Médecine du travail : une réforme source d’interrogations
16 mars 2017
Face à la diminution drastique du nombre de médecins du travail, le législateur a profondément modifié les modalités de suivi de l’état de santé des salariés et de déclaration de leur inaptitude. Entrées en vigueur au 1er janvier 2017, ces nouvelles modalités de suivi suscitent toujours de nombreuses interrogations quant à leurs conditions de mise en œuvre.
Suppression de principe de l’avis d’aptitude
Depuis le 1er janvier 2017, les salariés qui ne font pas l’objet d’une surveillance médicale renforcée (cf. ci-dessous) ne bénéficient plus de visite médicale auprès du médecin du travail, mais d’une visite d’information et de prévention effectuée par un professionnel de santé (médecin collaborateur, interne en médecine du travail, infirmier). Réalisée dans les trois mois de la prise effective du poste de travail, sauf pour certains salariés qui doivent en bénéficier avant l’embauche (travailleurs de nuit, mineurs de 18 ans, etc.), cette visite se renouvelle ensuite périodiquement.
La grande nouveauté de ce dispositif réside dans le fait que ces visites n’ont plus pour objet l’appréciation de l’aptitude du salarié et ne donnent donc plus lieu à la délivrance d’un avis d’aptitude mais à la simple remise d’une attestation de suivi.
L’accès du salarié au médecin du travail n’est néanmoins pas fermé. D’abord, parce que le professionnel de santé qui réalise la visite d’information et de prévention peut toujours décider de renvoyer le salarié vers le médecin du travail s’il l’estime nécessaire. Ensuite, parce que le salarié peut bénéficier d’une visite auprès du médecin du travail à sa demande, à celle de son employeur ou à la demande du médecin du travail lui- même. Enfin, parce que le salarié peut solliciter, comme par le passé, une visite médicale de pré-reprise en cas d’arrêt de travail de plus de trois mois et bénéficier d’une visite de reprise après certaines absences (maternité, maladie professionnelle, accident ou maladie d’au moins trente jours).
Cependant, même dans le cas où la visite est effectuée par le médecin du travail, il n’est désormais plus prévu de délivrance d’un avis d’aptitude. Le médecin pourra toutefois émettre des préconisations d’aménagement ou d’adaptation du poste et, le cas échéant, un avis d’inaptitude.
Il est dès lors permis de s’interroger sur la nature des mentions que l’attestation de suivi ou l’avis du médecin devront comporter pour permettre à l’employeur de procéder sans risque à l’affectation du salarié sur son poste de travail. La publication prochaine des arrêtés ministériels fixant les modèles d’attestation et d’avis du médecin du travail pourrait apporter des éclaircissements utiles sur ce point.
Maintien de l’avis d’aptitude pour les salariés affectés à certains postes
La délivrance d’un avis d’aptitude demeure requise, avant l’embauche, puis à intervalles réguliers pour les salariés affectés sur des postes présentant des risques particuliers pour leur santé, leur sécurité, celles de leurs collègues ou de tiers évoluant dans l’environnement de travail. La liste des postes concernés, fixée par décret, peut être complétée par l’employeur après avis du médecin du travail, du CHSCT ou, à défaut, des délégués du personnel.
Nouvelles modalités de déclaration et de contestation de l’inaptitude
Comme par le passé, tout salarié peut faire l’objet d’une déclaration d’inaptitude à l’occasion d’un examen médical, laquelle apparaît comme un recours ultime pour le médecin du travail qui constate, après avoir procédé à une étude de poste, qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation de celui-ci n’est possible alors que l’état de santé du salarié nécessite un changement de poste. Ainsi, c’est seulement lorsque toutes ces possibilités auront été épuisées que l’inaptitude pourra être déclarée.
Déclaration d’inaptitude en une seule visite
L’inaptitude pourrait désormais être déclarée en une seule visite sans qu’il soit besoin d’invoquer un danger immédiat pour la santé du salarié mais il faut que des échanges aient eu lieu au préalable avec l’employeur -par tout moyen- et le salarié pour leur permettre de faire des observations sur les avis et propositions que le médecin envisage de formuler. Le médecin du travail conserve toutefois la faculté d’organiser une seconde visite s’il l’estime nécessaire. Celle-ci doit alors se tenir dans un délai maximal de quinze jours après le premier examen et non plus dans un délai de deux semaines minimum comme c’était le cas auparavant. Il est à craindre que la constatation de l’inaptitude en deux examens médicaux demeure la norme, compte tenu de l’exigence de procéder à des échanges avec l’employeur et le salarié, ce qui risque de s’avérer délicat en pratique dans le court délai requis.
L’avis émis par le médecin peut faire l’objet d’une contestation portant sur les éléments de nature médicale, dans les quinze jours de sa notification. Ce délai et les modalités de ce recours doivent être mentionnés sur l’avis.
Un recours aux contours incertains
A la contestation des avis du médecin du travail devant l’inspecteur du travail, le législateur a substitué un recours devant la formation de référé du conseil de prud’hommes. Cette nouvelle procédure de recours laisse subsister un grand nombre d’interrogations.
En effet, cette saisine ne semble avoir pour objet que la désignation d’un médecin expert dont l’avis, contrairement à ce que prévoyait le projet de loi initial, ne se substituerait pas à celui du médecin du travail. Il apparaît pourtant indispensable que la juridiction se prononce pour déterminer celui des avis médicaux qui doit prévaloir, étant précisé que la formation de référé n’a pas vocation à rendre de décisions au fond. C’est donc a priori le conseil de prud’hommes, saisi au fond dans les conditions du droit commun, qui devrait avoir à se prononcer, ce qui, compte tenu des délais de procédure devant les conseils de prud’hommes et de l’obligation pour l’employeur de reprendre le versement des salaires à l’issue du délai d’un mois suivant la déclaration d’inaptitude, serait extrêmement préjudiciable aux entreprises. Et si l’intention du législateur était de confier l’affaire au conseil de prud’hommes statuant en la forme des référés, comme le prévoyait le projet de loi, il conviendrait de modifier les dispositions en ce sens.
En outre, le litige oppose, en l’espèce, l’employeur, ou le salarié, au service de santé au travail employant le médecin qui a rendu l’avis. C’est donc ce dernier qui devrait être partie à l’instance. Mais la juridiction prud’homale est en principe compétente pour les contentieux qui peuvent s’élever à l’occasion du contrat de travail entre les employeurs et les salariés alors, qu’en l’espèce il n’y aura éventuellement aucun litige entre ces deux parties.
En raison de ces incertitudes, il est donc indispensable que les modalités d’exercice du recours contre les décisions du médecin du travail soient rapidement précisées car les employeurs comme les salariés se trouvent d’ores et déjà confrontés, en pratique, à des situations délicates à gérer.
Auteurs
Marie-Pierrre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social
Béatrice Taillardat Pietri, doctrine sociale
Médecine du travail : une réforme source d’interrogations – Article paru dans Les Echos Business le 16 mars 2017
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