Mise en œuvre de la procédure de traitements informatiques : une obligation de transparence limitée ?
L’obligation de transparence de la part de l’administration fiscale lorsqu’elle réalise les traitements informatiques en dehors de l’entreprise est à réévaluer à la suite d’une décision du Conseil d’Etat du 4 mai 2018.
Rappel des obligations pour les entreprises depuis le 1er janvier 2017
Depuis le 1er janvier 2017, en cas de mise en œuvre par l’administration fiscale de la procédure de traitements informatiques prévue à l’article L 47 A II du livre des procédures fiscales (ci-après LPF), l’administration peut exiger que l’entreprise transmette les fichiers source issus des extractions effectuées à partir des applications du système d’information de l’entreprise dans un délai de 15 jours suivant la formulation par l’entreprise de l’une des deux options suivantes : soit elle réalise elle-même les traitements informatiques et transmet les fichiers résultats au service vérificateur (alinéa b), soit elle transmet les données utiles issues de son système d’information, sous forme de fichiers plats pour la réalisation des traitements informatiques décrits dans la demande formulée par l’administration fiscale (alinéa c). Dans le deuxième cas, l’administration réalise les traitements à partir des fichiers sources en dehors des locaux de l’entreprise et communique les résultats soit au format papier soit au format électronique, au choix de l’entreprise.
Lorsque l’entreprise décide d’effectuer elle-même les traitements informatiques décrits dans la demande, l’administration peut effectuer en parallèle les traitements informatiques et de ce fait comparer les résultats avec ceux réalisés par l’entreprise à partir des fichiers source que l’entreprise doit lui avoir communiqués.
L’application parfois stricte des délais très courts dont dispose l’entreprise est difficilement compatible avec les nombreuses contraintes techniques liées notamment, à la volumétrie des informations, la restauration de données et programmes sur des périodes antérieures allant parfois jusqu’à 6 ans. Dans la mesure où le service vérificateur peut désormais disposer des fichiers source issus de leurs systèmes d’information, quand bien même l’alinéa « b » ait été retenu, les entreprises sont de plus en plus dissuadées de réaliser elles-mêmes les traitements informatiques demandés et d’opter pour l’alinéa « c » de l’article L47 A II du LPF.
Lorsqu’elle procède à des rehaussements dans le prolongement des traitements opérés, l’administration fiscale est tenue de décrire les modalités de détermination des rehaussements /rappels d’impôts à partir des traitements informatiques y compris les retraitements éventuels (tris spécifiques, ajouts de sous-totaux par exemple) non spécifiés dans la demande de traitements.
Cette obligation soulève la problématique des modalités de réalisation des fichiers / états résultats.
En effet, en cas de réalisation des traitements informatiques par ses soins (alinéa « c »), l’administration fiscale doit remettre à l’entreprise, non seulement les états / fichiers résultats des traitements sous forme papier ou électronique au choix de l’entreprise, mais également dans le cadre du débat oral et contradictoire, les programmes, conditions d’exécution du ou des traitements ainsi que la documentation éventuelle créée à cet effet (paragraphe 270 du BOI-CF-IOR-60-40-30). Ceci doit permettre à l’entreprise de « rejouer la partie », c’est-à -dire de lui permettre de reproduire les mêmes traitements informatiques que ceux effectués par l’administration fiscale, afin de vérifier les résultats ayant conduit à la détermination des rehaussements / rappels d’impôts afin de vérifier qu’ils ne contiennent pas d’erreurs et de formuler ses éventuels commentaires, voire de contester les résultats présentés par l’administration.
La doctrine administrative n’apporte aucune précision sur le contenu de la documentation qu’elle peut produire mais on peut supposer qu’elle devrait consister à décrire, selon les situations, une méthodologie, ou présenter un cahier des charges technique explicité en français, voire les algorithmes utilisés. Rappelons pour mémoire qu’un algorithme est un ensemble d’instructions appliquées sur des données pour produire un résultat.
Une décision du Conseil d’Etat qui retient une interprétation peu contraignante pour l’administration
Or, une décision du Conseil d’Etat du 4 mai 2018 (n°410950, sté Le Lagon Bleu) interprète de façon restrictive l’obligation de présentation des traitements telle que précisée par les commentaires de l’administration. Suivant la Haute juridiction, l’administration n’est tenue de transmettre à l’entreprise que les fichiers résultats utilisés pour la détermination des rehaussements d’impôts, à l’exclusion donc des programmes, matériels et algorithmes (inclus de facto dans la documentation) utiles à la réalisation des traitements informatiques.
On peut légitimement se demander si cette décision du Conseil d’Etat est compatible avec l’objectif de transparence de la vie publique et avec le droit à l’information des citoyens en cas de décision les concernant prise à partir de traitements informatiques.
En effet, aux termes de l’article R311-3-1-2 du code des relations entre le public et l’administration, celle-ci « communique à la personne faisant l’objet d’une décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique, à la demande de celle-ci, sous une forme intelligible et sous réserve de ne pas porter atteinte à des secrets protégés par la loi, les informations suivantes :
1° Le degré et le mode de contribution du traitement algorithmique à la prise de décision ;
2° Les données traitées et leurs sources ;
3° Les paramètres de traitement et, le cas échéant, leur pondération, appliqués à la situation de l’intéressé ;
4° Les opérations effectuées par le traitement ».
La notion de « public », s’entend de toute personne physique mais également de toute personne morale de droit privé (article L 100-3 du Code des relations entre le public et l’administration).
Il résulte de ce qui précède qu’à la demande de l’entreprise, les modalités des décisions (au cas particulier des rehaussements d’impôts consécutifs à la réalisation de traitements informatiques) prises à son encontre devraient faire l’objet d’une communication de la part de l’administration fiscale.
Quelles sont les protections pour les entreprises ?
La prudence reste de mise car reste à savoir si ces nouvelles obligations qui pèsent sur les administrations publiques d’Etat s’appliquent également à l’administration fiscale. En effet, conformément aux dispositions de l’article L 100-1 du code précité : « Le présent code régit les relations entre le public et l’administration en l’absence de dispositions spéciales applicables. Sauf dispositions contraires du présent code, celui-ci est applicable aux relations entre l’administration et ses agents ». Il n’en demeure pas moins qu’on comprendrait mal pourquoi la procédure fiscale devrait être moins protectrice que les règles du droit commun ; bien au contraire, ces dernières nous semblent pouvoir servir de guide pour l’interprétation des premières.
Au-delà du débat juridique sur ce qui doit être communiqué à l’entreprise dans le cadre de la mise en œuvre des traitements informatiques prévus à l’article L 47 A II du LPF, il est en tout cas clair qu’au cours des opérations de contrôle fiscal (avant la notification des rehaussements éventuels), les entreprises doivent se faire exposer dans le cadre du débat oral et contradictoire les modalités de détermination des rehaussements consécutifs à la mise en œuvre des traitements informatiques. Ainsi, le service vérificateur doit leur présenter les fichiers résultats des traitements informatiques et a minima la méthodologie employée pour réaliser ces fichiers résultats et les rehaussements / rappels d’impôts qui en découlent.
La vigilance de la part des entreprises est donc appelée lors du recours à l’option « c » de l’article précité, et la détermination des rehaussements notifiés doit être suffisamment décrite dans la proposition de rectification pour permettre de vérifier (y compris a posteriori des opérations de contrôle dans l’entreprise) la cohérence des droits rappelés.
Auteur
Frédéric Agez, avocat, droit fiscal