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Nouvelles précisions du Conseil d’Etat en matière d’ordre des licenciements : la seule ancienneté ne peut permettre d’apprécier les qualités professionnelles

Nouvelles précisions du Conseil d’Etat en matière d’ordre des licenciements : la seule ancienneté ne peut permettre d’apprécier les qualités professionnelles

L’employeur qui élabore un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) par un document unilatéral doit prendre en compte l’ensemble des critères d’ordre des licenciements, sans pouvoir omettre l’un d’entre eux ou en neutraliser les effets. Par une décision du 27 janvier 20201, le Conseil d’Etat rappelle ce principe et considère que le critère des qualités professionnelles ne peut être apprécié en tenant compte de la seule ancienneté des salariés dès lors que d’autres éléments auraient pu être utilisés. Cette décision est l’occasion de revenir sur l’épineuse question de l’appréhension du critère d’ordre des qualités professionnelles.

 

Obligation de prendre en compte l’ensemble des critères d’ordre légaux

En matière de licenciement pour motif économique, le salarié titulaire du poste dont la suppression est envisagée n’est pas nécessairement celui dont le licenciement sera notifié. En effet, le choix des salariés touchés par un licenciement économique est effectué sur la base de critères fixant l’ordre des licenciements.

A défaut d’accord collectif en disposant autrement, l’employeur doit tenir compte de l’ensemble des critères d’ordre des licenciements définis à l’article L.1233-5 du Code du travail, à savoir les charges de familles, l’ancienneté, la situation des salariés dont la réinsertion professionnelle est particulièrement difficile ainsi que les qualités professionnelles. L’employeur peut néanmoins en privilégier certains par le biais d’un système de pondération.

Ainsi, en présence d’un PSE unilatéral, l’employeur ne peut ni omettre l’un de ces critères, ni retenir un mode d’évaluation aboutissant à neutraliser l’un d’eux, notamment en lui attribuant une pondération uniforme pour tous les salariés2. C’est dans la droite lignée de ces principes que la décision du Conseil d’Etat du 27 janvier 2020 rappelle qu’« en l’absence d’accord collectif ayant fixé les critères d’ordre des licenciements, le document unilatéral de l’employeur fixant le plan de sauvegarde de l’emploi ne saurait légalement fixer des critères d’ordre des licenciements qui omettraient l’un [des] quatre critères ou neutraliseraient ses effets ».

 

L’impossible évaluation des qualités professionnelles à l’aune de la seule ancienneté des salariés

Parmi les critères d’ordre des licenciements, celui relatif aux qualités professionnelles génère un contentieux abondant. L’on sait que l’employeur peut légitimement s’appuyer sur le système d’évaluation des salariés existant dans l’entreprise. A défaut, l’employeur peut définir d’autres indicateurs, par exemple tirés du montant des primes d’assiduité versées par l’entreprise, corrigé en fonction de motifs légaux d’absence3.

Dans l’espèce ayant donné lieu à la décision ici commentée, le PSE unilatéral élaboré par l’administrateur judiciaire de la Société GM et S Industry prévoyait qu’« à défaut d’éléments objectifs permettant d’évaluer la qualité professionnelle des salariés, il a été convenu avec les membres du comité d’entreprise que celle-ci serait pondérée en référence à l’ancienneté ».

Le document unilatéral de l’employeur a été homologué par la Direccte de Nouvelle Aquitaine, décision que le Comité d’entreprise et un syndicat ont contesté.

Ces derniers considéraient :

    • que le critère de l’ancienneté avait en réalité été pris en compte deux fois, une première fois à titre de critère d’ordre à part entière, et une seconde fois afin d’apprécier le critère des qualités professionnelles ;
    • qu’il existait pourtant au sein de l’entreprise des éléments permettant d’apprécier les qualités professionnelles des salariés, tels que des fiches d’évaluation ou des tableaux de polyvalence des salariés ;
    • qu’en conséquence, le critère de l’ancienneté avait été survalorisé, conduisant à conserver les salariés les plus anciens au détriment des plus jeunes dont le montant des indemnités de rupture était nécessairement moins élevé.

 

Pour sa part, la Société GM et S Industry faisait valoir devant la cour administrative d’appel de Bordeaux4 que si le critère des qualités professionnelles avait été apprécié à l’aune de l’ancienneté, c’est parce que les élus avaient écarté la prise en compte du tableau de polyvalence et qu’il existait seulement 25 fiches d’évaluation pour 283 salariés. Le ministre du Travail indiquait quant à lui que le climat social tendu au sein de l’entreprise avait empêché une évaluation impartiale des salariés, de sorte qu’il existait une impossibilité matérielle d’établir les qualités professionnelles par des éléments autres que l’ancienneté.

La cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé la décision d’homologation, retenant notamment que la version finale du PSE avait abouti à prendre en compte deux fois le critère de l’ancienneté, alors que dans la première version du document unilatéral, le mandataire judiciaire avait élaboré un critère des compétences techniques dont les points attribués variaient de 2 à 8. Approuvant ce raisonnement, le Conseil d’Etat a considéré que le PSE « ne pouvait prendre en considération la seule ancienneté des salariés pour apprécier les qualités professionnelles », dès lors que « d’autres éléments auraient pu être utilisés, comme cela avait d’ailleurs été envisagé dans un premier temps ».

 

L’appréciation stricte de l’exception résultant de l’impossibilité matérielle de moduler le critère d’ordre

Si le Conseil d’Etat confirme l’obligation de prendre effectivement en compte tous les critères d’ordre légaux, il prend toutefois soin de réserver l’hypothèse dans laquelle il est certain, dès l’élaboration du PSE, « que dans la situation de l’entreprise et pour l’ensemble des personnes susceptibles d’être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour le critère d’appréciation en question ne pourra être matériellement mise en œuvre lors de la détermination de l’ordre des licenciements ».

 

Ainsi, l’employeur pourrait écarter ou neutraliser l’un des critères lorsqu’il est matériellement impossible -pour l’ensemble des salariés appartenant aux catégories d’emploi impactés- de le moduler et qu’il est donc en pratique inopérant.

 

Cette exception n’est pas nouvelle et figurait déjà dans des décisions antérieures du Conseil d’Etat5. Reste toutefois à déterminer les situations qu’elle recouvre. Cette tâche n’est pas aisée, et force est de constater que le Conseil d’Etat n’a pour l’heure validé aucune exception. La décision ici commentée nous enseigne que ni le climat social tendu dans l’entreprise, ni l’existence seulement partielle de fiches d’évaluation ne permettent de s’affranchir de la prise en compte du critère des qualités professionnelles.

Dans l’attente de nouvelles décisions apportant davantage de précisions, nous ne pouvons qu’inciter les employeurs à adopter une position prudente et à prendre en compte l’ensemble des critères d’ordre légaux, dont les qualités professionnelles et ce même en l’absence d’entretiens annuels d’évaluation. Une réflexion menée en interne, avec l’aide d’un conseil juridique, devrait permettre d’identifier en pratique un (ou des) indicateur(s) permettant la prise en compte effective de tous les critères.

(1) N°426230

(2) CE, 1er février 2017, 387886

(3) CE, 22 mai 2019, précité

(4) CAA Bordeaux, 12 octobre 2018, n°18BX02692

(5) CE, 1er février 2017, précité ; CE, 22 mai 2019, précité

Article publié dans les Echos Executives du 04/05/2020