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Le nouvel ordre conventionnel après les ordonnances : quelle place pour la branche ?

Le nouvel ordre conventionnel après les ordonnances : quelle place pour la branche ?

Avec l’adoption de l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, ce qui était jusqu’alors l’exception est devenu le principe. Ainsi, alors que des lois successives avaient peu à peu autorisé l’accord d’entreprise à déroger aux accords de branche dans un sens moins favorable que ces derniers dans des domaines de plus en plus larges, mais limités à la durée du travail et aux congés, cette dérogation à l’accord de branche par accord d’entreprise est désormais érigée en principe.

L’ordonnance, qui sanctuarise certains domaines au niveau de la branche, soit parce qu’ils ne relèvent que de celle-ci, soit parce qu’elle prévoit dans ces domaines que l’accord de branche prime sur l’accord d’entreprise, ne contient, en revanche, aucune disposition concernant l’articulation des accords d’entreprise et des accords interprofessionnels. Retour sur ce nouvel ordre conventionnel.

Une primauté de principe de l’accord d’entreprise

La faculté de déroger à l’accord de branche n’est pas nouvelle. Elle a été rendue possible par plusieurs réformes. Revenant pour la première fois sur le principe de la hiérarchie des normes selon lequel la norme de niveau supérieur s’impose à celle de niveau inférieur, la loi du 4 mai 2004 avait admis la possibilité de déroger par accord d’entreprise aux stipulations plus favorables de l’accord de branche, sauf dans quatre domaines réservés à la branche (salaires minima, classifications, mutualisations des fonds de la formation et garanties collectives de prévoyance), à la condition toutefois que l’accord de branche soit conclu après l’entrée en vigueur de la loi et que l’accord de branche n’interdise pas toute dérogation par accord d’entreprise. Ces possibilités de dérogation ont ensuite été élargies par la loi du 20 août 2008 qui a, quant à elle, institué dans de nombreux domaines relatifs à la durée du travail, une nouvelle articulation entre l’accord d’entreprise et l’accord de branche en ne reconnaissant à celui-ci qu’un caractère subsidiaire consacré par la formule « un accord d’entreprise ou, à défaut, un accord de branche… ». Ces facultés de dérogation ont encore été élargies par la loi Travail, laquelle a reconnu la primauté de l’accord d’entreprise dans tous les domaines relevant de la durée du travail et des congés.

Toutes ces réformes n’apportaient cependant que des exceptions limitées au principe de la hiérarchie des normes. C’est en cela que l’ordonnance du 22 septembre 2017 marque une rupture par rapport à la logique antérieure, puisque le nouvel article L. 2253-1 du Code du travail pose désormais dans tous les domaines un principe de primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, qu’il soit conclu postérieurement ou antérieurement à la date d’entrée en vigueur de ce dernier, sauf dans les matières limitativement énumérées par la loi. Ce texte supprime également au passage les dispositions de la loi de 2004 interdisant toute dérogation aux accords de branche conclus avant son entrée en vigueur et prive d’effet les clauses des accords de branche interdisant toute dérogation à leurs dispositions.

Ainsi, un accord d’entreprise qui ne pouvait pas s’appliquer au motif que ses stipulations étaient contraires à celles d’un accord de branche, pourra, dès le 1er janvier 2018, recevoir application sans qu’il soit besoin de procéder à sa modification ou d’en réitérer le contenu. Inapplicable jusqu’à cette date, parce que contraire à l’accord de branche, l’accord d’entreprise sera donc à l’avenir seul applicable.

Des domaines réservés à la branche… sauf garanties au moins équivalentes de l’accord d’entreprise

Par exception, l’ordonnance sanctuarise la branche en définissant treize domaines dans lesquels l’accord de branche prime nécessairement sur l’accord d’entreprise (salaires minima, classification, prévoyance, égalité professionnelle, mutualisation des fonds de la formation, renouvellement des périodes d’essai, transfert conventionnel des contrats de travail, etc.). Force est de constater que ce texte ne fait en réalité que consacrer l’existant en reconnaissant la primauté de la branche dans les domaines qui lui étaient d’ores et déjà dévolus.

En dehors de cette liste limitative, et contrairement aux textes antérieurs, les nouvelles dispositions ne reconnaissent plus à la branche la faculté de faire primer ses accords sur les accords d’entreprise (d’établissement ou de groupe) que dans 4 domaines limitativement énumérés (pénibilité, maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés, nombre de délégués syndicaux et valorisation du parcours syndical et primes pour travaux dangereux et insalubres).

L’accord de branche ne peut toutefois primer qu’à défaut de garanties au moins équivalentes dans l’accord d’entreprise. Or, cette dernière notion ne renvoie à aucun concept connu en droit du travail et suscite donc des interrogations concernant ses modalités d’application : doit-on procéder à une appréciation avantage par avantage, et appliquer l’avantage le plus favorable au plus grand nombre de salariés comme c’est le cas du principe de faveur, ou au contraire procéder à une appréciation globale des accords domaine par domaine ? Pour limiter les risques, il conviendra en tout état de cause de conseiller aux partenaires sociaux de préciser, le cas échéant, dans le corps même des accords d’entreprise, qu’ils ont entendu fixer des garanties au moins équivalentes à celles prévues par accord de branche.

Une articulation non prévue entre l’accord d’entreprise et l’accord interprofessionnel

Si les dispositions relatives à l’articulation des accords de branche avec les accords interprofessionnels ne sont pas modifiées, et autorisent toujours l’accord de branche à déroger à l’accord interprofessionnel en défaveur des salariés, force est de constater qu’aucun texte ne traite plus désormais de l’articulation de l’accord d’entreprise avec l’accord interprofessionnel.

Alors que le texte antérieur ouvrait expressément à l’entreprise une possibilité de dérogation à l’accord interprofessionnel, le nouveau texte est muet sur le sujet. Or, à défaut de prévoir une telle faculté de dérogation, on peut considérer que l’accord d’entreprise ne peut contenir de stipulations moins favorables que celles de l’accord interprofessionnel, de sorte qu’en présence de deux accords, interprofessionnel et d’entreprise, conclus sur le même sujet, il conviendrait d’appliquer le principe de faveur, en retenant les dispositions qui conduisent au résultat le plus favorable pour le plus grand nombre de salariés. Si cette situation se confirmait, elle pourrait réduire le champ de la dérogation possible par accord d’entreprise puisque ce dernier serait, en tout état de cause, tenu de respecter les stipulations de l’accord interprofessionnel. Aussi, s’il y a peu de doute que l’esprit du texte est bien de permettre aux entreprises de déroger par accord aux stipulations des accords interprofessionnels, il serait souhaitable que les textes prévoient expressément cette faculté, seul moyen d’assurer la sécurité juridique des entreprises.

 

Auteurs

Florence Bonnet-Mantoux, avocat. en droit social

Béatrice Taillardat Pietri, adjoint du Responsable de la doctrine sociale

 

Le nouvel ordre conventionnel après les ordonnances : quelle place pour la branche ? – Article paru dans Les Echos Exécutives le 09 novembre 2017

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