Négocier le plan de sauvegarde de l’emploi : vers un monde nouveau ?
29 avril 2013
La loi de sécurisation de l’emploi va offrir aux entreprises la possibilité de négocier le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi. Elle marque une évolution profonde du droit du licenciement économique qui ignorait encore largement la négociation sur l’emploi.
« Du fric ou boum » : un contexte de lutte et de contentieux
« Du fric ou boum » : un slogan dont le souvenir est hérité de la période de restructuration de Moulinex, il y a une dizaine d’années, et des contentieux qui en sont nés. Il était significatif, dans une perspective de fermeture de sites et de licenciements pour motif économique, d’une opposition radicale, d’une forte revendication indemnitaire, et donc d’un dialogue social particulièrement difficile. Les conditions d’une négociation avec les organisations syndicales ne se trouvaient pas réunies, ni en fait, ni en droit. Il est vrai – et c’est un paradoxe – que la conception française du droit du licenciement pour motif économique n’a jamais favorisé la négociation collective.
Le « plan social » relevait historiquement d’une décision du chef d’entreprise
Le projet de licenciement pour motif économique et le projet de restructuration dont il procède relèvent de la décision du chef d’entreprise. Le « plan social », selon l’expression originelle, et dont l’existence même résulte d’un avenant du 21 novembre 1974 à l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurité de l’emploi du 10 février 1969, est un acte unilatéral : il n’est pas un objet de négociation. C’est de ce caractère que résulte le droit en vigueur, fortement orienté sur une procédure formelle de consultation du comité d’entreprise, et non sur une négociation avec les organisations syndicales.
Cela a souvent amené une cristallisation extrême des positions des différentes parties prenantes sur de strictes questions de procédure ou de forme : quels sont les rôles du comité d’entreprise européen et du CHSCT ? quelle information économique doit être donnée ? quel délai d’examen suffisant doit être laissé ? etc. Un contentieux stérile, et le plus souvent dilatoire, en a été la conséquence, sans que les questions tenant au reclassement et à l’emploi en soient le centre.
La négociation était absente du droit du licenciement pour motif économique
Le droit du licenciement pour motif économique a historiquement encadré le pouvoir de décision du chef d’entreprise au moyen de l’autorisation administrative de licenciement (Ordonnance du 24 mai 1945 et loi du 3 janvier 1975). Le régime applicable se caractérisait donc, pour l’essentiel, par l’exercice du pouvoir du chef d’entreprise encadré par ce contrôle administratif. La négociation collective était largement absente du droit du licenciement pour motif économique, celle-ci n’étant en matière d’emploi devenue obligatoire que sur des sujets périphériques, tel celui de la gestion prévisionnelle des emplois.
L’emploi s’est progressivement immiscé comme objet de négociation avec les organisations syndicales
L’accord collectif, singulièrement au niveau interprofessionnel ou au niveau des branches, n’a jamais été totalement absent du régime juridique du licenciement collectif pour motif économique. Le contrôle administratif s’est effacé en application des lois du 3 juillet 1986 et du 30 décembre 1986 desquelles a résulté la suppression de l’autorisation administrative de licenciement.
L’emploi s’est progressivement immiscé dans l’entreprise comme objet de négociation. La loi du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciement collectif avait marqué, tant par son intitulé que par la teneur de ses dispositions, une inclinaison vers la négociation collective. Elle avait introduit « à titre expérimental » la possibilité (reprise par la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale) de déroger par accord collectif aux dispositions de la loi relatives aux modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise lors des restructurations d’entreprises. Les accords dits de méthode en sont nés.
La négociation portait sur la procédure mais permettait aussi au chef d’entreprise et aux organisations syndicales de déterminer les conditions dans lesquelles l’établissement du plan de sauvegarde de l’emploi pouvait faire l’objet d’un accord et d’anticiper le contenu de celui-ci. L’accord collectif émergeait ainsi du droit du licenciement, marquant une évolution qui allait se confirmer.
La légitimité des accords collectifs a été renforcée par la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale
La loi du 20 août 2008 était portée par un courant d’inspiration : celui d’une forme de renouveau conventionnel, c’est-à-dire de promotion de la négociation avec les organisations syndicales. Elle visait en effet à réformer la démocratie sociale et à promouvoir la négociation collective au moyen d’une légitimité accrue des organisations syndicales, grâce notamment à la réforme de la représentativité.
L’émergence d’un droit conventionnel du licenciement est favorisée par la loi de sécurisation de l’emploi
L’accord collectif prévu par la prochaine loi pourra fixer le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi. Il pourra également porter sur le nombre de suppressions d’emploi, les modalités de mise en œuvre des mesures de reclassement, etc. La légitimité de cet accord sera renforcé par son caractère majoritaire : il devra être signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant obtenu 50 % des suffrages lors des derniêres élections.
L’entreprise va être confrontée à un choix : négocier le plan de sauvegarde de l’emploi ou l’établir unilatéralement La réforme vise notamment à sécuriser juridiquement les plans de sauvegarde de l’emploi au moyen d’un accord majoritaire, validé par l’autorité administrative, ou d’une homologation administrative de plan établi unilatéralement. Un régime binaire en résulte: l’exercice par le chef d’entreprise de ses prérogatives, dans la conception communément retenue (sous homologation administrative), ou l’accord collectif (sous contrôle restreint de l’autorité administrative).
La voie de la négociation ouvre pour sa part une perspective nouvelle aux entreprises dans la conduite de leurs politiques des ressources humaines et le modèle de leurs relations sociales. Le souffle conventionnel que portent les réformes est suffisamment fort pour que les entreprises s’y préparent d’ores et déjà.
A propos de l’auteur
Laurent Marquet de Vasselot, avocat associé spécialisé en matière de relations sociales. Sa grande expertise du droit social l’ont amené, depuis plus de 20 ans, à être le conseil régulier de grandes entreprises et institutions, pour la conduite de leur politique sociale et des ressources humaines, et la mise en œuvre de leur restructuration.
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