L’usage de la langue française est-il toujours obligatoire ?
3 août 2015
La règle selon laquelle tout document comportant des obligations pour le salarié ou dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français n’est pas applicable aux documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers1.
Tel est le principe que vient rappeler la Cour de cassation dans un arrêt du 24 juin 2015 dans lequel elle juge qu’une salariée de nationalité américaine ne peut pas se prévaloir de l’inopposabilité d’objectifs rédigés exclusivement en anglais.
En principe, l’utilisation de la langue française s’impose
L’article L.1321-6 alinéa 2 du Code du travail impose à l’employeur de rédiger en langue française tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail.
Tel est notamment le cas des documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable du salarié.
La jurisprudence considère qu’à défaut d’utilisation de la langue française, les objectifs sont inopposables au salarié (Cass. soc. 29 juin 2011, n°09-67.492). Le salarié est donc en droit de demander le paiement intégral de sa rémunération variable, peu important que les objectifs aient été atteints ou non. Par ailleurs, l’employeur ne saurait se prévaloir de la non-atteinte d’objectifs fixés en anglais pour justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle.
A ce titre, il importe peu que le salarié maitrise l’utilisation de la langue étrangère dans le cadre de ses fonctions et qu’il soit ainsi en mesure de comprendre les objectifs qui lui ont été donnés dans cette langue (Cass. Soc. 2 avril 2014, n°12-30.191). En effet, le fait d’être capable de travailler dans une langue étrangère ne signifie pas de la part du salarié qu’il dispose d’une connaissance suffisante de cette langue pour en apprécier toutes les subtilités. Or, seule une parfaite compréhension des objectifs permettra au salarié de déterminer les efforts à accomplir pour obtenir le paiement de sa rémunération variable, et par suite, vérifier le montant de celle-ci.
Mais l’obligation d’utiliser la langue française ne s’applique pas aux documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers
L’alinéa 3 de l’article L.1321-6 du Code du travail pose deux exceptions à l’utilisation de la langue française.
La première exception vise à écarter de l’exigence de rédaction en langue française les documents émanant d’un employeur établi à l’étranger.
La deuxième exception conduit à écarter l’utilisation de la langue française pour les salariés étrangers. C’est précisément de cette deuxième exception que la Cour de cassation fait application dans son arrêt du 24 juin 2015. L’utilisation de cette exception est suffisamment rare pour mériter qu’on s’y arrête.
Dans cet arrêt, une salariée de nationalité américaine avait pris acte de la rupture de son contrat de travail, estimant que son employeur avait fait une application déloyale de son contrat de travail en la privant de toute rémunération variable au motif qu’elle refusait de signer le plan de commissionnement correspondant. Dans le cadre du contentieux lié à cette prise d’acte, elle demandait le versement de rappels de rémunération variable.
La cour d’appel de Versailles avait limité la condamnation de l’employeur à une certaine partie de la rémunération variable calculée en fonction du niveau de réalisation des objectifs fixés.
La salariée demandait à la Cour de cassation le paiement intégral de sa rémunération variable en faisant valoir que les objectifs fixés pour le calcul de sa rémunération variable lui étaient inopposables dans la mesure où ils avaient été rédigés exclusivement en anglais et qu’aucune traduction ne lui avait été fournie.
Pour la Cour de cassation, dans la mesure où la salariée était citoyenne américaine, l’obligation de lui fournir des documents rédigés en français n’était pas applicable. Les objectifs étaient donc bien opposables à la salariée et ont pu être utilisés par la Cour d’appel dans la détermination du montant de la rémunération variable de la salariée due par l’employeur.
Si les objectifs n’ont pas à être traduits en français pour les salariés de nationalité étrangère, ils doivent néanmoins être rédigés dans la langue maternelle du salarié
A s’en tenir à la lettre de l’article L.1321-6 du Code du travail, seul compte le fait que les documents soient destinés à des étrangers pour exclure l’obligation de rédaction en français. Il serait alors possible de considérer qu’il importe peu qu’ils ne soient pas rédigés dans la langue maternelle du salarié.
Toutefois, dans l’arrêt du 24 juin 2015, la Cour de cassation ne se contente pas de relever que la salariée était étrangère. Elle prend soin de préciser qu’elle était citoyenne américaine et destinataire de documents en anglais.
Tel est bien d’ailleurs l’objectif de l’article L.1321-6 du Code du travail et de la jurisprudence y afférant : s’assurer en toutes hypothèses de la parfaite compréhension du salarié.
De l’importance de la nationalité du salarié
Il est très courant, notamment dans les grands groupes, que les entretiens d’évaluation et les objectifs pour l’année à venir soient rédigés en langue étrangère, et particulièrement en anglais.
Au regard de ce nouvel arrêt, deux situations doivent être distinguées :
- lorsque le salarié est de nationalité française, les objectifs qui lui sont assignés devront nécessairement être rédigés en français. Si tel n’est pas le cas, le salarié pourra se prévaloir de l’inopposabilité des objectifs, et ce quand bien même il maitriserait à la perfection la langue étrangère utilisée ;
- lorsque le salarié, employé en France, est de nationalité étrangère, les objectifs qui lui sont assignés pourront être rédigés dans sa langue, sans qu’il puisse se prévaloir de leur inopposabilité.
Note
1 A lire également article : « De l’usage de la langue française dans les relations de travail » du 11 mai 2015
Auteurs
Caroline Froger-Michon, avocat associé en matière de droit social
Aurélie Parchet, avocat en matière de droit social
*L’usage de la langue française est-il toujours obligatoire ?* – Article paru dans Les Echos Business le 3 août 2015
A lire également
Temps de travail, temps de repos : quelles obligations pour l’employeur à lâ€... 12 avril 2023 | Pascaline Neymond
Forfait jours : attention à l’autonomie du salarié... 8 mars 2023 | Pascaline Neymond
Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomÃ... 4 novembre 2024 | Pascaline Neymond
Risque grave sur la santé publique ou l’environnement : droit d’alerte de 5... 10 septembre 2013 | CMS FL
Evolution du statut protecteur en cours de procédure de rupture du contrat de t... 16 février 2017 | CMS FL
Le portage salarial, une opportunité d’actualité... 13 octobre 2017 | CMS FL
Vers un encadrement du vapotage en entreprise... 28 juin 2016 | CMS FL
Intéressement : pas de contrôle du juge de la validité du cumul d’un contra... 23 mai 2018 | CMS FL
Articles récents
- Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024