Luxembourg : des nouvelles obligations documentaires en matière de transactions financières intragroupe
Le 27 décembre 2016, l’administration fiscale luxembourgeoise a publié une circulaire (LIR n°56/1 – 56bis/1) relative au traitement fiscal des sociétés exerçant des transactions de financement intra-groupe. Son objectif est de renforcer l’application du principe de pleine concurrence et de se conformer aux nouvelles exigences de l’OCDE imposées par BEPS.
1. Cadre général de la circulaire
Dans un contexte de mise en conformité avec les exigences internationales1, le gouvernement luxembourgeois a entrepris des discussions avec la Commission européenne afin de mettre en place de nouvelles règles en matière de prix de transfert. Ces discussions ont conduit à l’élaboration de la circulaire LIR n°56/1 – 56bis/1 publiée le 27 décembre 2016.
En vigueur depuis le 1er janvier 2017, les dispositions de cette circulaire ont modifié l’article 56bis de la loi relative à l’impôt sur le revenu au Luxembourg (L.I.R), et ont remplacé les dispositions des circulaires de 20112.
Ces dispositions s’appliquent à toutes les sociétés luxembourgeoises effectuant des transactions de financement intragroupe, c’est-à-dire toute entité d’un groupe exerçant une activité consistant en l’octroi de prêts ou en l’avance de fonds, rémunérés par des intérêts, à des entreprises liées.
A la différence des circulaires de 2011, la nouvelle circulaire n’a fait aucune référence au caractère transfrontalier de la transaction. Le législateur a ainsi élargi le champ d’application de cette obligation documentaire aux entités luxembourgeoises d’un même groupe réalisant entre elles des opérations de financement, et a ainsi imposé sur le plan national le respect du principe de pleine concurrence.
La circulaire impose aux sociétés concernées d’établir une analyse de comparabilité afin d’établir qu’elles respectent le principe de pleine concurrence.
2. Les mesures phares de la circulaire
Depuis le 1er janvier 2017, les sociétés de financement effectuant des opérations intragroupes doivent établir une analyse fonctionnelle afin d’identifier les opérations économiquement significatives exercées par les parties.
Les entités devront communiquer à l’administration des informations portant sur l’organisation du groupe, afin de présenter la chaîne de valeur, et de préciser les caractéristiques de la transaction intragroupe, les fonctions exercées par les parties (une liste non exhaustive des potentielles fonctions a été prévue par la circulaire), ainsi que les actifs utilisés et les risques supportés.
Conformément aux nouvelles recommandations de l’OCDE, l’administration privilégie le comportement réel des parties sur les clauses contractuelles3 (une approche couramment appelée la « substance-over-form approach »).
La circulaire impose également aux entités de financement, avant d’accorder un prêt ou une avance, d’effectuer une analyse des risques permettant d’anticiper et évaluer ceux auxquels elles peuvent être exposées. Par opposition avec les dispositions du précédent régime d’« equity at risk » (moindre des deux sommes entre 1% des sommes prêtées et 2M€), les sociétés vont devoir apprécier les risques sur la base d’une analyse factuelle.
Le « capital at risk » est réputé suffisant si les critères de solvabilité fixé par le règlement (UE) n°575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 sont remplis. Le cas échéant il convient de le déterminer en ayant recours à d’autres méthodes d’analyse ; la circulaire cite notamment à cet égard les méthodes d’analyse de crédit élaborées par des professionnels reconnus dans ce domaine, basées sur des analyses d’éléments de bilan, d’éléments de marchés et d’autres facteurs dominants dans la détermination des risques liés à une activité de financement.
Seule une société disposant d’une présence réelle au Luxembourg peut justifier du contrôle des risques. La circulaire rappelle, en reprenant les conditions déjà imposées par les précédentes circulaires, qu’une société dispose d’une présence réelle au Luxembourg si :
- la majorité des membres du conseil d’administration, des directeurs ou gérants ayant la capacité d’engager la société de financement de groupe sont soit des résidents, soit des non-résidents exerçant une activité professionnelle au Luxembourg telle que prévue par l’article 10 L.I.R. et imposables au Luxembourg pour au moins 50% de leurs revenus ;
- la majorité des décisions de gestion sont prises au Luxembourg sous réserve des dispositions de la circulaire ; et
- la société n’est pas résidente fiscale d’un autre Etat.
Le gouvernement luxembourgeois a mis l’accent sur la transparence du processus de comparaison opéré par les entités pour déterminer la marge de financement de pleine concurrence. L’administration doit pouvoir être en mesure de vérifier clairement l’analyse effectuée, et les entités doivent lui fournir une documentation détaillée sur la méthode ainsi que sur le processus de comparaison utilisé.
La circulaire prévoit par mesure de simplification un rendement minimal considéré comme reflétant une rémunération de pleine concurrence dans deux cas de figure :
- lorsqu’une entreprise exerce des fonctions similaires aux fonctions exercées par des entreprises de financement et de trésorerie régulée, un pourcentage de rendement par rapport aux capitaux propres de 10% après impôt peut être considéré comme reflétant une rémunération de pleine concurrence ; ou
- lorsqu’une entreprise de financement exerce une activité purement d’intermédiaire, il est admis que les transactions sont considérées comme respectant le principe de pleine concurrence si la société dégage un pourcentage de rendement minimal par rapport aux actifs financés de 2% après impôts.
Ces deux niveaux de rémunération feront l’objet de révisions régulières par l’administration sur la base d’une analyse des marchés pertinents.
3. L’impact de la circulaire sur les parties
Il convient pour les groupes concernés d’examiner les impacts de cette nouvelle réglementation, et notamment d’apprécier le niveau des capitaux propres des entités luxembourgeoises concernées au regard des nouvelles conditions posées par la Circulaire. Le cas échéant, ils devront capitaliser ces entités, apprécier leur marge de financement au regard du risque qu’elles assument et des taux de rémunération indiqués par la Circulaire, et modifier les contrats comportant des clauses de recours limité.
Il est important de relever que la circulaire précise, à propos des financements intragroupe, que tant les accords préalables en prix de transfert (ou advance pricing agreement, APA) que les confirmations en prix de transfert dans les rescrits fiscaux (ou advance tax agreement¸ ATA) qui ont été approuvés sur la base des règles applicables avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle législation ne lient plus l’administration fiscale luxembourgeoise à compter du 1er janvier 2017 pour les années d’imposition postérieures à l’année 2016.
Les sociétés souhaitant bénéficier de la protection d’un APA ou d’un ATA devront donc introduire de nouvelles demandes en ce sens. Ces demandes devront remplir les nouvelles conditions fixées par la circulaire. Si la procédure de demande reste inchangée, son contenu est en revanche présenté avec plus de précision dans la circulaire. Désormais, les demandes présentées devront comprendre :
- l’identité précise de la société demanderesse ainsi que parties aux transactions objet de la demande
- une description détaillée des transactions financières objet de la demande
- les qualifications des employés pertinents et le descriptif de leurs fonctions
- l’identité des autres Etats concernés par les transactions objet de la demande
- la présentation de la structure juridique du groupe
- mention des exercices fiscaux concernés par la requête
- une étude de prix de transfert complète et conforme aux normes OCDE (elle devra notamment contenir les éléments chiffrés pertinents, des études de comparables complètes, la liste des APA conclus dans d’autres pays et ayant un rapport avec la transaction étudiée, etc.)
- une attestation confirmant que les éléments susmentionnés sont complets et conformes à la vérité.
Notes
1 OCDE, BEPS, Action 13
2 L.I.R n°164/2 – 28 janvier 2011 et L.I.R n°164/2bis – 8 avril 2011
3 OCDE, I-D.2 §1.120-1.121
Auteur
Mohamed Haj Taieb, Counsel, Economiste Sénior, Fiscalité internationale, Enseignant au Conservatoire National des Arts et Métiers