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Non-respect des engagements assortissant une autorisation de concentration : lettre, finalité et circonstances

Non-respect des engagements assortissant une autorisation de concentration : lettre, finalité et circonstances

Par une décision n°16-D-07 du 19 avril 2016, l’Autorité de la concurrence (ADLC) a sanctionné sans ménagement l’opérateur Altice / Numéricable pour n’avoir pas respecté tous les engagements pris pour assurer la cession de l’entreprise Outremer Telecom (OMT), à la Réunion et à Mayotte, dans le cadre de l’autorisation de l’opération de prise de contrôle exclusif de SFR par Numericable group1.

Ainsi, dans les engagements liés à la cession d’OMT, figuraient notamment ceux de faire les «meilleurs efforts pour éviter tout risque de perte de compétitivité de l’activité cédée», de ne pas mener d’actions qui pourraient altérer «la stratégie commerciale de l’activité cédée» ou encore de «préserver la viabilité économique, la valeur marchande et la compétitivité de ces activités jusqu’à leur cession».

Alors que la stratégie commerciale d’OMT était jusque-là tournée vers la conquête de nouveaux clients par une politique de prix agressifs, des hausses tarifaires importantes (atteignant parfois 60%) ont été appliquées aux forfaits d’OMT, modifiant le rôle d’agitateur de concurrence tenu jusqu’alors par OMT sur les deux îles face aux deux autres acteurs, Orange et SFR.

L’ADLC, ayant appris par la presse ces futures hausses, en a informé les avocats des parties en novembre 2014 et s’est auto-saisie du dossier le 15 janvier 2015. Dès la fin janvier, les parties ont informé l’ADLC de mesures très rapides d’annulation des hausses tarifaires.

C’est dans ce contexte que l’ADLC a prononcé une amende significative de 15 millions d’euros. L’appréciation du manquement et du niveau de la sanction repose, de manière résumée, sur une analyse s’appuyant principalement sur la lettre des engagements, mais aussi parfois sur la finalité de cette lettre ainsi que sur les circonstances dans lesquelles sont intervenues les pratiques litigieuses.
Ainsi, ne voyant dans la rédaction des engagements et de la décision aucune difficulté dinterprétation, l’ADLC rappelle que la préservation du positionnement concurrentiel agressif de l’activité cédée était le remède efficace aux problèmes de concurrence. Elle insiste en soulignant que la désignation d’un gestionnaire indépendant pour gérer de façon séparée OMT jusqu’à sa vente avait d’ailleurs été requise à cet effet. En outre, peu importe qu’OMT soit restée au final, le cas échéant, moins chère que ses concurrents dès lors que l’engagement pris était de ne pas modifier sa politique commerciale et de ne pas perdre de compétitivité.

Pour apprécier le montant de la sanction, l’ADLC relève notamment que l’engagement structurel (même si les engagements liés sont de nature plutôt comportementale) de cession, par définition recherché en priorité, était «central» et que les augmentations importantes de prix dans le cadre de la cession conduisaient à priver de tout effet utile cet engagement. Elle rejette ensuite l’argument des parties tiré de la durée limitée des pratiques (dans l’absolu réduite à quelques mois) et considère que cette durée est au contraire caractéristique de la gravité de l’infraction : les hausses de prix avaient été mises en œuvre sur la quasi-totalité de la période des engagements et les parties n’avaient modifié leur comportement que face au risque de sanction auquel l’auto-saisine de l’ADLC les exposait. En définitive, l’ADLC qualifie le manquement de particulièrement grave.

Enfin, elle pointe le défaut d’information de l’ADLC par les parties sur les hausses tarifaires, tant en cours d’examen du dossier de notification qu’après l’autorisation, comme une circonstance aggravante. Elle en relève une autre dans le non-respect de l’obligation de gestion séparée d’OMT, renforcée par le maintien des hausses après l’information donnée par les services de l’ADLC en novembre 2014. Les mesures effectives de correction des hausses pour revenir à la tarification précédente qui étaient intervenues dans un délai de 1 à 5 mois sont quant à elles reconnues comme des éléments atténuants de la sanction.

Ce n’est pas, loin s’en faut2, la première décision de sanction pour non-respect des engagements : l’impérieuse nécessité de leur application scrupuleuse par les parties est une nouvelle fois réaffirmée.

Notes

1 Décision n° 14-DCC-160 du 30 octobre 2014
2 Outre l’emblématique affaire Canal Plus (décision 11-D-12 et ses recours), voir pour un exemple voisin d’altération des actifs à céder, la décision 12-DCC-15 du 9 juillet 2012

 

Auteur

Denis Redon, avocat associé en droit de la concurrence

 

Non-respect des engagements assortissant une autorisation de concentration : lettre, finalité et circonstances – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 6 juin 2016