Mise en place du « flex office » : les bonnes questions à se poser
5 juillet 2021
Le flex office (littéralement « bureau flexible » ou bureau dynamique) est un mode d’organisation selon lequel les salariés ne disposent pas d’un poste de travail fixe. Avec la crise sanitaire et le recours intensif au télétravail, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à envisager la mise en place d’un tel mode d’organisation du travail permettant de concilier les aspirations des salariés au télétravail et l’intérêt économique de l’entreprise qui peut ainsi réduire de façon substantielle ses charges immobilières. Si le système a déjà séduit de grands groupes (AXA France, BNP Paribas, Bouygues immobilier…) et concernait déjà 22,5% des entreprises du secteur tertiaire en 2018, il pourrait attirer à l’avenir les petites et moyennes entreprises. Néanmoins, sa mise en œuvre suppose que l’entreprise ait pris en compte toutes les implications de ce mode d’organisation du travail. A cet égard, certains points de vigilance peuvent être identifiés.
S’assurer de l’adhésion des salariés au projet de flex office
Le passage en flex office est conditionné à l’accord des salariés de passer en télétravail.
A cet égard, il faut rappeler que, sauf bien entendu en cas de circonstances exceptionnelles telles que la récente pandémie, l’employeur ne peut pas imposer le télétravail aux collaborateurs dont le contrat est en cours d’exécution. Le Code du travail rappelle à cet égard que le refus du télétravail ne constitue pas un motif de rupture du contrat de travail (art. L.1222-9 du Code du travail ; art. 2.3.3 de l’ANI du 26 novembre 2020). L’employeur doit donc s’assurer qu’un nombre suffisant de salariés accepte de passer en télétravail.
A défaut d’acceptation du télétravail par les salariés, l’entreprise doit leur garantir l’accès au lieu de travail, sauf à manquer à ses obligations contractuelles.
La jurisprudence a en effet jugé, d’une part, que le non-respect prolongé de l’obligation de fournir un lieu de travail peut justifier une prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur (CA Paris 7 février 2019) et, d’autre part, qu’un salarié n’est jamais tenu, ni d’accepter de travailler à son domicile, ni d’y installer ses dossiers et ses instruments de travail (Cass. soc. 2 octobre 2001 n° 99-42.727).
Mais même en cas d’acceptation du télétravail, il semble difficile d’interdire au salarié tout accès au lieu de travail les jours où il ne travaille pas dans les locaux de l’entreprise. En effet, les salariés doivent pouvoir se rendre dans les locaux de l’entreprise pour une raison professionnelle – sans pour autant avoir à y travailler – par exemple, pour rencontrer leur manager, se rendre au service administratif, rencontrer un représentant du personnel ou encore participer à une réunion syndicale.
En tout état de cause, l’entreprise ne peut, sous peine de commettre un délit d’entrave, imposer une quelconque restriction d’accès aux locaux de l’entreprise pour les représentants du personnel qui bénéficient d’une liberté de circulation.
Cette vérification préalable de l’adhésion d’un nombre suffisant de salariés à la mise en œuvre du télétravail revêt donc une importance primordiale pour s’assurer de l’adéquation des espaces de travail disponibles et du nombre de salariés présents, d’autant que lorsque l’entreprise envisage la mise en place du flex office, elle doit souvent procéder à la réalisation de travaux coûteux pour réorganiser les espaces de travail.
Afin de s’assurer de cette adhésion, l’entreprise peut notamment recourir à des enquêtes ou des sondages auprès du personnel concerné et établir un diagnostic de l’occupation des locaux.
Consulter le CSE
Même lorsqu’elle résulte d’un accord collectif, la mise en œuvre du flex office suppose la consultation préalable du CSE dans la mesure où elle constitue une modification de l’organisation du travail.
Les employeurs devront être particulièrement attentifs à certains points lors de la présentation du projet aux élus : garantir une place aux salariés présents sur site (système de réservation, contrôle, etc.), maintenir le lien social (chaque salarié changeant de place chaque jour de présence, le lien avec ses collègues peut se trouver distendu) en proposant des espaces et des moments d’échanges et de convivialité, assurer une bonne gestion de l’espace et des conditions propices au travail (niveau de bruit, accès aux salles de réunion pour les entretiens, accès à des espaces dédiés pour les appels téléphoniques, etc.).
Repenser l’organisation des espaces de travail
La mise en place du flex office se traduit pour l’essentiel par la suppression des bureaux attitrés et des bureaux individuels au profit d’espaces de travail partagés dans lesquels les salariés se succèdent au gré de leurs jours de télétravail.
Néanmoins, certains postes nécessitant que la confidentialité des échanges et des informations traitées puisse être garantie (direction des ressources humaines direction administrative et financière, …), certains bureaux individuels subsistent donc pour de telles fonctions. Certaines entreprises règlent cette question en mettant à la disposition des salariés des espaces dans lesquels ils peuvent s’isoler ou tenir un entretien hors de la présence des autres salariés.
En outre, l’employeur doit mettre à la disposition de ses salariés un espace de rangement sécurisé pour leurs effets personnels.
En effet, depuis 2016, le code du travail prévoit une alternative à l’obligation pour l’employeur de mettre à la disposition des salariés des casiers individuels.
Ainsi, il est désormais prévu que « pour les travailleurs qui ne sont pas obligés de porter des vêtements de travail spécifiques ou des équipements de protection individuelle, l’employeur peut mettre à leur disposition, en lieu et place de vestiaires collectifs, un meuble de rangement sécurisé, dédié à leurs effets personnels, placé à proximité de leur poste de travail » (c. trav. art R. 4228-2).
Cette obligation – applicable à toutes les entreprises – subsiste en cas de mise en place du flex office. L’entreprise devra donc veiller à ce que chaque salarié concerné par ce mode d’organisation du travail en bénéficie.
Enfin, la mise en place du flex office suppose également que l’entreprise investisse dans des équipements informatiques légers et aisément transportables par les salariés concernés (ordinateurs et téléphones portables).
Afin d’éviter tout engagement de sa responsabilité pour les dommages causés au domicile du salarié par les biens qui lui sont confiés par l’employeur, ce dernier doit s’assurer que le salarié dispose bien d’une assurance-multirisque habitation, laquelle couvre en principe tous les dommages causés au logement et à son contenu.
Dans le contexte de la crise sanitaire et de recours intensif au télétravail, un grand nombre de compagnies d’assurance ont donné la possibilité aux assurés de télécharger directement cette attestation sur leur site internet.
En outre, s’agissant du matériel confié, il appartient à l’employeur de vérifier auprès de son assureur que les biens confiés sont couverts en quelque lieu qu’ils se trouvent et qu’une telle situation ne fait pas l’objet d’une exclusion de garantie. Il s’agit là d’une position de prudence, puisque, en principe, l’assurance de l’employeur couvre le salarié quelle que soit son activité et le lieu d’exercice de son activité professionnelle.
Réfléchir à la prise en charge des frais de déplacement
Avec la pérennisation du télétravail dans les entreprises, un certain nombre de salariés sont tentés de quitter les grandes villes pour aller s’installer dans des régions plus réputées pour leur qualité de vie.
A cet égard, il convient de rappeler que le choix de son lieu du domicile constitue une liberté fondamentale pour les salariés. Néanmoins, cette situation nouvelle pose la question de l’étendue de l’obligation de prise en charge par l’employeur des frais de transport exposés par le salarié pour se rendre dans l’entreprise et plus généralement de tous les frais qu’il expose à cette occasion.
Aux termes de l’article L. 3261-2 du code du travail, tout employeur est tenu de prendre en charge, « dans une proportion et des conditions déterminées par voie réglementaire, le prix des titres d’abonnement souscrits par ses salariés pour leurs déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail accomplis au moyen de transports publics de personnes ou de services publics de location de vélos ».
Il s’agit donc là d’une obligation générale dont la jurisprudence a eu l’occasion de préciser la portée. Ainsi, il a été jugé que l’obligation s’applique peu important que les intéressés aient choisi de vivre loin de leur lieu de travail pour convenance personnelle (Cass. soc. 12 décembre 2012 n° 11-25.089), à moins que le salarié réside en semaine dans la ville où il travaille.
Dans ce cas, il ne peut pas prétendre à la prise en charge des trajets qu’il effectue les week-ends et lors de ses congés pour rejoindre celle où vit sa famille (Cass. soc. 22 juin 2016) à moins que le salarié ne soit hébergé près du lieu de travail qu’à titre occasionnel et de façon précaire auquel cas l’obligation de prise en charge s’applique entre son lieu de domiciliation et le lieu de travail (Cass. soc. 12 novembre 2020, n°19-14.818).
En ce qui concerne le traitement social des sommes versées, le bulletin officiel de la sécurité sociale (BOSS), indique que la prise en charge des frais de déplacement entre le domicile et le lieu de travail bénéficie de l’exonération, y compris lorsque le choix du domicile résulte d’une convenance personnelle.
Toutefois en cas de double résidence, le BOSS précise que « la notion de résidence habituelle doit s’entendre du lieu où le salarié réside pendant les jours travaillés. Ainsi, un salarié ayant une double résidence (la semaine à Paris où il travaille, le week-end dans la région où réside sa famille) doit être considéré, au regard de la législation en cause, comme ayant sa résidence habituelle à Paris ». Sur ce point, le BOSS ne semble pas distinguer selon qu’il s’agit d’un hébergement stable ou non.
Avec l’éloignement du domicile du salarié du lieu d’établissement de l’entreprise, se pose également la question de savoir si le salarié doit être considéré comme étant en déplacement lorsqu’il se rend dans les locaux de l’entreprise et si l’employeur doit en conséquence prendre en charge les autres frais exposés à cette occasion, tels que les frais de repas ou d’hébergement.
S’il existe peu de littérature sur ce sujet, on peut tout de même signaler une décision non publiée de la cour de cassation en 2005 par laquelle la cour a jugé a jugé que le contrat de travail prévoyant que le salarié devait travailler à son domicile, ses déplacements pour se rendre dans le cadre de son activité au siège de l’entreprise constituaient des déplacements professionnels devant être pris en charge par l’employeur. Les employeurs devront donc veiller à la rédaction des contrats de travail afin que les déplacements au lieu d’établissement de l’entreprise ne puissent être assimilés à des déplacements professionnels.
Améliorer la productivité par le flex office ?
La mise en œuvre du flex office suppose ainsi que soit menée une réflexion en amont pour favoriser l’appropriation du dispositif par les salariés et anticiper les difficultés susceptibles de se poser avec le changement des habitudes de travail et la dépersonnalisation du lieu de travail. Cette évolution de la culture d’entreprise doit se faire avec le soutien du management qui est un facteur clé de la réussite du projet.
Bien géré, ce mode d’organisation du travail peut s’avérer largement bénéfique pour les entreprises : au-delà des économies réalisées et d’une empreinte carbone moindre, les études montrent qu’elle génère des gains de productivité intéressants.
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