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Nouvelle précision sur le régime des crédits d’impôt forfaitaires

Nouvelle précision sur le régime des crédits d’impôt forfaitaires

Le Conseil d’Etat juge que le principe de subsidiarité des conventions fiscales ne s’applique pas aux clauses d’élimination des doubles impositions, de sorte qu’un crédit d’impôt forfaitaire peut être imposable même en l’absence de fondement en droit interne, sur le fondement des stipulations claires d’une convention.

Par touches successives, le Conseil d’Etat fixe le régime des crédits d’impôt forfaitaires[1]. Jusqu’à la décision HSBC[2], le Conseil d’Etat s’était surtout intéressé au montant du crédit d’impôt et avait précisé qu’un crédit d’impôt doit être calculé « en dehors ». La décision HSBC donne pour sa part certaines indications sur le montant à inclure dans la base imposable dans le contexte de l’ancien accord franco-chinois.

Au cas particulier, une banque établie en France avait perçu, au cours des exercices clos en 2013 et 2014, des intérêts en rémunération de prêts qu’elle avait accordés à des clients établis en Chine. Conformément à l’article 22, 2-c de l’accord franco-chinois du 30 mai 1984 alors applicable, ces intérêts ouvraient droit en France à un crédit d’impôt forfaitaire. Cet article, et on verra que les mots ont leur importance, prévoyait que le montant de l’impôt chinois perçu sur les intérêts de source chinoise est « considéré comme étant égal à 10 % du montant brut des intérêts ». Se conformant à la doctrine administrative, la banque a initialement estimé que le crédit d’impôt forfaitaire attaché aux intérêts qu’elle avait perçus avait la nature d’un produit imposable. Elle n’a ainsi imputé sur l’IS que 2/3 du crédit d’impôt, c’est-à-dire le crédit d’impôt diminué de la charge fiscale engendrée par celui-ci[3]. La société a ultérieurement changé de position et considéré que le crédit d’impôt ne constituait pas un produit imposable, de sorte qu’il pouvait être imputé sur l’IS pour l’intégralité de son montant.

La CAA de Versailles a fait droit à la demande de la société par un arrêt du 20 décembre 2021 jugeant que seul le montant des intérêts perçus, hors crédit d’impôt, est imposable en France. Elle a en effet considéré que ni l’article 39, 1-4° du CGI, ni aucune autre disposition législative de droit interne n’a pour objet ou pour effet d’inclure un tel crédit d’impôt, qui ne constitue pas un revenu taxable, dans la base imposable à l’IS en France, et, faisant application du principe de subsidiarité des conventions fiscales[4], a refusé de rechercher si la convention pouvait par elle-même donner un fondement à cette imposition. Le Conseil d’Etat censure cette analyse en se fondant sur une application des stipulations « claires » de l’accord franco-chinois (1), ce qui permet de s’interroger sur la portée de cette décision s’agissant d’autres conventions fiscales (2).

  1. L’imposition du crédit d’impôt forfaitaire en présence d’une stipulation claire

Conformément à la jurisprudence relative au principe de subsidiarité des conventions fiscales, le Conseil d’Etat rappelle d’abord qu’une telle convention ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l’imposition.

Le Conseil d’Etat introduit toutefois une exception à cette jurisprudence classique en estimant qu’il appartient au juge, pour la mise en œuvre des stipulations d’une convention qui sont relatives, non à la répartition du pouvoir d’imposer entre les deux Etats parties, mais aux modalités d’élimination des doubles impositions, de faire application des stipulations claires relatives au crédit d’impôt forfaitaire lorsqu’elles sont susceptibles de fonder une imposition en France. La CAA avait donc commis une erreur de droit en appliquant le principe de subsidiarité dans une telle hypothèse.

Le Conseil d’Etat se livre ensuite à une analyse des stipulations de l’accord franco-chinois. Au sein de l’article 22-2, le b) contient à la fois le principe d’imposition des revenus pour leur montant brut et le principe du droit à un crédit d’impôt. « Aux fins de l’alinéa b », le c) précise que « le montant de l’impôt chinois perçu est considéré comme étant égal à (…) 10 p. cent sur les intérêts (…), du montant brut de ces éléments de revenu ».

Dans la mesure où le Conseil d’Etat avait déjà jugé que l’expression « montant brut » visée au c) signifiait montant brut incluant le montant de l’impôt chinois[5], il juge que les  « stipulations claires[6] » de l’accord franco-chinois subordonnent l’imputation du crédit d’impôt forfaitaire qu’elles prévoient à raison de l’impôt réputé prélevé en Chine sur les intérêts y trouvant leur source à l’inclusion dans l’assiette de l’impôt sur les bénéfices dû en France de ces intérêts augmentés de cet impôt.

Le Conseil d’Etat juge donc que le montant de l’impôt réputé prélevé en Chine devait être ajouté aux intérêts perçus par la banque pour reconstituer le revenu devant être inclus dans son bénéfice imposable.

  1. Deux confirmations et une grande incertitude

La première confirmation, qui apparaît certes en creux, tient à l’absence de fondement en droit interne pour imposer le crédit d’impôt forfaitaire. La décision HSBC ne fait en effet aucune référence au droit interne et est fondée uniquement sur les stipulations de l’accord franco-chinois. Relevons que s’il est généralement considéré qu’en présence d’un crédit d’impôt conventionnel classique le revenu imposable en France correspond au montant brut de ce revenu, crédit d’impôt compris, ceci ne reflète nullement le caractère imposable de ce crédit d’impôt mais uniquement la circonstance que l’imposition prélevée à l’étranger n’est alors pas déductible en application des stipulations des conventions fiscales et du 4° de l’article 39, 1 du CGI depuis sa modification par l’article 14 de la loi n° 2017-1775 du 28  décembre 2017 de finances rectificative pour 2017.

La deuxième confirmation tient au mode de calcul du crédit d’impôt forfaitaire, qui doit être calculé « en dehors », que la convention fasse référence, ou non comme dans le cas de la convention franco-turque, au « montant brut[7] ». Il nous semble que cette méthode de calcul est la seule pertinente s’agissant d’un crédit d’impôt forfaitaire, et qu’elle est indépendante du montant effectivement inclus dans la base imposable[8].

Le nombre des conventions prévoyant des crédits d’impôt forfaitaires tend à se réduire. Pour autant, elles restent diverses dans leur rédaction. C’est l’importante part d’incertitude que recèle la décision HSBC : la solution est-elle cantonnée aux conventions qui contiennent des stipulations similaires à celles de l’accord franco-chinois ?

Rappelons en effet que la décision HSBC est fondée sur le lien mécanique existant, selon le Conseil d’Etat, entre la stipulation prévoyant le montant du crédit d’impôt fondé sur le montant brut et l’inclusion du revenu dans la base imposable en France pour son montant brut.

Or, ce lien est loin d’être courant dans les conventions prévoyant un crédit d’impôt forfaitaire. A titre d’exemple, certaines conventions, quand bien même elles reprendraient la démarche en deux temps de l’accord franco-chinois, ne font référence au montant brut que pour la base et non pour la détermination du crédit d’impôt forfaitaire (convention franco-marocaine), d’autres, ne font pas référence au « montant brut » (convention franco-turque). D’autres ne retiennent pas la démarche en deux temps ; la convention franco-brésilienne ne comporte aucune précision sur les conditions dans lesquelles les revenus sont imposables en France pour n’envisager que les modalités de détermination du crédit d’impôt. Dans toutes ces hypothèses, des arguments existent donc pour contester la transposition de la solution de la décision HSBC.

Article paru Option Finance le 05/09/2022

[1]    L’expression « crédit d’impôt forfaitaire » renvoie à un crédit d’impôt dont le taux est indépendant du niveau d’imposition effectif dans l’Etat de la source ; on parle parfois aussi de « crédit d’impôt fictif ».

[2]    CE, 31 mai 2022, n°461519, min. c/ HSBC Bank PLC Paris Branch.

[3]     Avec les taux d’imposition de l’époque, et pour se conformer à la doctrine administrative, on pouvait soit imputer 2/3 du crédit d’impôt sur l’impôt comprenant le revenu « net » soit imputer 100% du crédit d’impôt sur l’impôt comprenant le revenu perçu augmenté du crédit d’impôt.

[4]    Sur le fondement de ce principe voir CE, ass., 28 juin 2002, n° 232276, min. c/ Sté Schneider Electric.

[5]    CE, 20 nov. 2017, n°396595, min. c/ Sté Natixis.

[6]    On notera que les stipulations de l’accord franco-chinois ne présentent pas le même degré de clarté que celles de la convention franco-malaise qui dispose en son article 23-1, b) que le crédit d’impôt, forfaitaire également, « doit être traité comme un revenu aux fins d’imposition ».

[7]    Sur l’hypothèse de la convention franco-turque : CAA Versailles, 1re ch., 23 avr. 2019, n° 17VE01847, SA BPCE.

[8]    En ce sens, conclusions de R. Victor sur CE (na), 25 févr. 2020, n° 431781, min. c/ SA BPCE.

Auteurs

Stéphane Austry, avocat associé en droit fiscal

Benoit Foucher avocat counsel en droit fiscal