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Un revirement de jurisprudence remarquable : la nouvelle obligation pour le juge pénal de motiver les peines complémentaires

Un revirement de jurisprudence remarquable : la nouvelle obligation pour le juge pénal de motiver les peines complémentaires

Siglé FP-PBRI, l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 1er février 2017 (n° 15-85.199) est promis à la plus large publication : pour cause, il s’agit d’un revirement de jurisprudence important en matière de motivation des peines pénales.

Les faits étaient les suivants : un dirigeant d’une société avait transféré la quasi-totalité de la trésorerie de celle-ci à une autre société du même groupe au sein de laquelle il était intéressé. Les juges du fond avaient caractérisé l’abus de biens sociaux, relevant que le transfert de trésorerie avait été réalisé dans l’unique intérêt de l’une des sociétés, sans contrepartie pour l’autre dont il excédait les possibilités financières. Pour ces faits, le dirigeant avait été condamné à 6 mois d’emprisonnement avec sursis, 30 000 euros d’amende, et, à titre de peine complémentaire, avait été interdit d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale pendant 5 ans (c. com., art. L. 249-1).

Deux questions distinctes se posaient à la Haute juridiction : la première, de fond, concernait la qualification délictuelle, et plus précisément la caractérisation de l’abus de biens sociaux dans sa composante intentionnelle ; la seconde, de procédure, concernait la motivation du juge d’appel quant à la peine complémentaire prononcée.

A la première question, la Cour de cassation répond de manière classique en se référant aux énonciations de la Cour d’appel : « le prévenu a nécessairement eu conscience d’accomplir un acte contraire aux intérêts de la société ». L’élément intentionnel transparait ici dans les faits matériels (« le transfert de fonds, correspondant à la quasi-intégralité du bénéfice comptable de la société P08.1 a, par ailleurs, très largement excédé les possibilités financières de cette dernière »), le fait justificatif de groupe ne pouvant par ailleurs pas être retenu pour écarter la qualification d’abus de biens sociaux.

C’est à la seconde question que la Cour répond de manière étonnante.

Selon une jurisprudence constante, « les juges répressif disposent, quant à l’application de la peine dans les limites fixées par la loi, d’une faculté discrétionnaire dont ils ne doivent aucun compte » (Crim., 3 nov. 1955, Bull. crim. n° 540 ; 25 févr. 1997, n° 96-82.036 ; 22 oct. 2008, n° 07-88.111). Et notamment en matière de peines complémentaires, « aucune disposition légale ou conventionnelle [n’imposant] au juge de motiver le choix de la peine complémentaire […], dans la limite de la durée prévue par la loi » (Crim., 10 sept. 2008, n° 08-80.889).

Par le présent arrêt, la chambre criminelle opère un revirement remarquable, en exigeant, sur le fondement des articles L. 132-1 du Code pénal et 485 du Code de procédure pénale, que « toute peine [soit] motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ».

Un tel revirement mérite sûrement approbation. D’une part, la solution paraît conforme aux textes visés, et notamment à l’article L. 132-1 tel que modifié par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, disposant depuis le 1er octobre 2014 en son alinéa 2 que « toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée », ce qui semble impliquer une motivation sur le choix de chaque peine, son quantum et son régime. D’autre part, en renforçant l’individualisation de la répression, elle tend à garantir une répression optimisée, et à écarter encore davantage le risque d’arbitraire.

La motivation sera ainsi considérée comme suffisante à la double condition qu’elle prenne en considération la gravité des faits, et qu’elle tienne compte de l’auteur, de sa personnalité et de sa situation personnelle.

En l’occurrence, l’interdiction prononcée par les juges du fond était suffisamment motivée : elle prenait en effet en considération : et la gravité des faits (par son comportement, « le prévenu a délibérément sacrifié cette dernière société et l’a placée dans l’impossibilité de rembourser ses créanciers au seul profit de [la première] dans laquelle il était particulièrement intéressé »), et la personnalité et la situation personnelle de l’auteur (il avait « suivi une école de commerce et [était] gérant de sociétés depuis 1978, il avait repris la gérance de la société concernée placée en redressement judiciaire […], [il] ne percevait pas de rémunération au titre de sa gérance et […] bénéficiait de revenus fonciers de l’ordre de 10 000 euros par mois »).

Cette solution constitue donc une arme de contestation supplémentaire aux mains du conseil en droit des affaires, où les dispositions sanctionnées pénalement sont nombreuses, et les peines complémentaires fréquentes. Le droit des sociétés en est une parfaite illustration: aux côtés de l’interdiction de l’article L. 249-1, figurent notamment les interdictions des droits civiques, civils et de famille, ou encore d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise (c. com., art. L. 241-3, L. 242-6). De même, en droit des procédures collectives, aux peines susmentionnées s’ajoutent les peines complémentaires d’exclusion des marchés publics, d’interdiction d’émettre certains chèques, et d’affichage ou de diffusion de la décision prononcée (c. com., art. L. 654-5). Ainsi, compte tenu de sa portée et de ses conséquences pratiques, le revirement marqué par l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 1er février 2017 mérite attention.

Crim., 1er février 2017, n° 15-85.199

Auteur

Jean-Fabrice Brun, avocat associé en procédures contentieuses et arbitrales en matière de droit des affaires et de droit pénal des affaires

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