Management package : la spécificité du régime social par rapport à l’analyse du juge fiscal ?
4 décembre 2023
La Cour de cassation a eu l’occasion récemment de se prononcer à nouveau sur le traitement social de l’avantage issu de bons de souscription d’actions (« BSA »). Cette décision intéressera sans nul doute les fiscalistes, dans la structuration toujours plus subtile des outils de management packages.
En effet, par cette seconde décision du 28 septembre 2023 de la deuxième chambre civile (*1), la juridiction judiciaire vient ajuster sa jurisprudence antérieure en alignant le fait générateur et l’assiette du gain sur ceux retenus en matière fiscale. Elle maintient en revanche, s’agissant de la caractérisation de l’avantage, une grille d’analyse assez largement autonome de celle du juge fiscal. Le point sur cet arrêt.
1. Contexte de l’affaire
Pour rappel, les BSA constituent un outil d’accès au capital régi par les articles L.228-91 et suivants du code de commerce. Souvent réservés aux cadres dirigeants de l’entreprise, ils confèrent à leur titulaire le droit de souscrire des actions de la société émettrice pendant une période déterminée, dans une proportion et à un prix fixés à l’avance.
Les bénéficiaires peuvent réaliser (i) une plus-value lors de la vente du bon, si le prix de cession du BSA est supérieur à son prix de souscription ou (ii) une économie lors de l’exercice du bon, aussi appelée plus-value d’acquisition, si la valeur de l’action est supérieure à la somme du prix d’exercice et du prix de souscription du bon.
Dans l’affaire soumise à la Cour, la société requérante avait décidé d’émettre des BSA au bénéfice exclusif de sept dirigeants, mandataires sociaux et salariés de la société. Les bons, expressément visés dans le rapport annuel de la société au titre de la «politique de rémunération des mandataires sociaux», étaient incessibles et assujettis à des clauses dites de «leavers», privant les salariés de leur bénéfice en cas de démission, révocation ou licenciement pour faute lourde.
A l’occasion d’un contrôle, l’URSSAF a réintégré dans l’assiette des cotisations sociales, l’intégralité de la plus-value d’acquisition réalisée par chacun des titulaires de BSA, considérant que l’économie réalisée par les bénéficiaires lors de l’acquisition des actions constituait un avantage en argent, consenti en contrepartie ou à l’occasion de leur travail.
La société a contesté cette analyse, arguant à titre principal que certains dirigeants avaient quitté la société avant d’exercer leurs bons, bénéficiant ainsi de la plus-value en dehors de toute relation de travail, et à titre subsidiaire, que l’avantage salarial devait être évalué à la date à laquelle les titulaires avaient obtenu la libre disposition des BSA, soit au premier jour de leur période d’exercice, celle-ci s’étalant sur une durée de quatre ans.
2. Décision retenue par la Cour de cassation
Saisie d’un pourvoi de la société, la Cour de cassation confirme, dans sa décision du 28 septembre 2023, le considérant énoncé en 2019 dans l’affaire Groupe Lucien Barrière (*2) et rappelle que les BSA constituent un avantage entrant dans l’assiette des cotisations sociales lorsqu’ils remplissent les deux conditions suivantes : (i) être proposé aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail et (ii) être acquis par les travailleurs à des conditions préférentielles (2.1).
Revenant sur sa jurisprudence antérieure, elle retient le fait générateur et l’évaluation des cotisations sociales afférentes à cet avantage, à la date de cession ou de réalisation des BSA (2.2).
2.1. La caractérisation d’un avantage entrant dans l’assiette des cotisations sociales
L’avantage au sens de l’article L.242-1 alinéa 1er ancien du Code de la sécurité sociale (CSS), est caractérisé, d’après la Cour de cassation, en présence de deux critères : (i) une relation de travail et (ii) des conditions préférentielles d’attribution.
Sur le premier critère, le lien entre le travail et l’octroi de BSA est établi dès lors que la faculté de souscription est corrélée à l’existence d’une relation de travail à la date de souscription, la circonstance que deux des dirigeants ne soient plus dans les effectifs de l’entreprise à la date d’exercice des bons étant sans incidence. La Cour de cassation revient sur la circonstance du maintien du contrat de travail auquel la décision Barrière faisait référence.
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Sur le second critère, la Cour de cassation précise pour la première fois dans le contexte qui nous intéresse, la notion de « conditions préférentielles » évoquée dans l’arrêt Barrière. Pour la Cour, le caractère préférentiel « résulte tant de la qualité de salariés ou de mandataires sociaux des bénéficiaires et de leur nombre limité que des conditions d’émission et de cessibilité des bons, les conditions financières de la souscription n’en constituant qu’un simple indice. ».
Si la qualité des bénéficiaires et leur nombre limité semble recouper assez largement le premier critère tenant à la relation de travail, les conditions d’émission et de cessibilité des bons ne sont pas développées par la Cour.
Des faits de l’espèce, on relèvera cependant : (i) l’existence de clauses de leavers (en cas de démission, révocation ou licenciement pour faute lourde) et (ii) le caractère incessible des bons. Ces critères semblent toutefois secondaires pour la Cour de cassation qui ne les a pas analysés. Cette approche semble s’éloigner de celle adoptée par le Conseil d’Etat en matière fiscale qui, depuis ses décisions du 13 juillet 2021, s’attache à apprécier le lien salarial sur la base d’un faisceau de neuf indices.
On remarquera par ailleurs la volonté de la Cour de cassation d’apprécier l’existence de conditions préférentielles à la date d’attribution des bons, indépendamment des conditions de réalisation du gain.
Cette position, qui diverge de celle défendue par le Conseil d’Etat en matière fiscale, parait excessivement stricte.
Si le Conseil d’Etat admet qu’une plus-value puisse être imposée dans la catégorie des traitements et salaires, c’est à la condition que le gain réalisé trouve essentiellement sa source dans l’exercice par le bénéficiaire, de ses fonctions de salarié.
La solution retenue par la Cour de cassation peut à l’inverse, conduire à assujettir à cotisations sociales, un gain exclusivement dû à l’accroissement de valeur d’un titre financier, indépendamment de l’exercice effectif par son détenteur de fonctions de dirigeant ou salarié, dès lors qu’au cas d’espèce, certains bénéficiaires avaient quitté la société. L’existence de la relation contractuelle salariale ou de mandataire au jour de l’attribution apparait ainsi prévaloir.
L’affaire Alten permet enfin à la Cour de cassation de préciser les indices permettant de qualifier le caractère préférentiel, indépendamment du débat tenant au juste prix de souscription des bons.
La Cour de cassation rejoint en cela le Conseil d’Etat, pour lequel le caractère préférentiel du prix d’acquisition demeure sans incidence pour qualifier les gains réalisés lors de l’exercice ou de la cession des bons (CE plén., 13 juillet 2021, no435452, SAS Financière Derby).
On notera en revanche que contrairement au Conseil d’Etat, qui choisit de distinguer le gain de souscription du gain d’acquisition, la Cour de cassation ne s’attarde pas sur les conséquences qui découleraient de la souscription d’un bon à prix minoré.
2.2. La détermination du fait générateur et la valorisation de l’avantage
On rappellera que le caractère incessible du BSA était, dans la décision Barrière, un élément central dans l’appréciation du point de départ du fait générateur.
Pour l’avocat général en 2019, ce n’est qu’en présence d’une clause d’incessibilité contractuelle, qui conduit à dénier aux BSA toute valeur à leur date d’attribution, que le BSA se rapproche sensiblement d’un stock-option, justifiant le report du fait générateur à la date de levée de l’option et non de son attribution.
Si le considérant de la Cour de cassation dans l’arrêt Barrière n’était pas aussi explicite, la Cour avait toutefois suivi l’avis de son avocat général en plaçant le point de départ de la prescription en matière de cotisations sociales, au jour de la mise à disposition effective de l’avantage au salarié bénéficiaire de celui-ci. En présence d’une clause d’incessibilité, le fait générateur était de fait reporté à la date d’exercice du bon.
Dans l’affaire Alten, la Cour de cassation revient sur cette jurisprudence et juge dans des termes très généraux, que le fait générateur des cotisations sociales afférentes à l’avantage issu d’un BSA, doit être placé à la date de cession ou de réalisation des BSA.
La Haute juridiction motive ce revirement par les difficultés posées par la décision Barrière au regard, d’une part, de la détermination de la période de libre disposition des bons dont l’exercice ou la cession se déroule sur une période et, d’autre part, de la soumission d’un avantage théorique et non réel aux cotisations sociales.
Cette nouvelle solution, a fortiori pour les outils mis en place depuis 2019, (i) retarde le point de départ de la prescription et (ii) augmente très probablement l’assiette des cotisations. On appréciera toutefois, sur ce point au moins, l’alignement des Cours administratives et judiciaires.
Cette affaire confirme, si besoin en était, l’intérêt partagé des managers et des investisseurs dans la structuration des outils de management package. On déplorera toutefois l’asymétrie de la grille d’analyse retenue par chacune des Hautes juridictions, source d’insécurité juridique de ces instruments, qui sont pourtant des moyens d’engagement et de performance pour les opérations de LBO.
(*1) Cass. 2e civ., 28 sept. 2023, n° 21-20.685
(*2) Cass. 2e civ., 4 avr. 2019, n° 17-24.470
AUTEURS
Maité Ollivier, Avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats
Clémence Darné-Lajoux, Avocate counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats
Cet article a été publié dans Option Finance n°1727 – Lundi 20 novembre 2023
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