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Obligation de versement du « 1,5 % TA » en prévoyance pour les cadres : la Cour de cassation se prononce pour la première fois

Obligation de versement du « 1,5 % TA » en prévoyance pour les cadres : la Cour de cassation se prononce pour la première fois

Dans un arrêt du 30 mars 2022 (n°20-15.022), publié au bulletin, la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur le respect de l’obligation dite du « 1,5 % TA » à laquelle les employeurs sont soumis en application de l’article 1 de l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres (étendu par arrêté du 27 juillet 2018).

 

Retour aux sources de l’obligation du « 1,5 % TA »

L’obligation dite du «1,5 % TA» trouve son origine dans la convention AGIRC (Association Générale des Institutions de Retraite Complémentaire des Cadres) du 14 mars 1947.

Cette convention posait, en effet, en son article 7 relatif aux «avantages en matière de prévoyance», une obligation à la charge des employeurs de verser une cotisation égale à 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond de la sécurité sociale pour les salariés visés aux articles 4 (cadres) et 4 bis (assimilés cadres) de la convention AGIRC (devenus les articles 2.1 et 2.2 de l’ANI du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres), étant précisé que cette cotisation devait être «affectée par priorité à la couverture d’avantages en cas de décès».

Cette obligation a été reprise à l’identique à l’article 1er de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres (1).

 

Le non-respect par l’employeur de cette obligation est sanctionné par une sanction financière égale à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale en cas de décès d’un salarié bénéficiaire (2).

 

S’agissant d’une pénalité, celle-ci s’ajoute au capital décès dû aux ayants droit du salarié bénéficiaire par l’organisme assureur du régime de prévoyance.

 

La notion d’avantages en matière de prévoyance définie pour la première fois par la Cour de cassation

Jusqu’à présent, la Cour de cassation n’avait, à notre connaissance, jamais eu l’occasion de se prononcer sur l’appréciation du respect par l’employeur de cette obligation, et plus particulièrement, sur le sens à donner à la notion d’avantages en matière de prévoyance.

Fallait-il entendre cette notion au sens large, c’est-à-dire comme incluant à la fois les risques lourds (invalidité, incapacité, décès) et les avantages en matière de frais de santé ou au sens strict, à savoir comme incluant les seuls risques lourds ?

 

C’est précisément à cette question que la Cour de cassation a répondu dans l’arrêt du 30 mars 2022.

En l’espèce, les sociétés versaient une cotisation au titre de la prévoyance égale à 1 % de la tranche A à laquelle s’ajoutait une cotisation de 1,8% au titre des frais de santé.

Un syndicat de salariés avait engagé une action contre plusieurs de ces sociétés composant une unité économique et sociale (UES) pour non-respect de leur obligation de cotiser à hauteur d’au moins 1,5 % de la tranche du salaire inférieure à un plafond de la sécurité sociale en matière de prévoyance des salariés cadres et assimilés cadres de l’UES, en violation de l’article 7 de la convention AGIRC de 1947 (3).

Selon ce syndicat, les sociétés ne respectaient pas leur obligation en la matière dans la mesure où la cotisation qu’elles versaient au titre des risques invalidité, incapacité, décès s’élevait seulement à 1 % de la tranche de salaire inférieure au plafond de la sécurité sociale pour les salariés concernés.

Le syndicat soutenait en effet que, contrairement à l’argumentation avancée par les sociétés, il n’y avait pas lieu de tenir compte de la cotisation de 1,8 % versée par l’employeur au titre du régime de frais de santé dans la mesure où l’interprétation littérale des dispositions conventionnelles conduisait à distinguer les avantages de prévoyance lourde, d’une part, des avantages de frais de santé, d’autre part.

 

Le 6 février 2020, la cour d’appel de Paris (4) a débouté le syndicat de ses demandes aux motifs que l’article L.911-2 du Code de la sécurité sociale (5) relatif aux garanties collectives de prévoyance recouvre également les risques de frais de santé et de maternité et que les dispositions de l’article 7 de la convention AGIRC du 14 mars 1947 comme celles de l’article 1er de l’ANI du 17 novembre 2017 qui les substituent n’excluent pas les avantages de frais de santé et de maternité des avantages de prévoyance financés par l’employeur, seule étant prévue une affectation prioritaire à la couverture du risque décès. Le syndicat s’est alors pourvu en cassation.

 

Les avantages de frais de santé et de maternité entrent dans les prévisions de l’article 1er de l’ANI du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le syndicat et a confirmé l’arrêt rendu le 6 février 2020 par la cour d’appel de Paris.

Ainsi, pour vérifier si l’employeur respecte son obligation de cotiser en matière de prévoyance à concurrence de 1,50 % de la tranche de salaire inférieure au plafond de la sécurité sociale, il doit être tenu compte de la cotisation patronale versée pour le financement des risques de prévoyance lourde (invalidité, incapacité, décès) et de la cotisation patronale versée pour le financement des risques de frais de santé et de maternité.

 

La Haute Cour vient ainsi entériner la position adoptée sur cette question par la Direction de la réglementation de l’AGIRC.

 

Cette décision est une bonne nouvelle pour les entreprises qui bénéficient d’une certaine souplesse s’agissant du financement de leurs régimes de prévoyance et plus particulièrement, du choix de ventiler leur financement risque par risque.

 

Reste néanmoins la question des salariés cadres et assimilés cadres dispensés d’adhésion au régime de frais de santé et dont la rémunération serait inférieure au plafond de la sécurité sociale.

Pour ces derniers en effet, il n’y a pas de participation patronale au régime frais de santé et il ne sera pas possible de prendre en compte la participation patronale sur les autres tranches de rémunération (6) en prévoyance dès lors que leur rémunération est inférieure au plafond de la sécurité sociale.

S’agissant néanmoins de salariés cadres et assimilés cadres, le nombre de salariés dans une telle situation est certainement faible et une appréciation au cas par cas devra être faite par chaque entreprise.

 

En outre, le texte précité prévoit que plus de la moitié de la cotisation égale à 1,50 de la Tranche A doit être affecté « par priorité » au risque décès.

Sur ce dernier point, une affectation « par priorité » de la cotisation au risque décès signifie littéralement que plus de la moitié de la cotisation, soit au moins 0,76 % de la tranche de salaire inférieure au plafond de la sécurité sociale, doit financer la couverture d’avantages en cas de décès (capital décès/PTIA, rente de conjoint, rente éducation).

 

Ainsi, la prudence recommande aux entreprises de rester vigilantes sur le respect de leur obligation à l’égard des salariés dispensés d’adhésion au régime frais de santé et/ou dont la rémunération ne dépasse pas le plafond de la sécurité sociale et sur le financement prioritaire du risque décès.

 

Se pose également plus généralement la question de la hiérarchie des normes conventionnelles.

 

Il convient enfin de noter que l’article L.2252-1 du Code du travail autorise les accords de branche à comporter des stipulations moins favorables aux salariés que celles qui leur sont applicables en application d’un accord plus large sauf si celui-ci stipule expressément qu’on ne peut y déroger en tout ou partie.

Or, l’ANI du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres ne comporte pas de disposition interdisant expressément aux branches professionnelles de déroger à l’obligation du « 1,5 % TA ».

 

Les branches professionnelles pourraient être ainsi tentées de prévoir une dérogation à cette obligation au sein de leurs conventions ou accords de branche sur le fondement de l’article L. 2252-1 du Code du travail (7).

Tel est par exemple le cas de la nouvelle convention collective de la métallurgie qui permet aux entreprises de la branche de prévoir une cotisation inférieure à 1,5 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond de la sécurité sociale pour les cadres et assimilés cadres sur le fondement de cet article.

Pour davantage de précisions sur les nouvelles dispositions de la convention collective de la métallurgie, nous vous invitons à lire notre précédent article sur le sujet (8).

 

(1) L’article 1er de l’ANI du 17 novembre 2017 relatif aux «avantages en matière de prévoyance des cadres et assimilés» énonce plus précisément :
«Les employeurs s’engagent à verser, pour tout bénéficiaire visé à l’article 2 du présent accord, une cotisation à leur charge exclusive, égale à 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond fixé pour les cotisations de sécurité sociale.
Cette contribution doit être versée à une institution de prévoyance ou à un organisme d’assurance pour les bénéficiaires visés à l’article articles 2-1 et 2-2 du présent accord.
Elle est affectée par priorité à la couverture d’avantages en cas de décès. […]»

(2) L’employeur s’expose à une sanction financière égale à 3 fois le plafond annuel retenu pour le calcul des cotisations de sécurité sociale ( à savoir 123.408 € pour l’année 2022,) étant précisé que le montant du plafond annuel de la sécurité sociale est susceptible d’évoluer chaque année par voie réglementaire.

(3) L’arrêt du 30 mars 2022 portait également sur la question de la capacité à agir d’une organisation syndicale en vue d’obtenir la régularisation de cotisations de retraite complémentaire obligatoire Agirc-Arrco au bénéfice de salariés, question que nous n’abordons pas dans le présent article.

(4) Cour d’appel de Paris, 6 février 2020, RG n° 18/20112.

(5) L’article L. 911-2 du Code de la sécurité sociale énonce que : «Les garanties collectives mentionnées à l’article L. 911-1 ont notamment pour objet de prévoir, au profit des salariés, des anciens salariés et de leurs ayants droit, la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d’incapacité de travail ou d’invalidité, des risques d’inaptitude et du risque chômage, ainsi que la constitution d’avantages sous forme de pensions de retraite, d’indemnités ou de primes de départ en retraite ou de fin de carrière.»

(6) Tranche B : salaire compris entre une et quatre fois le plafond de la sécurité sociale ;
Tranche C : salaire compris entre quatre et huit fois le plafond de la sécurité sociale.

(7) Cet article dispose :
«Une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel peut comporter des stipulations moins favorables aux salariés que celles qui leur sont applicables en vertu d’une convention ou d’un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large, sauf si cette convention ou cet accord stipule expressément qu’on ne peut y déroger en tout ou partie.
Lorsqu’une convention ou un accord de niveau supérieur à la convention ou à l’accord intervenu est conclu, les parties adaptent les stipulations de la convention ou accord antérieur moins favorables aux salariés si une stipulation de la convention ou de l’accord de niveau supérieur le prévoit expressément.»

(8) Nouvelle convention collective de la métallurgie : la protection sociale complémentaire (Episode 4)