Négociations commerciales : les offres initiales
Les nouvelles alliances à l’achat mobilisent toutes les énergies des distributeurs concernés. De nouvelles stratégies susceptibles de promouvoir une nouvelle forme de relation avec les industriels sont approfondies afin de promouvoir l’élaboration de plans de développement durables et vertueux.
Ces nouveaux modes sont appelés à compléter/substituer l’historique biais du rapport de force et permettre l’émergence d’un accord équilibré et porteur de croissance par une démarche collaborative. Ce mouvement est fondamentalement positif. Il discréditera de fait la méthode du rapport de force, légalement répréhensible en présence d’un déséquilibre des pouvoirs.
De l’autre côté, la rentrée signifie la construction des stratégies de négociation par les industriels. Ces réflexions seront menées pendant que les débats devant le Parlement trancheront notamment le maintien ou non d’un nouvel amendement proposé par le rapporteur Michel Raison, aux termes duquel l’acheteur aurait à justifier de l’écart entre l’accord final et le contenu des CGV… Si elle était adoptée, cette disposition renforcerait grandement la notion de « socle unique » de la négociation et intensifierait encore la contrainte juridique encadrant les négociations commerciales.
L’heure est ainsi à la définition des offres initiales des acteurs en vue des prochaines négociations.
Beaucoup a déjà été écrit sur les conditions proposées par l’industriel. Dans une précédente chronique de septembre 2016, nous évoquions la notion nouvelle de « CPV non négociées », depuis largement reprise par la pratique. Une question mérite probablement encore une attention :
Les parties ont-elles pris toute la mesure de l’abrogation de l’interdiction de discriminer ?
Plutôt que de CGV, ne devrait-on pas parler d’offre initiale ?
On se souvient qu’en 2008, la LME a rendu licite la discrimination, en abrogeant l’un des deux principes érigés en 1986 (avec la transparence). Avec la LME, la possibilité de discriminer a clairement ouvert la voie de la libre négociation des conditions de vente, offrant aux parties, la libre faculté de construire une dégradation tarifaire sans que l’industriel n’ait à justifier son comportement. Une application extensive du déséquilibre significatif complète cette liberté par l’obligation pesant sur l’acheteur, de justifier d’une contrepartie réelle et proportionnée pour tout avantage financier négocié. Cette limite concerne l’acheteur, pas le vendeur, sauf position dominante.
En pratique, l’on observe pourtant que l’élaboration des CGV n’a guère évolué chez une majorité d’industriels et se résument à une formulation déconnectée de sa stratégie. Les CGV se limitent souvent à un barème de remises essentiellement liées à la logistique.
La libre faculté de discriminer a pourtant rendu négociable le contenu littéraire et tarifaire des CGV, de sorte que l’industriel pourrait considérer ce support initial, non comme un carcan, mais comme l’expression d’une suggestion, d’une offre cohérente avec sa stratégie à l’égard de l’ensemble de ses clients. Déclinée au niveau d’une catégorie de clients et sous réserve de justification de cette catégorie et de l’affectation de tel client vers telle catégorie, les CGV catégorielles répondent au même office, à savoir l’entrée en négociation. Faux dogme parmi d’autres, le barème de remises CGV est effectivement négociable…contrairement au tarif général.
Mais l’industriel aurait intérêt à aller au-delà et à poursuivre la construction de son offre initiale, en proposant à chaque distributeur, une offre initiale dédiée.
D’abord, l’industriel doit comprendre que son tarif général n’est pas négociable. Il est unique, applicable à toutes ventes conclues au même moment. Il sera d’ailleurs rappelé sur ses factures.
Adaptée aux spécificités de la relation entre l’industriel et chacun de ses clients, son offre initiale serait également composée d’une offre générale et d’une offre particulière. La première serait les CGV. La seconde serait des CPV et répondrait aux objectifs de son auteur à l’égard de chaque client.
Aux considérations générales, les CGV ; aux enjeux particuliers, les CPV : les unes et les autres constituant ensemble l’« Offre Initiale » de l’industriel en plus du tarif.
L’usage d’une telle déclinaison est encore rare, malgré sa pertinence opérationnelle et juridique à bien des égards :
- L’industriel trouvera intérêt à formuler une dégradation tarifaire associée à des contreparties acceptables par son client et cohérentes avec ses stratégies générale et particulière. Les leviers de développement des ventes ou d’économie de chaque relation varient d’un client à un autre, l’offre initiale également.
- D’un point de vue juridique, l’acheteur y trouvera également son compte en disposant d’une offre complète avant toute négociation. L’offre initiale comprendrait ainsi une proposition de dégradation tarifaire conçue unilatéralement par l’industriel qui, si elle était adoptée finalement dans la convention annuelle, en tout ou partie, constituerait un îlot de relative quiétude juridique, la justification de la proportionnalité de la contrepartie associée à chaque avantage financier étant attendue dans une moindre mesure.
Industriels et distributeurs ont ainsi sensiblement avantage au développement de véritables offres initiales, plus étendues et plus riches que des CGV aujourd’hui reconduites d’année en année, sans considération particulière.
La faculté de discriminer introduite en 2008 par la LME doit être appréhendée dans toute sa mesure. L’Offre Initiale en est une illustration, dans l’intérêt des uns et des autres.
Auteur :
Olivier Leroy, Avocat associé – CMS Francis Lefebvre Lyon avocats
Article paru précédemment dans LSA du 27/08/2018