La nullité des sanctions disciplinaires notifiées en l’absence de règlement intérieur obligatoire
19 octobre 2016
La cour d’appel de Rennes, aux termes d’un arrêt prononcé le 7 septembre 2016 (n°14/04110), vient de juger que devait être annulée une sanction disciplinaire notifiée à un salarié si l’employeur n’a pas établi de règlement intérieur alors qu’il y était tenu, comptant plus de 20 salariés dans son effectif.
Cette décision, qui s’inscrit dans la logique d’une jurisprudence établie, donne ici l’occasion de rappeler aux employeurs qu’il leur appartient, avant de notifier une sanction disciplinaire, d’être en règle avec les obligations légales (et le cas échéant conventionnelles) mises à leur charge, parmi lesquelles, s’ils comptent au moins 20 salariés dans leur effectif, celle d’établir un projet de règlement intérieur, de le soumettre à la consultation des représentants du personnel, de le transmettre pour contrôle à l’inspection du travail, de le notifier au conseil de prud’hommes et de procéder à son affichage dans les locaux de l’entreprise.
Ledit règlement intérieur doit au demeurant répondre à certaines exigences, tendant notamment à l’énonciation de la nature et de l’échelle des sanctions, et à la mention de la durée maximale de la mise à pied disciplinaire.
Quelques principes méritent alors d’être rappelés en ce domaine.
Pas de sanction disciplinaire possible en l’absence de règlement intérieur
La cour d’appel de Rennes expose clairement, dans l’arrêt précité du 7 septembre 2016, qu’est nulle une sanction disciplinaire (en l’occurrence un avertissement) notifiée à un salarié par un employeur comptant plus de 20 salariés, dès lors qu’il n’a pas établi de règlement intérieur à la date du prononcé de la sanction.
Dans cette affaire, l’employeur, qui comptait effectivement plus de 20 salariés, n’avait pas mis en place de règlement intérieur, ce alors qu’il était pourtant légalement tenu de le faire. A la suite de faits qu’il a considérés comme fautifs, l’employeur a notifié un avertissement à un salarié (soit l’une des sanctions disciplinaires les plus minimes dans l’échelle des mesures disciplinaires).
A la lecture de l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, l’employeur soutenait :
- que l’avertissement s’entend d’une sanction disciplinaire de faible nature qui n’a pas d’incidence sur la présence du salarié dans l’entreprise, ni sur sa fonction, sa carrière ou sa rémunération, de telle sorte que sa mention dans le règlement intérieur n’était pas indispensable ;
- que cette sanction fait l’objet d’un régime légal (article L 1332-2 du Code du travail), ce qui pouvait le dispenser de la mentionner expressément dans le règlement intérieur.
La cour d’appel de Rennes n’a pas suivi ces arguments et a considéré que le Code du travail (article L 1332-2 précité) n’a évoqué l’avertissement (l’analyse vaudrait également en présence d’une sanction de même nature n’ayant pas d’incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié) que pour l’exclure de la procédure disciplinaire (imposant la tenue d’un entretien préalable), et non pour l’exclure du champ du règlement intérieur.
Pas de sanction disciplinaire possible si elle n’est pas expressément prévue dans le règlement intérieur
Dans une décision en date du 26 octobre 2010 (n°09-42740), la Cour de cassation a jugé que dès lors que le règlement intérieur fixe les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur, une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par ce règlement intérieur.
En d’autres termes, si un règlement intérieur existe, mais ne vise pas expressément certaines sanctions disciplinaires, l’employeur ne peut pas notifier l’une ou l’autre desdites sanctions.
Cette position a été confirmée par la Haute Cour le 12 décembre 2013 (n°12-22642).
Dans l’affaire tranchée à cette dernière date, la Cour d’appel a débouté une salariée de sa demande d’annulation de la mise à pied disciplinaire qui lui a été notifiée, ainsi que du remboursement de la retenue salariale correspondante. Elle a considéré en effet que la salariée persistait dans son incompréhension volontaire des interdictions résultant de la loi, qui n’ont pas à figurer dans le règlement intérieur, et qu’elle était censée connaître.
La Cour de cassation n’a pas suivi la position de la Cour d’appel. Selon elle, le simple fait que la mise à pied disciplinaire ne soit pas expressément visée dans le règlement intérieur suffit à interdire à l’employeur de notifier ce type de sanction aux salariés.
Pas de mise à pied disciplinaire possible en l’absence de mention dans le règlement intérieur de la durée maximale attachée à cette sanction
Aux termes de l’arrêt précité du 26 octobre 2010, la Cour de cassation a jugé qu’une mise à pied disciplinaire prévue par un règlement intérieur n’est licite qu’à la condition que ledit règlement précise sa durée maximale.
Dans cette affaire, un employeur a sanctionné un salarié d’une mise à pied disciplinaire de 5 jours alors que le règlement intérieur ne précisait pas expressément la durée maximale attachée à ce type de sanction.
La Cour d’appel, pour refuser d’annuler cette sanction disciplinaire, a jugé notamment:
- que l’employeur pouvait, eu égard à la faute commise, prononcer une mise à pied de cinq jours, quand bien même le règlement intérieur de la société ne comportait pas de dispositions limitant
- dans le temps une telle sanction ;
- qu’une telle sanction est inhérente au pouvoir disciplinaire de l’employeur, lequel a la faculté, en l’absence de dispositions restrictives d’un règlement intérieur ou d’une convention collective, d’en faire usage sous la seule réserve du contrôle de l’autorité judiciaire.
Cette position de la Cour d’appel a été censurée par la Cour de cassation, cette dernière faisant preuve de rigueur en estimant que la mise à pied disciplinaire n’est aucunement envisageable, en l’absence de mention de sa durée maximale dans le règlement intérieur.
En statuant de la sorte, la Cour de cassation a aligné sa jurisprudence sur celle du Conseil d’Etat. Ce dernier, aux termes d’un arrêt en date du 21 septembre 1990 (n°105247 et 105317), a jugé à cette date :
« En ce qui concerne l’article 13, alinéa 3 du règlement intérieur : Considérant que l’article 13, alinéa 3, du règlement intérieur litigieux dispose que « tout comportement fautif d’un salarié peut donner lieu à l’une des sanctions suivantes, qui est fixée par le chef d’entreprise ou son représentant en fonction de la nature ou de la gravité du fait reproché : avertissement écrit ou blâme, mise à pied, mutation …licenciement, licenciement sans préavis ni indemnité … » ; Considérant que si la mise à pied, qui est une mesure de suspension temporaire du contrat de travail, peut figurer dans l’échelle des sanctions prévues par le règlement intérieur, ledit règlement doit préciser la durée maximale de cette mise à pied ; que, par suite, c’est à bon droit que l’inspecteur du travail puis le directeur régional du travail et de l’emploi ont demandé à la SOCIETE ANONYME MAISON AUFRERE de modifier en ce sens la rédaction dudit article ; que, dès lors, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande dirigée contre ces décisions en tant qu’elles concernaient l’article 13 alinéa 3, du règlement intérieur ».
L’importance du respect de la procédure afférente à la mise en place d’un règlement intérieur
L’employeur a enfin tout intérêt, lorsqu’il doit mettre en place un règlement intérieur, à respecter l’ensemble des obligations qui sont les siennes, et à pouvoir en justifier en cas de contentieux.
Parmi ces obligations, on compte :
- celle imposant la consultation des représentants du personnel sur le projet de règlement intérieur qu’il a préalablement rédigé (soit en l’espèce le comité d’entreprise ou d’établissement ou à défaut les délégués du personnel, ainsi que le CHSCT pour les matières qui relèvent de sa compétence particulière) ;
- celle consistant à transmettre à l’inspection du travail, pour contrôle, deux exemplaires du projet de règlement intérieur accompagnés de l’avis du comité d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, des délégués du personnel, ainsi que celui du CHSCT ;
- le dépôt du règlement intérieur au greffe du conseil de prud’hommes dans le ressort duquel est situé l’entreprise ou l’établissement ;
- l’affichage simultanément à une place convenable, aisément accessible, dans les lieux de travail, les locaux et à la porte des locaux ou s’effectue l’embauche.
Etant précisé que le règlement intérieur ne peut recevoir application avant un délai minimum d’un mois à compter de l’accomplissement de la dernière des formalités de dépôt et d’affichage.
Il est acquis en jurisprudence que le règlement intérieur, ainsi que les notes de service qui le complètent, ne peuvent produire effet que si l’employeur a accompli les formalités précitées. A titre d’illustration, l’employeur qui ne justifie pas avoir préalablement consulté les représentants du personnel et communiqué le règlement à l’inspecteur du travail, ne peut reprocher à ses salariés un manquement aux obligations édictées par ce règlement et par une note de service (en ce sens Cass. soc. 9 mai 2012, n°11-13687).
Une jurisprudence très ancienne (Cass. soc. 4 juin 1969, n°68-40377) avait déjà admis que la consultation des représentants du personnel constituait une formalité dont le défaut entraînait l’absence d’effet du règlement intérieur, de sorte que les sanctions disciplinaires prononcées étaient nulles.
Il ressort de ce qui précède qu’avant même d’envisager la mise en œuvre d’une sanction disciplinaire, il appartient à l’employeur, s’il compte au moins 20 salariés dans son effectif :
- de s’assurer de l’existence en son sein d’un règlement intérieur ;
- de s’assurer que la mise en place de ce règlement intérieur est intervenue dans le respect des obligations légales (consultation des représentants du personnel, envoi à l’inspection du travail, puis au conseil de prud’hommes, affichage, etc.) ;
- de vérifier que le contenu dudit règlement intérieur est complet (c’est-à-dire qu’il contient l’ensemble des informations obligatoires, la nature et l’échelle des sanctions et la durée maximale de la mise à pied disciplinaire) et à jour.
L’employeur, par précaution, doit également remettre un exemplaire du règlement intérieur à chacun des salariés qu’il embauche, et à faire émarger les salariés pour justifier, en temps utile, de la remise effective de ce document.
Auteur
Rodolphe Olivier, avocat associé en droit social
La nullité des sanctions disciplinaires notifiées en l’absence de règlement intérieur obligatoire – Article paru dans Les Echos Business le 17 octobre 2016
A lire également
Les cadeaux dans le milieu professionnel : du rire aux larmes... 13 juillet 2021 | Pascaline Neymond
Egalité de traitement : des salariés peuvent-il revendiquer une prime de panie... 5 octobre 2022 | Pascaline Neymond
Du caractère abusif ou non de la rupture d’une période d’essai... 22 septembre 2021 | Pascaline Neymond
CHSCT : les apports des lois Rebsamen et Macron... 23 novembre 2015 | CMS FL
Le transfert du traitement administratif d’un salarié à un autre site emport... 26 novembre 2021 | Pascaline Neymond
Consultation sur la stratégie : un nouveau défi pour le pouvoir patronal... 3 septembre 2013 | CMS FL
Où en est-on du principe «à travail égal, salaire égal» ?... 10 janvier 2019 | Pascaline Neymond
SMS, Emails et messages vocaux : les nouveaux moyens de preuve... 3 janvier 2014 | CMS FL
Articles récents
- La convention d’assurance chômage est agréée
- Sécurité sociale : quelles perspectives pour 2025 ?
- L’intérêt à agir exclut la possibilité pour un syndicat professionnel de demander la régularisation de situations individuelles de salariés
- Présomption de démission en cas d’abandon de poste : les précisions du Conseil d’Etat sur le contenu de la mise en demeure
- Quel budget pour la sécurité sociale en 2025 ?
- Syntec : quelles actualités ?
- Modification du taux horaire minimum de l’allocation d’activité partielle et de l’APLD
- Congés payés acquis et accident du travail antérieurs à la loi : premier éclairage de la Cour de cassation
- Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable