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Négocier un accord d’entreprise avec les représentants élus du personnel

La loi du 20 août 2008 a généralisé la possibilité pour les entreprises de négocier des accords collectifs avec les représentants élus du personnel. Selon le rapport annuel de la négociation collective 2012, ce type d’accords représenterait près de 20% des accords déposés.

Rappel des conditions légales

La négociation dérogatoire d’un accord d’entreprise ou d’établissement avec les élus du personnel (membres élus du comité d’entreprise ou à la délégation unique du personnel, ou, à défaut, délégués du personnel) n’est possible qu’à deux conditions : l’entreprise doit avoir un effectif inférieur à 200 salariés et être dépourvue de délégué syndical.

L’accès à la négociation est par ailleurs limité dans son contenu puisqu’elle ne peut concerner que des « mesures dont l’application est également subordonnée à un accord collectif ». Si le terrain le plus propice à cette négociation est à l’évidence celui du temps de travail, la notion de « mesures dont l’application est légalement subordonnée à un accord collectif » n’est pas évidente.

En effet, comment considérer ces mesures lorsque la loi prévoit que, subsidiairement, elles peuvent être mises en place par une autre voie, comme en matière de mise en place du repos compensateur de remplacement, ou de suppression du comité d’entreprise ? Bien qu’une interprétation littérale et stricte semble devoir prévaloir, elle apparaît parfois contre-productive. Ce que l’employeur peut faire unilatéralement, il devrait a fortiori pouvoir le faire par accord.

Une procédure strictement encadrée

Cette négociation dérogatoire est en outre encadrée procéduralement par l’implication de la branche et des organisations syndicales. En amont de la négociation d’entreprise, l’employeur doit ainsi informé les organisations syndicales représentatives au niveau de la branche de sa décision d’engager des négociations. En aval, l’accord, une fois signé par les élus titulaires représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections doit être validé, expressément ou implicitement, par une commission paritaire de branche, à défaut de quoi il est réputé non écrit.

Un nombre significatif de branches professionnelles s’est emparé de la question en créant des commissions de validation ad hoc dont les modalités de fonctionnement, et notamment les conditions de sa saisine, sont plus ou moins détaillées. La branche de l’édition a ainsi élaboré en annexe de son accord une « fiche de dépôt pour les accords dérogatoires », tandis que la branche des bureaux d’études techniques (Syntec), de loin la plus précise, exige, à peine d’irrecevabilité de la demande de validation, une « attestation d’avocat ou de conseil à compétence juridique, extérieur à l’entreprise et dont c’est l’activité principale, certifiant, sans réserve, de la conformité de l’accord au regard des dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles », ainsi qu’une attestation des signataires relative au respect des principes énoncés à l’article L. 2232-27-1 (indépendance des négociateurs vis-à-vis de l’employeur, élaboration conjointe du projet d’accord par les négociateurs, concertation avec les salariés, bonne foi des négociateurs et faculté de prendre l’attache des organisations syndicales représentatives dans la branche).

Le contrôle exercé au niveau de la branche

Même si les organisations syndicales souhaiteraient parfois pouvoir contrôler l’opportunité de l’accord, elles ne sont en principe chargées que d’en vérifier la validité au regard des dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles applicables : respect de la procédure de négociation dérogatoire, du domaine de la dérogation, du contenu de l’accord.

La commission dispose pour ce faire d’un délai de 4 mois à compter de sa saisine. A défaut de réponse dans ce délai, l’accord est réputé avoir été validé (article L. 2232-21).

Même si certaines branches ont prévu que toute décision de refus doit être motivée, on peine cependant à identifier en pratique les facultés de recours dont disposent les signataires de l’accord contre une décision de refus de validation de la commission paritaire, qui est dépourvue de la personnalité morale.

Des incertitudes relatives à l’évolution de l’accord

Reste un dernier axe de questionnement, celui du devenir de l’accord. La loi prévoit que ces accords « peuvent être renouvelés, révisés ou dénoncés selon les modalités mentionnées à ces paragraphes respectivement par l’employeur signataire, les représentants du personnel ou un salarié mandaté à cet effet ».

De nombreuses questions peuvent se poser sur le devenir de l’accord et en particulier sur sa révision en cas d’évolution de la situation de l’entreprise.

Un accord signé par les délégués du personnel peut-il être révisé par le comité d’entreprise nouvellement élu et inversement ? L’interchangeabilité des instances n’est pas évidente.

Un tel accord peut-il être révisé par un délégué syndical ? On peut imaginer une adhésion de l’organisation syndicale qui l’a désignée à l’accord en question. Pourtant l’administration s’était prononcée en 2004 en défaveur d’une telle révision. Quelle portée accordée à la dénonciation de l’accord régulièrement conclu et validé par une partie seulement des représentants signataires ?

En cas de disparition des instances représentatives du personnel, l’accord prend-il fin de plein droit du fait de la disparition de tous les signataires côté salarial ?

On le voit, de nombreuses questions restent encore en suspens, dont les juridictions n’ont pas encore été saisies à ce jour. Le rôle croissant de la négociation collective et la place prépondérante qu’y occupe la négociation d’entreprise devraient toutefois conduire à de prochains éclaircissements.

 

A propos des auteurs

Raphaël Bordier, avocat associé. Il est spécialisé en droit social et soutient des organisations françaises, comme européennes et internationales. Plus spécifiquement, il intervient, en assistance au quotidien de client, au sein du cabinet, dans le domaine des relations collectives et individuelles du travail.

Aurore Friedlander, avocat,

 

Article paru dans Les Echos Business du 22 janvier 2014