La nécessité pour l’employeur d’assurer la formation des salariés
30 juin 2014
L’employeur doit assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi. S’il s’abstient de toute initiative en matière de formation continue des salariés, il s’expose à des risques judiciaires importants.
1. L’obligation de formation des salariés reposant sur l’employeur
On le sait, ce sont le plus souvent les salariés qui se trouvent à l’origine des formations professionnelles continues dont ils bénéficient tout au long de leur vie active. Ils y ont accès, classiquement, soit à l’occasion d’un congé individuel de formation qu’ils ont sollicité, soit par l’utilisation des heures qu’ils ont acquises au titre de leur droit individuel à la formation.
Les employeurs ont, de leur côté, un rôle important à jouer en la matière, et l’inertie de ces derniers les expose à des risques judiciaires.
L’article L 6321-1 du Code du travail, qui se trouve sous la section première « obligations de l’employeur et plan de formation » du chapitre premier « formations à l’initiative de l’employeur et plan de formation » du titre deuxième concernant les « dispositifs de formation professionnelle continue » précise en effet que :
- l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail,
- l’employeur veille au maintien de la capacité des salariés à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations,
- dans les entreprises et les groupes d’entreprises employant au moins 50 salariés, l’employeur organise pour chacun de ses salariés, dans l’année qui suit leur 45e anniversaire, un entretien professionnel au cours duquel il informe le salarié notamment sur ses droits en matière d’accès à un bilan d’étape professionnel, à un bilan de compétences ou à une action de professionnalisation,
- l’employeur peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, ainsi qu’à la lutte contre l’illettrisme,
Les actions de formation mises en œuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de formation.
L’article L 6312-1 du même Code du travail précise également, notamment, que l’accès des salariés à des actions de formation professionnelle continue est assuré à l’initiative de l’employeur, le cas échéant, dans le cadre du plan de formation.
L’employeur doit donc prendre des initiatives pour assurer la formation des salariés et leur adaptation à leur poste.
2. Quelques illustrations jurisprudentielles récentes stigmatisant les manquements de l’employeur à son obligation de formation des salariés
- L’arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2014 (n°13-14916)
Dans cette affaire, plusieurs salariés, engagés en qualité de préparateurs de véhicules neufs et d’occasion, ont saisi le conseil de prud’hommes puis la Cour d’appel aux fins d’obtenir la condamnation de leur employeur à des dommages et intérêts, motif pris du manquement de celui-ci à son obligation de formation.
La Cour d’appel les a débouté de leurs demandes, estimant qu’ils n’avaient de leur côté émis aucune demande de formation au cours de l’exécution de leur contrat de travail.
La Cour de cassation a censuré cette décision en jugeant que l’obligation de veiller au maintien de la capacité des salariés à occuper un emploi relevait de l’initiative de l’employeur.
- L’arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 2014 (n°13-16235)
Dans cette affaire, une salariée a conclu un contrat d’avenir à durée déterminée (ce type de contrat –dont le régime a été abrogé– était à l’époque conclu au titre des dispositions légales destinées à favoriser le recrutement de certaines catégories de personnes sans emploi). Elle a sollicité judiciairement la requalification de ce contrat en une relation de travail à durée indéterminée. Elle faisait notamment grief à son employeur de ne pas lui avoir assuré les actions de formation dont elle devait bénéficier en application de l’article L 5134-47 du Code du travail (applicable au moment des faits). Cet article précisait que ce type de contrat devait prévoir des actions de formation et d’accompagnement au profit du salarié, qui pouvaient être menées pendant le temps de travail ou en dehors de celui-ci.
La Cour d’appel a débouté la salariée de ses demandes en retenant, notamment, que l’employeur avait satisfait à son obligation en adaptant la salariée au seul poste auquel elle avait été affectée, tout en soulignant que « l’imprimé Cerfa, annexé à la convention individuelle tripartite n’a jamais prévu autre chose qu’une aide à la prise de poste, une adaptation au poste de travail, par formation en interne, sans validation des acquis de l’expérience ».
La Cour de cassation en a jugé autrement. Elle a cassé l’arrêt de la Cour d’appel en retenant que l’employeur avait manqué à son obligation de formation.
- L’arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2014 (n°13-16235)
Dans l’affaire ici tranchée par la Haute Cour, une salariée (engagée par une société en qualité de secrétaire) a saisi le conseil de prud’hommes puis la Cour d’appel aux fins de solliciter, en particulier, la condamnation de son employeur à des dommages et intérêts pour « méconnaissance de son obligation d’adaptation ». Elle soutenait ainsi que, durant ses 7 années de collaboration, elle n’a bénéficié d’aucun stage de formation continue.
La Cour d’appel a répondu favorablement à sa demande et lui a accordé, à titre de dommages et intérêts, la somme de 6 000 euros.
L’employeur a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt. Il a soutenu, entre autres arguments, que la Cour d’appel n’a pas précisé en quoi l’absence de stage pendant une durée de 7 ans aurait eu une incidence sur les possibilités d’adaptation de la salariée et/ou de maintien dans son emploi.
Ces arguments n’ont pas prospéré devant la Cour de cassation, laquelle a dit pour droit que le fait pour la salariée de n’avoir bénéficié, au cours de ses 7 années de collaboration, d’aucun stage de formation continue, caractérisait un manquement de l’employeur à l’obligation de veiller au maintien de la capacité de la salariée à occuper un emploi au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations définies par l’article L 6321-1 précité du Code du travail.
Cette décision n’est pas isolée dès lors que la Cour de cassation a été amenée, dans un passé récent, à statuer dans le même sens en présence de deux salariés comptant respectivement 24 ans et 12 ans d’ancienneté, qui n’ont bénéficié que d’un stage de formation de 3 jours (Cass. soc. 23 octobre 2007, n°06-40950) ou d’un salarié n’ayant bénéficié d’aucune formation en 16 années de présence professionnelle (Cass. soc. 5 juin 2013, n°11-21255).
On voit bien ici que la Cour de cassation durcit quelque peu sa jurisprudence puisque le manquement de l’employeur à son obligation de formation est constaté de plus en plus tôt dans la relation de travail.
- Les arrêts de la Cour de cassation du 5 mars 2014 (n°11-14426 et 12-27701)
Maigre consolation pour l’employeur, la Cour de cassation a estimé, dans deux décisions prononcées le 5 mars 2014, que le fait pour lui de méconnaître le droit du salarié, de retour d’un congé parental d’éducation, à l’action de formation professionnelle prévue à l’article L 1225-59 du Code du travail, d’une part ne caractérisait pas la violation d’une liberté fondamentale, et d’autre part ne constituait pas à lui seul une discrimination illicite.
Il ressort de ce qui précède que l’employeur ne doit pas se contenter de donner son aval aux demandes de formations émanant des salariés. Il doit être « proactif » et veiller de lui-même à ce que les salariés bénéficient d’actions de formation leur permettant non seulement de tenir leur poste dans les conditions demandées, mais encore de s’adapter aux évolutions que peuvent connaître leurs fonctions ou leur métier.
Indépendamment des dommages et intérêts auxquels il s’expose, l’employeur pourrait, par exemple, se voir priver de la possibilité de licencier un salarié pour insuffisance professionnelle s’il ne lui a pas permis de tenir son poste ou de faire face à son évolution technologique ou organisationnelle, via une formation adéquate. Il pourrait de la même manière se voir reprocher un manquement à son obligation de sécurité de résultat dans l’hypothèse où un salarié serait victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle trouvant sa source dans une formation défaillante, ou si, plus simplement, l’état de santé du salarié s’est dégradé du fait qu’il ne justifie plus du niveau de compétences requis pour l’exercice de ses fonctions.
L’employeur a donc tout intérêt à mener une vraie réflexion concernant la formation de chacun de ses salariés et à définir et mettre en œuvre un plan de formation conduisant à ce que, tous les ans, une partie des salariés se voit proposer une formation professionnelle : cette formation favorisera l’épanouissement professionnel et peut-être même personnel des salariés …. et sera de fait, en retour, profitable à l’entreprise.
Auteur
Rodolphe Olivier, avocat associé en droit social.
Article paru dans Les Echos Business le 30 juin 2014
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