Messagerie Facebook : jusqu’où peut aller l’employeur ?
17 janvier 2024
A l’ère de la digitalisation de masse, les salariés ont habituellement recours aux applications de discussion instantanée. Ces messageries, très souvent personnelles, sont librement installées pas les collaborateurs sur leurs ordinateurs ou téléphones professionnels.
Se pose alors la question du subtil équilibre à trouver entre la vie privée du salarié et sa vie professionnelle.
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a très récemment eu à effectuer cette délicate mise en balance.
Retour sur la décision tant attendue du 22 décembre 2023 (n°21-11.330).
Le principe : la protection des messages privés
Dans l’affaire du 22 décembre 2023, un salarié intérimaire découvre par mégarde des propos insultants le concernant sur l’ordinateur professionnel du salarié qu’il remplace. Ces propos sont tenus dans le cadre d’une conversation Facebook privée entre le salarié absent et l’une de ses collègues de travail.
Le caractère insultant et discriminant des messages interceptés conduit le salarié intérimaire à les transférer immédiatement à l’employeur qui décide de procéder au licenciement pour faute grave du salarié absent.
Estimant le mode de preuve déloyal et illicite, la cour d’appel de Paris invalide le licenciement prononcé à l’encontre du salarié par une décision du 17 novembre 2020 (n°18/10574).
Bis repetita pour l’Assemblée plénière de la Cour de cassation qui parvient à la même conclusion en considérant que «le licenciement prononcé pour motif disciplinaire est insusceptible d’être justifié», avec toutefois une subtilité puisque la Cour de cassation se place sur le terrain du droit à la vie privée et non sur celui du droit à la preuve.
Elle rappelle en effet qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne saurait justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement à ses obligations professionnelles.
Or, selon la Cour, bien qu’insultante, la conversation privée du salarié «n’était pas destinée à être rendue publique», elle ne pouvait donc pas constituer un manquement aux obligations professionnelles du salarié.
Cette position avait déjà été affirmée par la chambre sociale. Elle est désormais confortée par l’Assemblée plénière.
L’exception : le manquement aux obligations professionnelles
Un fait relevant de la vie personnelle du salarié peut donc justifier un licenciement pour faute s’il se rattache à la vie professionnelle du salarié ou constitue un manquement à ses obligations professionnelles.
Soucieuse de préserver le droit à la vie privée du salarié, la jurisprudence apprécie strictement ces hypothèses.
L’employeur placé dans cette situation devra donc veiller à établir un lien tangible entre les griefs extraprofessionnels reprochés au salarié et ses obligations professionnelles (qu’il s’agisse de son obligation de loyauté, obligation de sécurité, obligation de confidentialité etc.).
Par exemple, a pu être justifié le licenciement du salarié ayant consommé des drogues dures dans le cadre privé mais se présentant sous l’emprise de stupéfiants au temps et au lieu du travail (1).
La même solution est retenue pour le salarié publiant sur son compte Facebook des informations strictement confidentielles, susceptibles de porter atteinte aux intérêts de l’entreprise (2) .
De même, les messages privés échangés entre un salarié et un résident de l’établissement où il travaille ayant révélé une situation de maltraitance peuvent être de nature à justifier un licenciement (3).
Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision de l’Assemblée plénière du 22 décembre 2023, l’employeur aurait sans doute dû motiver le licenciement par la négligence du salarié ayant laissé son compte Facebook contenant des propos injurieux accessible sur son poste de travail, plutôt que par le caractère injurieux desdits propos.
Le garde-fou : la méthode de la «mise en balance»
Dans son communiqué, la Cour de cassation a bien précisé que l’affaire ici commentée ne relevait pas du droit à la preuve mais du droit à la vie privée du salarié.
Il n’en demeure pas moins important de rappeler que la méthode de la « mise en balance », utilisée dans le cadre du droit à la preuve, constitue une grille d’analyse incontournable en matière de preuve illicite.
Inspirée de la jurisprudence européenne, la méthode de la « mise en balance » impose au juge saisi, lorsque cela lui est demandé, de rechercher si la production d’une preuve illicite peut, malgré tout, être admise.
Pour cela, le juge doit mettre en balance le droit à la preuve et les autres droits en présence (par exemple : le droit à la vie privée ou la liberté d’expression du salarié).
Le droit à la preuve peut alors justifier une atteinte à d’autre(s) droit(s), à la condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Par exemple, une telle atteinte a pu être admise pour des messages extraits du compte Facebook d’une salariée ayant révélé la prise de photographies en maillot de bain sur le lieu du travail de même que l’introduction et la consommation d’alcool (intervenues en l’occurrence au sein du service des urgences d’un hôpital) (4).
De même, est justifié le licenciement du salarié ayant publié sur son mur Facebook une photographie de vêtements issus de la nouvelle collection Petit Bateau qui n’était pas encore sortie (5).
En définitive, les employeurs sont appelés à manier avec beaucoup de prudence les faits relevant de la vie privée des salariés, même si ces mêmes faits peuvent, sous conditions, justifier la mise en œuvre de sanctions.
AUTEURS
Thierry Romand, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
Titrite Baamouche, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Cass. soc., 27 mars 2012, n° 10-19.915
(2) Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058
(3) CA Poitiers, 4 mai 2016, n° 15/04170
(4) Cass. soc., 4 octobre 2023, n° 21-25.452
(5) Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058
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