« No show » et TVA : un préjudice peut-il en cacher un autre ?
Le terme « no show » désigne la situation dans laquelle un client ne se présente pas à la prestation qu’il a réservée, sans pour autant avoir préalablement annulé sa réservation.
Si on pense naturellement aux hôteliers, aux compagnies aériennes ou encore aux organisateurs d’événements, les « no show » touchent tous les secteurs d’activités. Or, les conséquences attachées à un « no show » sont significatives, tant en terme de perte de chiffre d’affaires que de perte de marge. Aussi, les opérateurs cherchent par tous moyens à endiguer ce phénomène.
Le dépôt de garantie, un moyen de limiter les préjudices liées au « no show »
Nous ne sommes plus étonnés de recevoir un SMS du cabinet médical pour rappeler au patient son rendez-vous.
L’objectif est simple pour le médecin. Éviter de désorganiser son agenda, raccourcir les délais de prise de rendez-vous, et encore d’éviter de subir une perte financière.
Il est en effet difficilement envisageable pour le médecin de demander un dépôt de garantie lors de la prise de rendez-vous, et impossible de solliciter un honoraire, celui-ci ne pouvant être sollicité « qu’à l’occasion d’actes réellement effectués » conformément à l’article R.4127-53 du code de la santé publique.
Dans d’autres secteurs, les défaillances sont plus nombreuses, et les préjudices plus importants, le prestataire s’interdisant de vendre sa prestation à un autre client, et devant mobiliser des moyens, générateurs de coûts pour rendre le service réservé.
Ainsi, l’hôtelier va nettoyer et chauffer ses chambres, mobiliser du personnel, le cas échéant solliciter des extras, commander les denrées pour assurer le petit déjeuner, les prestations de restauration…autant de coûts engagés à perte en cas de défaillance du client.
Pour inciter le client à honorer sa réservation, et, le cas échéant absorber une partie du préjudice subit en cas de défaillance, il est fréquent que les prestataires sollicitent le versement d’une somme à titre de dépôt de garantie.
Lorsque le client honore sa réservation, cette somme s’impute logiquement sur le prix de la prestation, soumise à la TVA.
Plus délicate semble être la question du traitement TVA de la somme conservée par l’opérateur dans l’hypothèse d’un « no show ».
Non taxation des arrhes dans le secteur hôtelier
A l’issue d’un long contentieux, le Conseil d’État (CE 30 novembre 2007 n°263653, 8e et 3 s.-s. : RJF 2/08 n°129) a jugé, après avoir interrogé la Cour de justice de l’Union européenne (CJCE 18 juillet 2007 Aff. C-277/05, 1e ch., Sté Thermale d’Eugénie-les-Bains : RJF 11/07 n°1363) s’agissant des arrhes perçus par un hôtelier que les « sommes versées à titre d’arrhes, dans le cadre de contrats portant sur des prestations de service hôtelier assujetties à la TVA, doivent être regardées, lorsque le client fait usage de la faculté de dédit qui lui est ouverte et que ces sommes sont conservées par l’exploitant d’un établissement hôtelier, comme des indemnités forfaitaires de résiliation versées en réparation du préjudice subi à la suite de la défaillance du client, sans lien direct avec un quelconque service rendu à titre onéreux et, en tant que telles, non soumises à cette taxe ».
Postérieurement à cette jurisprudence, l’administration a précisé que « les sommes conservées par les tour-opérateurs en cas d’annulation, par le client, du voyage commandé, qui ne peuvent être considérées comme la contrepartie d’un service fourni ne sont donc pas soumises à la TVA » en se référant expressément dans son rescrit à la décision de la Cour de justice. (BOI-TVA-SECT-60 n°230).
A fortiori, l’administration admettait donc jusqu’à présent le caractère indemnitaire de la conservation des sommes versées par les clients par les hôteliers directement concernés par l’affaire Eugénie-Les-Bains.
Taxation des billets d’avion et des cartes de cinéma
Le juge de l’impôt à toutefois eu à connaître du traitement TVA des sommes conservées par les compagnies aériennes au titre des billets émis et non utilisés (notamment, CE 13 avril 2016 n°365172 et 365173, 8e et 3e s.-s., Stés Air France KLM et Brit Air : RJF 7/16 n°608) ou encore des tickets et cartes de cinéma à entrées multiples (CE 15 avril 2016 n°373591, 9e et 10e s.-s., MK2 Vision : RJF 7/16 n°609).
Dans ces affaires, le Conseil d’Etat a jugé que les sommes conservées par les opérateurs ne pouvaient être regardées comme réparant un préjudice et, par suite, devaient être soumises à la TVA.
Cette position, par elle-même critiquable, a été justifiée par le fait que la somme versée par le consommateur avait pour contrepartie le droit qu’en tire le client de bénéficier de l’exécution des obligations découlant du contrat conclu, indépendamment du fait qu’il mette en œuvre ce droit.
Un nouveau contentieux sur les « no show »
Se fondant sur ces dernières décisions, nombreux sont les opérateurs qui font l’objet de redressements de la part de l’administration.
Si sont concernés au premier chef les hôteliers, pour lesquels le caractère non imposable des « no show » semblait acquis, on peut s’attendre à ce que ce type de rappel puisse s’étendre à d’autres opérateurs conservant les sommes encaissées à titre de garantie.
L’analyse qui fonde la taxation est-elle pour autant pertinente ?
Nous ne pouvons qu’être sceptiques.
S’agissant en particulier des hôteliers, si la Cour de justice en a écarté l’application pour le cas des « no-show » dans le secteur du transport aérien, elle n’a en aucune façon remis en cause sa jurisprudence Eugénie-Les-Bains comme il ressort clairement du point 33 de son arrêt dans lequel la Cour indique que les requérants ne peuvent « se fonder sur la jurisprudence de la Cour relative à la non-soumission à la TVA des sommes versées au titre d’arrhes » (CJUE 23 décembre 2015 Aff. C-250/14 et C-289/14, 1e ch., Air France KLM et Hop ! Brit Air SAS §33 : RJF 3/16 n°309).
Ensuite, nous ne voyons pas le service qui serait rendu au client défaillant.
Pour conclure au caractère imposable des sommes conservées par les hôteliers, l’administration considère désormais que le service rendu doit être recherché dans le nettoyage et la réservation de la chambre. Or ce point nous semble avoir déjà été écarté par la jurisprudence.
En effet, si l’avocat général avait conclu dans l’affaire Sté Thermale d’Eugénie-les Bains, tout comme le fait l’administration aujourd’hui, que « la société thermale a fourni une prestation à ces clients défaillants. Elle leur a garanti une chambre », la Cour de justice a expressément censuré cette analyse en précisant que « que l’obligation de réservation résulte du contrat d’hébergement lui-même et non pas des arrhes versées ».
Le client défaillant n’étant pas hébergé, et le service de réservation étant attaché à la prestation d’hébergement, il nous semble difficile de voir dans la somme conservée autre chose que la réparation du préjudice subi par l’hôtelier.
Les hôteliers et autres professionnels soumis à des redressements analogues nous semblent donc recevables à contester la position de l’administration.
Auteur
Frédéric Bertacchi, avocat counsel, droit de la TVA
« No show » et TVA : un préjudice peut-il en cacher un autre ? – Avis d’expert publié le 30 janvier 2018 sur l’espace abonné (Navis) des Editions Francis Lefebvre
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