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Nullité d’une rupture conventionnelle en l’absence de remise d’un exemplaire au salarié à la date de sa signature

Nullité d’une rupture conventionnelle en l’absence de remise d’un exemplaire au salarié à la date de sa signature

Instaurée par la loi n°2008-596 du 25 juin 2008 aux articles L.1237-11 à L.1237-15 du Code du travail, la rupture conventionnelle individuelle est un mode de rupture d’un commun accord du contrat de travail qui se distingue de mesures unilatérales de rupture, qu’elles soient à l’initiative de l’employeur (licenciement) ou du salarié (démission).

 

Afin de garantir la liberté de consentement des parties, la rupture conventionnelle est entourée de garanties spécifiques, notamment :

 

    • la mise en place d’au moins un entretien préalable(1) au cours duquel les parties conviennent des éléments de la rupture et à l’issue duquel les parties peuvent signer la convention ;
    • le respect d’un délai de rétractation de quinze jours calendaires à compter de la signature de la convention (C. trav., art. L.1237-13) ;
    • une homologation par l’administration dans un délai de 15 jours ouvrables à compter de sa réception de la convention re rupture qui lui a été adressée, par la partie la plus diligente, à l’issue du délai de rétractation.

 

La demande d’homologation peut être effectuée directement en ligne (via le téléservice, dénommé «téléRC» permettant la saisie du formulaire Cerfa n°14598 de demande d’homologation d’une rupture conventionnelle d’un contrat de travail à durée indéterminée).

 

Si aucun texte n’impose formellement la remise d’une copie de la convention de rupture conventionnelle au salarié, la Cour de cassation exige depuis 2013 qu’un exemplaire lui soit également remis (Cass. soc., 6 février 2013, n°11-27.000).

 

Elle reconnaît ainsi de manière constante que «la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié [est] nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l’homologation de la convention, dans les conditions prévues par l’article L.1237-14 du Code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause» (Cass. soc., 23 septembre 2020, n°18-25.770).

 

Néanmoins, cette formalité suscite plusieurs questions :

 

    • à quel moment doit être remis l’exemplaire de la convention ?
    • sur qui pèse la charge de la preuve de la remise d’une copie de cette convention ?
    • quelle est la sanction du non-respect de cette obligation par l’employeur ?

 

Par un arrêt du 10 mai 2023 (Cass. soc., 10 mai 2023, n°21-23.041), la Cour de cassation répond à ces interrogations tout en affinant sa jurisprudence antérieure.

 

Retour sur cette solution et sa portée.

 

Nécessité de la remise d’une copie de la convention au salarié à la date de sa signature

 

La Cour de cassation décide, depuis 2013, que la validité d’une convention de rupture suppose qu’un exemplaire de celle-ci ait été remise au salarié.

 

Elle a ainsi jugé que le formulaire ne pouvait pas être adressé au salarié après la rupture du contrat de travail, en même temps que son reçu pour solde de tout compte (Cass. soc., 26 septembre 2018, n°17-19.860).

 

L’affaire présentée devant la Cour de cassation le 10 mai 2023 concernait la validité d’une rupture conventionnelle conclue entre un ingénieur technico-commercial et une société, dont le contenu respectait les souhaits du salarié quant aux dates de signature de la convention et de rupture du contrat de travail.

 

Or, une copie de cette convention n’avait été remise au salarié qu’à l’occasion de la demande d’homologation envoyée par l’employeur à l’administration.

 

Après homologation de la convention de rupture par l’administration, le salarié demandait, entre autres, devant le conseil de prud’hommes :

 

    • la nullité de ladite convention au motif que l’entreprise l’avait privé de son droit de rétractation, à défaut de lui avoir communiqué une copie de la convention au moment de sa signature ;
    • et le paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

La cour d’appel, comme le CPH, avaient débouté le salarié de ses demandes, et jugé la rupture conventionnelle licite en relevant :

 

    • que le salarié ne démontrait pas avoir reçu une copie de la convention de rupture conventionnelle, produite par lui aux débats, au moment de l’envoi par l’employeur de la lettre de demande d’homologation à l’administration, faute de prouver qu’une pièce jointe était également annexée à cette lettre ;
    • que la rupture avait été initiée par le salarié et que les parties s’étaient rencontrées à deux reprises pour fixer, notamment, les dates de signature et de rupture du contrat de travail qui correspondaient à celles expressément réclamées par le salarié.

 

Les juges du fond en ont déduit que le consentement du salarié n’avait été ni bafoué, ni surpris.

 

Cependant, dans sa décision du 10 mai 2023, la Cour de cassation casse cette décision.

 

Elle rappelle en effet :

 

    • d’une part, que la remise de la convention de rupture au salarié est nécessaire, non seulement pour que chaque partie puisse demander l’homologation de ladite convention, mais aussi pour lui permettre d’exercer son droit de rétractation, et qu’à défaut d’une telle remise, la convention est nulle ;
    • d’autre part, qu’«il appartient à celui qui invoque cette remise [de la rupture conventionnelle] d’en rapporter la preuve.»

 

Appliquant ces principes à l’espèce, la Cour en déduit que l’employeur ne rapportait pas la preuve qu’un exemplaire de la convention de rupture avait été remis au salarié lors de la conclusion de la convention de sorte que la cour d’appel aurait dû conclure à la nullité de la convention, puisque le salarié se trouvait dans l’impossibilité d’user de son droit de rétractation dans le délai de quinze jours calendaires courant à compter de la signature de la convention.

 

Un manquement sanctionné par la nullité de la convention de rupture :

 

Cette décision de la Cour de cassation s’inscrit dans une jurisprudence bien établie selon laquelle :

 

    • l’employeur doit prouver qu’il a remis un exemplaire de la rupture conventionnelle au salarié (Cass. soc., 3 juillet 2019, n°18-14.414 ; Cass. soc., 23 septembre 2020, n°18-25.770) ;
    • à défaut, la convention de rupture est nulle et la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000).

 

Dans cette affaire, la sanction de la nullité de la convention pour défaut de remise au salarié d’une copie au moment de la signature, sanctionne :

 

    • non pas l’absence de remise d’une convention de rupture, puisque le salarié disposait d’une copie de la convention qu’il produisait aux débats ;
    • mais le défaut de remise de la convention au moment de sa signature, qui a empêché le salarié de se prévaloir de son droit de rétractation, lequel court à compter de la date de la signature de la convention.

 

Par cette décision, la Cour de cassation affine donc sa jurisprudence antérieure en précisant :

 

    • que la remise de la convention de rupture au salarié doit avoir lieu le jour de sa signature ;
    • ce dont l’employeur doit être en mesure de rapporter la preuve.

En conséquence, aux fins de disposer d’un moyen de preuve de la remise d’une copie de la convention de rupture conventionnelle, il est recommandé à l’employeur :

 

    • soit, dans le formulaire de rupture conventionnelle, de préciser qu’un exemplaire de la convention a été remis au salarié au jour de sa signature (notamment dans la case intitulée «Remarques éventuelles des parties ou des assistants sur ces échanges / autres commentaires») ;
    • soit de faire signer au salarié un récépissé démontrant la réception par lui de cette convention à la date de signature.

 

A cet égard, la formulation du récépissé sur papier à en-tête de la société pourrait être la suivante :

 

«Je, soussigné*e [nom du salarié] atteste qu’il m’a été remis ce jour, le  [date de signature de la convention de rupture] un exemplaire signé par la société [nom de la société] et moi-même du formulaire Cerfa n°14598*01 de rupture conventionnelle [Ou Cerfa n°14599*01 de rupture conventionnelle d’un salarié protégé].

Fait à  [lieu de signature], le [date de signature],

[Nom, prénom et signature du salarié] »

 

On le voit, si la rupture conventionnelle homologuée constitue un moyen sûr de rupture du contrat de travail lorsque les parties sont d’accord, c’est à la condition que l’ensemble des règles de procédure afférentes soient respectées, qu’elles émanent de la loi ou encore de la jurisprudence. La plus grande vigilance s’impose donc.

 

AUTEURS

Astrid DUBOYS FRESNEY, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

Pauline BOUSCH, Chargée de recherches & Juriste-doctorante CIFRE, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) V. en ce sens Cass. soc. 3 juillet 2013, n°12-19.268 et Cass. soc. 19 nov. 2014, n°13-21.979.