Nouveauté : la cession des contrats d’achat d’électricité à des organismes agréés
La presse spécialisée a largement relayé le fait que la société Enercoop venait d’être agréée comme cessionnaire de contrats d’achat d’électricité d’origine renouvelable. Il serait ainsi mis fin, selon les affirmations de cette même presse, au monopole de l’opérateur historique sur le « contrat d’achat ». En pratique, cet événement est l’aboutissement d’un processus complexe, sur lequel il est particulièrement éclairant de revenir aujourd’hui.
Fondements de l’agrément
L’agrément délivré à Enercoop a été accordé sur la base du VIII de l’article 104 de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Cette disposition, qui a ajouté un article L.314-6-1 au Code de l’énergie, permet aux producteurs d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable de céder le contrat d’achat qu’ils ont conclu avec un acheteur obligé (EDF ou une entreprise locale de distribution – ELD) à un organisme agréé. Il en existe deux à ce jour : Enercoop (depuis fin septembre) et Hydronext (depuis fin octobre).
De manière générale, un choix s’offre au producteur pour écouler son énergie : soit vendre directement cette électricité sur le marché de gros ou de détail ; soit se placer sous le régime de l’obligation d’achat ou du complément de rémunération (articles L.314-1 et suivants du Code de l’énergie). S’il choisit de bénéficier de l’obligation d’achat et s’il n’est pas situé dans une zone non interconnectée (ZNI), il peut céder à un organisme agréé son contrat signé avec EDF ou l’ELD territorialement compétente, sans modification de ses droits et obligations : il continue de bénéficier du soutien financier de l’Etat aux énergies renouvelables, tout en vendant sa production à un acheteur qu’il a choisi.
Cadre juridique : retour sur la genèse du dispositif
Ce mécanisme est issu de l’amendement n°2663, 2e rectification du 10 octobre 2014, adopté par l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, dont l’exposé sommaire indiquait : « seules EDF et de rares ELD sont tenues par l’obligation d’achat. Cet amendement permet de partager cette activité entre les différents producteurs tout en assurant une certaine cohérence. En effet, plus le nombre d’acheteurs obligés sera élevé, plus il sera complexe de gérer le mécanisme de l’obligation d’achat ». Cet amendement entendait « préserve[r] un guichet unique pour l’élaboration du contrat initial, mais permet[tre] ensuite de déléguer la gestion du contrat et de l’énergie à un organisme tiers agréé, qui pourra être un fournisseur ou un agrégateur ». Le compte rendu intégral des débats législatifs permet de comprendre qu’Enercoop n’est pas étrangère à cette évolution législative, l’opérateur ayant été directement visé lors de la présentation de l’amendement en séance. L’objet du texte était de faire évoluer la gestion des obligations d’achat, « afin qu’un certain nombre d’agrégateurs agréés puissent gérer un groupe de producteurs d’énergies renouvelables », étant entendu que « le cheminement passe initialement par EDF, pour centraliser le processus ; ensuite, en revanche, ce sont les agrégateurs agréés qui sont chargés de la gestion courante ».
La possibilité de déléguer la gestion des contrats d’achat à des organismes agréés a été ensuite clarifiée par le Sénat (séance du 17 février 2015). La Haute assemblée a ainsi qualifié le mécanisme de « cession de contrat », ajusté la date d’entrée en vigueur de la cession afin de tenir compte des contraintes liées au calcul de la compensation des surcoûts d’achat et aux changements de périmètre d’équilibre (le 1er janvier suivant la demande de cession formulée par le producteur), précisé les droits et obligations liés à la cession et, enfin, prévu le remboursement à l’acheteur obligé des frais de conclusion et de gestion des contrats d’achat par l’organisme cessionnaire jusqu’à la date de cession. Les organismes agréés sont naturellement considérés comme des opérateurs supportant des charges de service public, bénéficiant par là-même de la compensation de ces charges en application des articles L.121-6 et L.121-7 du Code de l’énergie.
Amélioration et précision du cadre juridique initial
L’article 4 de l’ordonnance n°2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables a modifié ce dispositif ,d’une part, en supprimant la référence au délai de six mois après la signature du contrat d’achat conclu avec un acheteur obligé dans lequel devait s’inscrire le producteur pour céder le contrat et, d’autre part, en faisant peser la charge du contrôle du respect des engagements pris par l’organisme agréé à la demande du ministre chargé de l’Energie sur l’organisme lui-même.
Le décret n°2016-690 du 28 mai 2016 précise les modalités d’application du mécanisme de cession de contrats inscrit à l’article L.314-6-1 du Code de l’énergie (cf. art. R.314-52-1 à R.314-52-11 nouveaux). En premier lieu, ces dispositions réglementaires déterminent les modalités d’agrément des organismes. Ainsi, sont seuls susceptibles d’être agréés les organismes présentant les capacités suffisantes, techniques (avoir exercé une activité de responsable d’équilibre ou avoir conclu un contrat avec un responsable d’équilibre) et financières (par exemple, pouvoir produire une cotation par un organisme externe d’évaluation du crédit), étant souligné que l’article R.314-52-1 doit encore être précisé par un arrêté ministériel. La demande d’agrément doit être adressée au ministre compétent, qui dispose d’un délai de deux mois pour se prononcer, à compter de la réception de la demande complète. L’article R.314-52-3 fixe le principe suivant lequel le silence du ministre vaut rejet. Ici encore, le contenu de la demande et ses modalités de transmission seront fixés par arrêté. Enfin, l’agrément fixe le nombre maximal de contrats d’achat que chaque organisme est autorisé à gérer et la puissance installée maximale correspondante (art.R.314-52-2).
En deuxième lieu, l’article R.314-52-7 énonce les modalités de cession des contrats d’achat, lesquelles pourraient bien être source de contentieux.
Le producteur doit envoyer – il s’agit bien de la date d’envoi – sa demande de cession avant le 1er octobre d’une année déterminée à son acheteur obligé, par voie postale ou dématérialisée. Cette demande de cession doit être accompagnée de la copie du contrat d’achat cédé, étant entendu que seuls les contrats d’achat signés peuvent faire l’objet d’une telle cession, et d’une lettre de l’organisme agréé donnant son accord pour être le cessionnaire du contrat. On notera que la loi n’a pas ouvert à l’acheteur obligé la possibilité de céder lui-même le contrat d’achat à un organisme agréé.
A compter de la date de réception de la demande de cession, l’acheteur obligé dispose d’un délai d’un mois – qui est donc un délai calendaire – pour « faire parvenir » au producteur et à l’organisme agréé, par voie postale ou dématérialisée, un avenant tripartite au contrat d’achat. Cet envoi doit être accompagné de la facture correspondant aux frais de signature et de gestion du contrat cédé, dont les modalités de remboursement sont précisées à l’article R.314-52-8 du Code de l’énergie. Une fois le contrat reçu par l’organisme agréé, ce dernier dispose d’un délai d’un mois pour le retourner signé à la fois par ses soins et par le producteur, avec le règlement de la facture susmentionnée. Les modèles d’avenants sont approuvés par le ministre chargé de l’Energie. La sanction du dépassement de ce délai est sévère, puisque la demande de cession est alors réputée abandonnée (article R.314-52-7).
En troisième lieu, le décret prévoit les modalités de transfert d’un contrat d’achat d’un organisme agréé à un autre (article R.314-52-9), notamment en cas de retrait de l’agrément de l’organisme cessionnaire initial (articles R.314-52-2 et R.314-52-6). Celles-ci sont similaires à celles prévues pour la cession initiale et le modèle d’avenant est aussi approuvé par le ministre chargé de l’Energie.
En quatrième et dernier lieu, le décret impose aux organismes agréés cessionnaires des contrats d’achat de transmettre annuellement la liste des contrats qui leur ont été cédés, ainsi que des puissances installées (article R. 314-52-11).
Conclusion
Si cette innovation législative vise clairement à fluidifier le marché de gros, il est difficile à ce stade de savoir comment s’équilibrera économiquement la cession de contrats d’achat, notamment en l’absence d’informations sur la valorisation du droit de cession, et de dispositions prévoyant un retour du contrat d’achat chez l’acheteur obligé en cas de résiliation du contrat cédé. Si l’article L.134-6-1 du Code de l’énergie pose le principe selon lequel « toute cession est définitive », on imagine toutefois mal que le producteur soit privé du bénéfice de l’obligation d’achat par la faillite de l’organisme agréé, a fortiori si celui-ci n’est pas son cessionnaire de premier rang. La « bancabilité » de telles cessions dépendra sans doute de la clarification de cette question.
Toujours est-il que c’est dans ce cadre qu’Enercoop a adressé une demande d’agrément au ministre de l’Environnement, de l’énergie et de la mer, qu’elle a obtenu par arrêté du 20 septembre 2016, pour un nombre maximal de 75 contrats d’achat et une puissance installée correspondante maximale de 100 MW. Hydronext a fait de même et détient à ce jour un agrément pour un maximum de 10 contrats d’achat et une puissance installée correspondante maximale de 50 MW, délivré par arrêté du 31 octobre 2016. On relèvera que, dans le cas d’Enercoop comme dans celui d’Hydronext, le nombre de contrats concernés ainsi que les puissances installées restent très limités, peut-être en raison des incertitudes juridiques et économiques pesant encore sur le nouveau mécanisme.
Auteur
Aurore-Emmanuelle Rubio, avocat en droit de l’énergie et droit public.