Nouvelle convention franco-luxembourgeoise : impacts et enjeux pour les investissements immobiliers français
La signature d’une nouvelle convention le 20 mars 2018 entre la France et le Luxembourg, destinée à remplacer la convention actuelle, a suscité la surprise des investisseurs ayant structuré, de façon classique, leurs investissements au travers d’entités luxembourgeoises.
En effet, ce nouveau texte, qui entrera en vigueur au 1er janvier de l’année suivant celle de sa ratification par les deux Etats (soit au plus tôt le 1er janvier 2019, mais plus vraisemblablement le 1er janvier 2020), modifie en profondeur les règles du jeu, en particulier pour les fonds d’investissements immobiliers. L’objectif clairement affirmé est la lutte contre l’évasion fiscale.
Pour atteindre cet objectif, la nouvelle convention a procédé à une refonte des clauses relatives à la résidence et l’élimination des doubles impositions et à l’introduction d’une clause générale anti-abus. Ces clauses générales sont susceptibles de s’appliquer à tous les types d’investissement y compris immobiliers.
Ainsi, l’actuelle référence au centre effectif de direction ou à défaut au lieu du siège social, qui permet de déterminer la résidence fiscale des personnes morales, va disparaître au profit d’une définition classique basée sur le lieu d’assujettissement à l’impôt et le siège de direction effective. Cette nouvelle définition aura pour effet d’empêcher l’application des dispositions de la convention aux entités exonérées d’impôt ainsi qu’aux entités transparentes fiscalement.
Sur ce dernier point, la France a toutefois introduit un bémol reflétant la spécificité de la translucidité des sociétés de personnes françaises qui sont considérées comme résidentes de France sous certaines conditions. En ce qui concerne l’élimination des doubles impositions, la méthode du crédit d’impôt est généralisée du côté français et son application est conditionnée par une imposition effective au Luxembourg. Cette nouvelle rédaction devrait en pratique avoir peu de répercussions pour les investissements réalisés dans l’immobilier français dès lors que les revenus immobiliers et les plus-values immobilières sont déjà imposables en France sous l’empire de la convention actuelle.
Enfin, la nouvelle convention introduit une clause anti-abus générale au titre de laquelle les avantages conventionnels peuvent être refusés « si l’on peut raisonnablement conclure, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances propres à la situation, que l’octroi de cet avantage était un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de l’obtenir ».
Cet arsenal anti-abus général est par ailleurs complété par des dispositifs spécifiques visant le secteur de l’investissement immobilier.
La clause relative aux distributions de dividendes est substantiellement revue.
Ainsi, la nouvelle convention pose toujours le principe général d’une retenue à la source de 15% sur les dividendes de source française distribués à un bénéficiaire luxembourgeois mais elle introduit la notion de bénéficiaire « effectif ».
Par ailleurs, la retenue à la source est supprimée dès lors que le bénéficiaire effectif est une société ayant détenu directement au moins 5% du capital de la société distributrice pendant une période de 365 jours. Cette rédaction est plus favorable que celle prévue dans la convention actuelle qui prévoit une retenue à la source de 5% sous réserve que le bénéficiaire détienne au moins 25% du capital d’une société de capitaux française.
En outre, deux clauses spécifiques sont applicables aux véhicules d’investissement.
La première clause est insérée à l’article 10.6 de la nouvelle convention. Elle prévoit que les dividendes payés à partir de revenus ou gains immobiliers par un véhicule d’investissement établi dans un Etat contractant, qui distribue la plus grande partie de ses revenus annuellement et qui bénéficie d’une exonération d’impôt à raison de ses revenus ou gains immobiliers, sont soumis à une retenue à la source de 15% si le bénéficiaire effectif est un résident de l’autre Etat contractant détenant directement ou indirectement au moins 10% du capital de ce véhicule. Lorsque le seuil de 10% est dépassé, la retenue à la source de droit interne s’applique.
Cette clause, qui fait référence au lieu d’établissement de l’entité distributrice et non à sa résidence fiscale, a vocation à s’appliquer en pratique aux sociétés d’investissement immobilier cotées (SIIC) et aux sociétés de placement à prépondérance immobilière à capital variable (SPPICAV) de droit français alors même que ces dernières ne seraient pas considérées comme des résidentes au sens conventionnel.
La référence aux dividendes payés à partir des seuls revenus ou gains immobiliers pourrait être interprétée littéralement comme excluant les dividendes payés à partir de dividendes reçus des filiales du véhicule d’investissement (à l’instar des distributions des filiales SIIC réalisées au profit d’une SPPICAV). Il est cependant peu probable que cette approche soit retenue in fine par l’administration fiscale française. En conséquence, il convient de considérer que dès lors que l’actionnaire luxembourgeois détiendra plus de 10% du capital d’une SIIC ou d’une SPPICAV, la retenue à la source prévue par l’article 119 bis du Code général des impôts s’appliquera, que la détention des actifs immobiliers par la SIIC ou la SPPICAV soit directe ou indirecte. En pratique, cela signifie que la retenue à la source sera de 15% si l’actionnaire luxembourgeois est un organisme de placement collectif (OPC) comparable à un OPC français1. A cet égard, la doctrine administrative liste les critères permettant de justifier d’une comparabilité entre les OPC français et étrangers. Dans le cas où cette comparabilité ne pourrait pas être établie, la retenue à la source appliquée serait de 30%. Néanmoins, la loi de finances pour 2018 a prévu une réduction du taux de la retenue à la source à compter de 2020 afin de l’aligner sur le taux de droit commun de l’impôt sur les sociétés2.
La seconde clause spécifique est prévue au point 2 du protocole. En substance, elle permet d’appliquer la retenue à la source conventionnelle, nonobstant toute autre disposition de la convention, aux dividendes de source française versés à un véhicule d’investissement établi au Luxembourg et assimilé par le droit interne français à un OPC et ce, à hauteur des revenus correspondant aux droits détenus par des porteurs résidents de France, du Luxembourg ou d’un Etat ayant signé avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre l’évasion fiscale (« les porteurs éligibles »). En pratique, cette clause devrait permettre d’appliquer la retenue à la source conventionnelle en cas de distribution de dividendes réalisée par une société française, hors SIIC ou SPPICAV, au profit d’un OPC luxembourgeois qui, en raison de son exonération ou de sa transparence, ne serait pas considéré comme résident au sens conventionnel et ce, à hauteur des droits détenus par des porteurs éligibles.
On remarquera toutefois que, dans de telles situations, le droit interne français exonère déjà les dividendes (article 119 bis 2) et les intérêts de toute retenue à la source.
Enfin, en matière de plus-values, la définition de la prépondérance immobilière des sociétés est modifiée puisque le seuil des 50% d’actifs immobiliers est apprécié à tout moment au cours des 365 jours précédant la cession.
Notes
1 BOI-RPPM-RCM-30-30-20-70, 20170607.
2 Le taux sera ainsi de 28% en 2020, 26,5% en 2012 et 25% en 2022
Auteurs
Julien Saïac, avocat associé en fiscalité
Mary Lédée, avocat en fiscalité