Mi-temps thérapeutique et calcul de la participation : attention à la discrimination en raison de l’état de santé
11 octobre 2023
Le mi-temps thérapeutique ou temps partiel thérapeutique est encadré par le Code de la sécurité sociale (CSS, art. L.323-3 et R.323-3) et permet à un salarié en arrêt de travail de reprendre son activité à temps partiel tout en conservant le versement d’indemnités journalières de sécurité sociale dans certaines limites de durée. Du point de vue du Code du travail, le mi-temps thérapeutique obéit aux règles applicables au temps partiel.
Depuis le 1er janvier 2019, date d’entrée en vigueur de la loi n°2018-1203 de financement de la sécurité sociale pour 2019, un salarié en activité dont l’état de santé est fragilisé peut bénéficier d’un temps partiel thérapeutique même s’il n’a pas été au préalable en arrêt de travail.
Dans un arrêt du 20 septembre 2023 (n°22-12.293), la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé, sur le fondement du principe de non-discrimination en raison de l’état de santé, que les temps d’absences non travaillés résultant du mi-temps thérapeutique d’une salariée doivent être assimilés à une période de présence dans l’entreprise pour le calcul de l’assiette de la prime de participation.
Il s’agit d’une solution nouvelle au regard des textes existants en matière de participation car les dispositions actuelles du Code du travail prévoient que, quel que soit le mode de répartition des sommes issues de la réserve spéciale de répartition prévu par l’accord de participation, seuls les arrêts de travail consécutifs à un accident du travail ou à une maladie professionnelle doivent être pris en compte pour le calcul de la prime de participation (C. trav., art. L.3324-6, 2°).
Retour sur les faits d’espèce, la solution de la Cour et ses conséquences pratiques.
Faits d’espèce
Dans cette affaire, une salariée avait été placée en arrêt de travail suite à un accident du travail, avant de reprendre son poste dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique pendant près de huit mois.
Elle avait alors saisi la juridiction prud’homale d’une demande de rappel de prime de participation au titre de sa période de travail en mi-temps thérapeutique.
En effet, la salariée soutenait, qu’en application de l’accord de participation de la société, les périodes d’absence liées à son mi-temps thérapeutique auraient dû être assimilées à du temps de travail effectif, et ainsi être prises en compte pour le calcul de cette prime.
Le conseil de prud’hommes, statuant en dernier ressort, avait fait droit à sa demande en considérant qu’il y avait lieu de prendre en compte les heures non travaillées liées au mi-temps thérapeutique pour le calcul de la prime de participation.
L’employeur s’était alors pourvu en cassation en soutenant que le conseil de prud’hommes aurait dû se cantonner à une interprétation littérale de l’accord de participation de la société qui, pour le calcul de la prime, ne précisait pas que les heures non travaillées liées au mi-temps thérapeutique étaient assimilées à du temps de travail effectif.
Il revenait à la Cour de cassation de déterminer si les absences non travaillées résultant de la mise en place d’un mi-temps thérapeutique d’une salariée suite à un arrêt de travail devaient être assimilées à du temps de travail effectif pour le calcul de l’assiette de la participation due à la salariée.
La Cour, rejetant le pourvoi de l’employeur, répond positivement à cette interrogation.
Solution : une assimilation à du temps de travail effectif justifiée par le principe de non-discrimination en raison de l’état de santé
Pour justifier cette solution, la Cour de cassation se fonde essentiellement sur le principe de non-discrimination.
En effet, la Cour énonce :
♦ tout d’abord qu’en application de l’article L.1132-1 du Code du travail dans sa rédaction issue de la loi n°2014-173, aucune personne ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte en raison notamment de son état de santé, sauf si cette mesure est justifiée objectivement par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but sont nécessaires et appropriés ;
♦ que la participation a pour objet de garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l’entreprise (C. trav., art. L.3322-1), selon des modalités de calcul de la répartition des sommes fixées par les textes (C. trav., art. L.3324-5).
La Cour décide que «au regard de la combinaison de ces textes» la période pendant laquelle un salarié, en raison de son état de santé, travaille selon un mi-temps thérapeutique doit être assimilée à une période de présence dans l’entreprise.
En conséquence, en matière de participation, les heures non travaillées résultant de la mise en place du temps partiel thérapeutique doivent désormais être assimilées à du temps de présence pour le calcul de la participation, sauf à constituer une discrimination en raison de l’état de santé.
Ce faisant, la Cour de cassation a suivi l’avis de l’avocate générale référendaire qui avait pris en considération :
♦ le risque de discrimination en raison de l’état de santé du salarié puisque «ce temps partiel est (…) bien la résultante de son état de santé. Il n’est donc pas justifié, selon [l’avocate générale référendaire], de traiter de façon identique un salarié ayant accepté un travail à temps partiel et un salarié qui le subit» ;
♦ la philosophie globale du dispositif dès lors que le mi-temps thérapeutique est «une modalité de reprise du travail qui se veut favorable au salarié. Pour autant, il se trouverait pénalisé si les temps d’absence de son emploi étaient exclus du « total des heures de travail effectif ou assimilées du salarié » alors qu’une absence complète de son poste est assimilée à une période de travail effectif, au sens du Code du travail et de l’accord de participation du 2 février 2015.»
Reste à envisager les conséquences pratiques de cette solution, qu’il s’agisse du salaire à prendre en compte pour le calcul de la prime de participation et, plus généralement, d’une éventuelle extension de cette solution au calcul des droits de ces salariés à l’intéressement.
Conséquences pratiques de cette décision
Salaire à prendre en compte
Dans cet arrêt, la Cour, après avoir énoncé le principe d’une assimilation des absences liées au mi-temps thérapeutique à du temps de travail effectif, se prononce également sur le salaire à prendre en compte pour le calcul de l’assiette de la participation due au salarié dans cette situation.
En effet, la Cour considère que le salaire à prendre en compte est celui que le salarié a perçu avant le mi-temps thérapeutique et l’arrêt de travail l’ayant, le cas échéant, précédé.
En d’autres termes, la Cour considère que, pour le calcul de la prime de participation du salarié en mi-temps thérapeutique, les heures d’absence sont neutralisées et l’employeur doit se référer au salaire perçu avant l’arrêt de travail initial.
En l’espèce, l’employeur aurait donc dû reconstituer l’assiette de la prime de participation de la salariée en temps partiel thérapeutique.
Logiquement, cette solution devrait, sous réserve d’une confirmation jurisprudentielle, être transposable :
⇒ au salarié dont le mi-temps thérapeutique est consécutif à un accident ou une maladie non professionnels;
⇒ et, plus largement, à tout mi-temps thérapeutique non consécutif à un arrêt de travail.
Ainsi, alors que du point de vue du droit du travail, le mi-temps thérapeutique constitue un travail à temps partiel régi par les dispositions des articles L.3123-1 et suivants du Code du travail, la jurisprudence introduit une différence de traitement entre les salariés à temps partiel selon l’origine de celui-ci : alors que la prime de participation d’un salarié à temps partiel pourra être réduite, celle des salariés en mi-temps thérapeutique sera calculée comme pour les salariés à temps plein.
Une solution applicable en matière d’intéressement ?
Cette solution pourrait être transposée pour le calcul de la prime d’intéressement puisque les dispositions légales applicables en matière de répartition de l’intéressement sont similaires à celles qui s’appliquent en matière de participation (C. trav., art. L.3314-5).
En ce sens, la Chambre sociale de la Cour de cassation a déjà admis l’assimilation d’une période de mi-temps thérapeutique consécutive à un arrêt de travail pour accident du travail à une période de présence, mais sans se fonder toutefois sur le principe de non-discrimination en raison de l’état de santé (Cass. soc., 16 juin 2011, n°08-44.616).
Si une solution similaire en matière d’intéressement est prévisible, une confirmation jurisprudentielle serait la bienvenue.
A lire également
Réforme de la participation et de l’intéressement par la loi Pacte : la nouv... 6 mai 2019 | CMS FL
Un mi-temps thérapeutique doit être assimilé à du travail effectif pour calc... 21 septembre 2023 | Pascaline Neymond
Actions de groupe : un nouveau dispositif en matière de discrimination au trava... 9 mai 2017 | CMS FL
Epargne salariale : conditions et délais d’agrément des accords de branc... 29 octobre 2021 | Pascaline Neymond
Lorsque la « holding animatrice » rencontre l’IFI…... 23 mai 2018 | CMS FL
Le défaut d’une action de formation ne peut constituer en soi une discrim... 10 avril 2014 | CMS FL
Mode d’emploi du déblocage exceptionnel de la participation et de l’intére... 26 juin 2013 | CMS FL
Délais et modalités de la procédure de contrôle des accords d’intéres... 31 août 2021 | Pascaline Neymond
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?