Le marché européen du M&A post Brexit
La décision des Britanniques en faveur du Brexit a ouvert une grande période d’incertitudes pour le M&A européen alors même que le processus de sortie définitive de l’Union européenne de deux ans prévu à l’article 50 du Traité de Lisbonne n’a pas encore été déclenché.
Pourtant, malgré l’inquiétude nécessairement suscitée par des environnements politiques, économiques et réglementaires incertains, la quatrième édition de l’étude sur les perspectives du marché européen des fusions-acquisitions, publiée par CMS en collaboration avec Mergermarket1, réalisée sur la base des opinions de 230 dirigeants d’entreprises et de fonds de private equity en Europe, recueillies avant et après le référendum britannique du 23 juin 2016 présente une vision plus nuancée.
Même si plus de la moitié des dirigeants interrogés confirment ne pas envisager d’opérations, alors qu’ils n’étaient qu’un peu plus d’un tiers pré Brexit, près de 80% d’entre eux estiment que les investissements en Europe par des acteurs non européens devraient croître en nombre et 61% s’attendent à une augmentation du volume. Les valorisations attractives et la technologie deviennent de plus en plus les facteurs-clé des opérations de M&A en Europe. L’appétit des investisseurs se reporterait vers d’autres pays européens, dont l’Allemagne mais aussi la France ou les pays scandinaves.
Sur le plan juridique, les mécanismes permettant aux parties d’une opération de M&A de s’adapter aux changements des circonstances existent d’ores et déjà.
Les clauses de résiliation et de révision devraient se généraliser dans les opérations de fusion-acquisition
Lorsque la signature de l’acte et la réalisation de la cession ne sont pas concomitantes, la clause de changement significatif défavorable (« material adverse change » – MAC clause) permet aux investisseurs de renoncer à une acquisition en cas d’événement négatif affectant la cible avant la date de réalisation. Reposant longtemps essentiellement sur la volonté des parties et les dispositions contractuelles, le principe de l’imprévision est dorénavant consacré en droit français au nouvel article 1195 du Code civil, entré en vigueur le 1er octobre 2016 avec la réforme du droit des obligations.
Compte tenu des conséquences de sa mise en œuvre, la rédaction d’une MAC clause a toujours exigé une grande vigilance et l’événement majeur défavorable doit être défini précisément. La référence au seul Brexit ne permet pas aujourd’hui de remettre en cause une opération (à moins que, par exemple, les fluctuations imprévisibles de devises engendrées par la chute de la livre sterling n’aient été visées), alors que la référence au vote favorable au Brexit le permettrait. Pour toutes les opérations de M&A potentiellement affectées par les mesures prises dans le cadre de la sortie de l’Union européenne, la négociation des MAC clauses deviendra un exercice délicat. Que le périmètre de cession comprenne des sociétés situées au Royaume-Uni ou des sociétés entretenant des relations commerciales avec des clients ou fournisseurs britanniques, les conséquences économiques des changements induits par le Brexit peuvent être significatives, ne serait-ce qu’au regard de la fiscalité.
Alors que les MAC clauses concernent les opérations avant leur réalisation, les clauses de hardship s’appliquent durant la période d’exécution du contrat. Elles permettent aux parties signataires d’accords commerciaux d’exiger que s’ouvre une nouvelle négociation lorsque survient un événement de nature économique bouleversant l’équilibre initial du contrat (par exemple, l’impact du Brexit sur les accords de libre-échange sur lesquels repose l’équilibre économique de nombreux contrats).
Si la notion juridique de « force majeure » n’est pas consacrée dans l’ensemble des législations européennes (notamment en Grande-Bretagne), elles connaissent des clauses qui ont vocation à gérer les effets de la survenance d’évènements imprévisibles et indépendants de la volonté des parties sur l’exécution de leurs obligations. Cela suppose généralement que la poursuite du contrat soit rendue techniquement impossible par la survenance du Brexit, et pas seulement plus compliquée ou moins profitable.
La mise en œuvre des accords en cas de contentieux
Dans l’Union européenne, les règles de conflits de loi sont prévues par les règlements Rome I et Rome II pour déterminer la législation applicable aux termes contractuels, tandis que le règlement de Bruxelles organise les questions relatives au choix de la juridiction compétente. À la suite du Brexit, ces règles cesseront de s’appliquer sous leur forme actuelle pour le Royaume-Uni, mais pourront être conventionnellement maintenues en reproduisant les principes actuels concernant la loi applicable au contrat, et en signant la Convention de Lugano de 2007 et/ou de la Convention de La Haye de 2005 s’agissant de la compétence judiciaire. Par ailleurs, le recours aux clauses d’arbitrage pourrait se développer lorsque les enjeux sont significatifs.
La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne conduit l’ensemble du marché européen vers une situation inédite de renégociation, source de multiples incertitudes juridiques et économiques. Certains secteurs pourraient en être fortement impactés et devront anticiper les changements, à l’instar de certains établissements financiers britanniques qui n’attendront pas de savoir quel sera le futur régime du passeport.
Note
1 Voir CMS European M&A Outlook 2016
Auteur
Alexandra Rohmert, avocat associé, département Corporate/Fusions & Acquisitions