Nouvelles précisions concernant le régime de neutralité des transmissions d’immeubles
L’article 257 bis du CGI a pour objet de dispenser de la TVA les opérations réalisées à l’occasion de la transmission à titre onéreux ou gratuit ou sous forme d’apport à une société, d’une universalité totale ou partielle de biens qui sont réalisées entre redevables (totaux ou partiels) de la TVA. Rappel de la règle et point d’étape avec le BOFIP mis à jour le 3 janvier 2018.
L’article 257 bis du CGI est la transposition, en France, de la faculté offerte aux États membres par l’article 19 de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006.
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La Cour de Justice de l’Union Européenne a tracé les contours de l’application de cette disposition et en a rappelé l’objectif dans un arrêt du 27 novembre 2003, Zita Modes (Aff. C-497/01) : la règle de la « non-livraison » est une notion autonome du droit de l’Union Européenne destinée à permettre aux Etats membres de faciliter les transferts d’entreprises en les simplifiant et en évitant de grever la trésorerie du bénéficiaire d’une charge fiscale certes récupérable, mais démesurée (Points 32 et 39 de l’arrêt).
La Cour a procédé à l’analyse suivante (Points 40, 44 et 45):
(i) Les biens cédés doivent constituer une entreprise ou une partie d’une entreprise susceptible de poursuivre une activité autonome ;
(ii) Le bénéficiaire des transferts doit avoir l’intention d’exploiter le fonds de commerce ou la partie de l’entreprise transmise, et non simplement de liquider l’activité concernée ;
(iii) Aucune condition de continuité d’activité ne semble être imposée au bénéficiaire pour l’application de la dispense de TVA.
L’administration a admis dès 2006 que ce dispositif est applicable sous certaines conditions aux cessions d’immeubles inscrits à l’actif immobilisé d’une entreprise et donnés en location en TVA dès lors que ces cessions s’inscrivent dans une logique de transmission d’entreprise (BOI-TVA-DED-60-20-10).
Cette position a été confirmée par le Conseil d’Etat dans deux arrêts du 23 novembre 2015 (SCI JM3 FOR et JM5 SAR, n°375054 et 375055). Il a précisé que la dispense de TVA s’applique à la cession d’un immeuble donné en location en TVA par un crédit-preneur, ayant préalablement levé l’option d’achat auprès du crédit-bailleur, dès lors que le tiers acquéreur poursuit bien une activité locative en TVA.
Dans ces deux affaires, une société prenait en location, dans le cadre d’un contrat de crédit-bail, un immeuble commercial qu’elle donnait elle-même en sous-location à différentes entreprises qui y exploitaient leur activité. Peu de temps après avoir acquis les agencements commerciaux auprès des sous-locataires, la société avait acquis l’immeuble en levant l’option d’achat prévue au contrat de crédit-bail et l’avait revendu, le même jour, à un tiers, qui avait poursuivi l’activité de location de ces locaux avec les mêmes occupants.
Le Conseil d’État a infirmé la position de l’administration fiscale qui, après une vérification de comptabilité chez le crédit-preneur, a refusé la dispense de TVA (obligeant à un reversement par vingtièmes de la TVA déduite lors de l’acquisition des agencements commerciaux dans la mesure où la cession de l’immeuble n’avait pas été soumise à la TVA). Le Conseil d’Etat, et les juges du fond (CAA Nancy, 5 août 2016, n°15C02338) ont considéré que l’article 257 bis du CGI s’applique à la revente immédiate de l’immeuble par le crédit-preneur qui a levé l’option, dès lors que l’acquéreur poursuit l’activité de location soumise à la TVA.
Comme nous l’avons rappelé ci-avant, à la lumière de la jurisprudence sur le droit de l’Union européenne, les conditions d’application de l’article 257 bis du CGI sont centrées sur le cessionnaire, et non sur le cédant. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat a jugé que la circonstance que l’immeuble acquis a été revendu dans un délai très court n’est pas de nature à faire obstacle à l’application de ces dispositions, dès lors que l’acquéreur a poursuivi l’activité locative.
Le Conseil d’Etat a par ailleurs infirmé l’analyse selon laquelle la dispense de TVA ne serait applicable que pour autant que les transferts portent sur des biens d’investissement chez le cédant comme chez le cessionnaire.
L’administration a pris acte de cette jurisprudence dans une récente mise à jour de sa base BOFIP et en a profité pour apporter des précisions relatives aux transmissions d’immeubles dans le cadre d’un contrat de crédit-bail.
Le BOFIP règle certaines situations, mais nous aborderons ensuite la situation plus délicate de la levée d’option par un crédit-preneur suivie d’une revente immédiate de l’immeuble, situation que n’a pas tranchée, hélas, le Conseil d’État dans ses décisions du 23 novembre 2015.
1. Situations réglées par le BOFIP mis à jour le 3 janvier 2018
La doctrine administrative confirme l’application de la dispense de TVA aux opérations suivantes effectuées dans le cadre de la transmission d’un contrat de crédit-bail immobilier.
Cas 1 – Levée d’option par le crédit-preneur et poursuite de l’activité locative (rescrit n°2018/01)
Situation dans laquelle le crédit preneur lève l’option d’achat d’un immeuble auprès d’un crédit-bailleur, s’il entend continuer à affecter l’immeuble (auparavant affecté à une activité de sous-location taxée en TVA) à une activité locative en TVA, l’article 257 bis du CGI s’applique à la levée d’option par le crédit-preneur.
Cas 2 – Cession d’un immeuble entre crédit-bailleurs (refinancement de l’immeuble) (rescrit n°2018/02)
Le BOFIP reprend une position que l’administration avait déjà eu l’occasion de préciser auparavant dans des décisions individuelles concernant le refinancement d’un immeuble par des crédits-bailleurs.
Au regard de la nature du crédit-bail, les transferts d’un immeuble donné en location en TVA réalisés pour le changement de crédits-bailleurs, par l’intermédiaire de la levée d’option par le crédit-preneur, puis de la cession à un groupement de crédits-bailleurs, bénéficient de la dispense de TVA.
Cas 3 – Cession d’un immeuble donné en location dans l’attente de sa revente
L’administration a déjà eu l’occasion de préciser, dans sa doctrine, que dans le cadre de son activité d’achat-revente d’immeuble, un assujetti (marchand de biens) qui procède à la vente isolée d’un immeuble ne peut pas bénéficier de la dispense de TVA, et ce, même si dans l’attente de sa revente, cet immeuble fait l’objet d’une location soumise à la TVA (BOI TVA-DED-60-20-10 n°285).
Cette position est motivée par le fait que « l’inscription en stock de l’immeuble constitue un élément objectif permettant de révéler l’intention de l’opérateur de ne pas affecter durablement l’immeuble en cause à une activité de location en tant que loueur d’immeuble mais de le destiner purement et simplement à la vente ».
A la lecture des décisions du Conseil d’État du 23 novembre 2015, on pouvait conclure que cette position était battue en brèche et que la dispense de TVA pouvait s’appliquer à la cession par un promoteur ou un marchand de biens d’un immeuble inscrit en stock qu’il donnait en location dans l’attente de sa vente si l’acquéreur perpétue l’activité locative, le critère déterminant retenu par le Conseil d’État étant celui de la poursuite de l’activité locative par le cessionnaire.
En effet, cette jurisprudence invalidait la condition d’inscription en immobilisation de l’immeuble par le vendeur, implicitement exigée par l’administration.
L’administration ne s’est cependant pas rangée à l’avis du Conseil d’Etat sur ce sujet puisqu’elle a pris la peine de préciser, dans la présentation de sa mise à jour de sa base BOFIP du 3 janvier 20118, que les précisions apportées ci-avant (cf. rescrits n°2018/01 et 2018/02) étaient sans incidence sur les règles applicables aux cessions d’immeubles réalisées par des assujettis ayant une activité d’achat-revente d’immeubles. Ce point méritera d’être apprécié par les juridictions administratives.
2. Situation non réglée par le BOFIP
La question qui demeure à ce jour non réglée par le BOFIP du 3 janvier 2018 est la suivante : la cession réalisée par un crédit-bailleur au titre de la levée d’option exercée par le crédit-preneur en amont de la revente de l’immeuble à un tiers peut-elle bénéficier de l’article 257 bis du CGI si l’immeuble reste affecté à une activité locative par le tiers sous-acquéreur ?
Il est vrai que le raisonnement du Conseil d’Etat n’est pas ici directement transposable dès lors que le crédit-preneur qui lève l’option ne poursuit pas lui-même l’exploitation de l’activité locative et que, comme le rappelle la CJUE, les conditions d’application de l’article 257 bis du CGI s’apprécient au niveau du cessionnaire, et non du cédant.
En outre, la précision apportée par l’administration dans sa doctrine au n°286 « Le fait que la revente n’intervienne pas le même jour que la levée d’option est sans incidence » ne permet pas de trancher en faveur de l’application de l’article 257 bis du CGI dans l’hypothèse évoquée ci-avant.
Toutefois, il irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par la dispense tel que rappelé par la CJUE (qui est, rappelons-le, de faciliter les transferts d’entreprises en les simplifiant et en évitant de grever la trésorerie du bénéficiaire d’une charge fiscale élevée bien que récupérable) d’appliquer la TVA ou d’exiger des reversements par vingtième à une première opération consécutivement suivie d’une seconde opération qui, elle, bénéficierait de la non application de la TVA.
Pour mémoire, la dispense de TVA prévue par l’article 257 bis du CGI s’applique de plein droit dès lors que les conditions sont remplies et l’erreur d’appréciation quant à son applicabilité peut engendrer d’importantes conséquences financières pour les parties à l’opération.
Les opérateurs doivent donc continuer de prêter attention au régime de TVA applicable aux cessions et transmissions d’immeubles.
Auteurs
Philippe Tournès, avocat associé en matière de TVA
Armelle Abadie, avocat en matière de TVA.