(2) Conclu en application des articles L. 1233-24-1 et suivants du Code du travail
(3) Circulaire du 22 septembre 2004
(4) L’obligation de reclassement peut être étendue à d’autres sociétés situées sur le territoire français qui ne feraient pas partie de l’UES
(5) Cass. soc. 16 novembre 2010, n°09-69.485 et Cass. soc. 9 mars 2011, n° 10-11.581
(6) Article L. 1233-57-3 du Code du travail
(7) L’article L. 1233-24-1 du Code du travail fait référence à « un accord collectif » sans préciser le niveau auquel il peut être conclu.
(8) Cf. Flash info droit social du 8 avril 2022, l’accord constitutif d’une USE est un accord interentreprises
(9) Il existe plusieurs arguments de texte qui vont dans ce sens et en pratique la Dreets valide ce type d’accord.
A lire également
Proposition simultanée d’une modification du contrat pour motif économique e... 24 novembre 2022 | Pascaline Neymond
Le Conseil d’État consacre le maintien des plans de départs volontaires ... 17 avril 2023 | Pascaline Neymond
Financements structurés et implication des représentants du personnel... 24 décembre 2020 | CMS FL Social
Contrôle administratif des PSE : précisions sur le contrôle de légalité ex... 22 mai 2023 | Pascaline Neymond
Comment déterminer le point de départ du délai de consultation du CSE?... 24 août 2018 | CMS FL
La RSE ou l’ébauche d’un cadre juridique contraignant pour les entreprises... 24 décembre 2021 | Pascaline Neymond
Les référents dans l’entreprise : de nouveaux interlocuteurs à ne pas négl... 23 mai 2019 | CMS FL
Délais de consultation du CSE raccourcis sur les décisions de l’employeu... 6 mai 2020 | CMS FL Social
Articles récents
- La convention d’assurance chômage est agréée
- Sécurité sociale : quelles perspectives pour 2025 ?
- L’intérêt à agir exclut la possibilité pour un syndicat professionnel de demander la régularisation de situations individuelles de salariés
- Présomption de démission en cas d’abandon de poste : les précisions du Conseil d’Etat sur le contenu de la mise en demeure
- Quel budget pour la sécurité sociale en 2025 ?
- Syntec : quelles actualités ?
- Modification du taux horaire minimum de l’allocation d’activité partielle et de l’APLD
- Congés payés acquis et accident du travail antérieurs à la loi : premier éclairage de la Cour de cassation
- Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable
Commentaires