OBO immobilier : une stratégie attrayante… subordonnée à des réglages fins (1ère partie)
L’effet conjugué du recentrage de l’impôt sur la fortune sur le seul patrimoine immobilier, de la réforme de la fiscalité de l’épargne ( « flat tax »), d’une imposition des plus-values immobilières non nécessairement prohibitive, invite à s’interroger sur l’opportunité pour les contribuables d’arbitrer leurs actifs immobiliers (détenus directement, ou au travers d’une société dédiée), et de restructurer leur patrimoine.
L’Owner Buy Out (ou OBO) consiste dans le rachat d’une société cible (ou ici d’un actif immobilier) par une société détenue par le vendeur, le financement de l’acquisition étant assuré par un emprunt bancaire.
Cette opération trouve dans l’effet de levier attaché à l’emprunt une partie de son intérêt, et peut s’avérer économiquement d’une grande pertinence.
Pour autant, au plan fiscal, sa mise en œuvre repose sur des réglages fins. Aussi dans la première partie de cet article, nous analyserons la question de savoir si l’OBO peut caractériser un abus de droit.
La procédure de répression de l’abus de droit fiscal (LPF art. L.64) permet en effet à l’administration fiscale d’écarter les actes et conventions dissimulant leur véritable portée, en établissant une nouvelle imposition conforme à la situation réelle du contribuable.
Sont visés par cette procédure :
- les actes ayant un caractère fictif (abus de droit par « simulation », ou « fictivité ») ;
- ainsi que les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre de leur esprit, n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé aurait normalement supportées (abus de droit par « fraude à la loi », ou « exclusivisme fiscal »).
1. Le risque d’abus de droit par fictivité
La jurisprudence retient, pour caractériser la fictivité d’une société (au cas présent la société de reprise), les éléments suivants :
- l’absence de comptabilité ;
- l’absence de réunion des organes sociaux ;
- le non-respect des statuts ;
- la confusion entre l’activité personnelle du dirigeant et celle de la société ;
- la confusion entre le compte bancaire de la société et celui des associés / dirigeants ;
- le non – paiement effectif du prix d’acquisition par la société cessionnaire ;
- l’absence d’autonomie financière suffisante pour assurer la gestion de l’immeuble…
Le risque de fictivité semble pouvoir être cantonné en veillant au bon fonctionnement de la société pivot et/ou à la juste détermination du prix de cession.
2. Le risque d’abus de droit par fraude à la loi
Le Comité de l’abus de droit fiscal a rendu divers avis en matière de « vente à soi-même », concernant des opérations de marchands de biens ou de cession de clientèles libérales.
A l’origine, dans de le cadre d’opérations de marchands de biens (CGI, art. 11151), le Comité a pu déceler l’abus dans :
- la confusion d’intérêts acheteur / vendeur, « les deux sociétés ayant le même gérant à la date de la revente du bien et les associés de la société cessionnaire (étaient) également les principaux associés de la société cédante »2 ;
- la circonstance que la société venderesse « n’apportait aucune justification économique ou financière à la revente de l’immeuble »3.
En présence d’une communauté d’intérêts avérée, le Comité a néanmoins écarté l’exclusivisme fiscal sur la base d’un faisceau d’indices4, considérant notamment qu’« une opération de promotion immobilière impliquait la recherche de nouveaux partenaires qui, et conformément à leurs demandes, a été facilitée par la création d’une société ayant pour seul objet de mener à bien cette opération ».
Le Comité a ultérieurement rendu des avis sur la « vente à soi-même » d’un fonds libéral en franchise d’impôt de plus-value (CGI, art. 238 quaterdecies).
Le Comité refuse de voir dans toute vente à soi-même un motif d’abus de droit, notamment lorsque la cession est justifiée par des « considérations économiques et juridiques »5, ou bien lorsque la création de la société s’inscrit dans le projet conçu par le contribuable « afin de préparer sa retraite et sa succession, de céder son entreprise à des entrepreneurs dans lesquels figurait son fils »6.
A la lumière de ces avis il peut être soutenu, pour combattre utilement l’exclusivisme fiscal induit par une communauté d’intérêts en matière d’OBO immobilier, que la mise en société d’un immeuble :
- pallie les inconvénients de l’indivision ;
- permet également, par la rédaction appropriée des statuts, d’encadrer les rapports entre les associés, notamment par les clauses d’agrément, de préemption, de répartition des résultats ;
- facilite la transmission d’un immeuble, la société permettant d’associer les héritiers en préparant progressivement la transmission des parts ou actions.
Enfin la vente d’un immeuble de rapport (y compris dans un contexte « circulaire ») permet de substituer à la perception périodique d’un flux de loyers la perception immédiate d’un capital.
3. Le risque d’abus de droit sous l’angle de la jurisprudence récente
Le Conseil d’Etat a, par deux décisions remarquées, écarté l’abus de droit dans des opérations de « vente à soi-même ».
Dans l’affaire Bourdon7, deux gérants associés chacun à 50% d’une SARL avaient créé une société holding qu’ils contrôlaient également à parité. Ils avaient, quasi simultanément (un mois après la création de la société holding), vendu leurs parts de la SARL à la société holding.
L’administration considérait que l’OBO déguisait une distribution de dividendes de la SARL en une plus-value sur cession de titres qui, à l’époque, était significativement moins imposée que les dividendes.
Dans cette affaire purement circulaire, le Conseil d’Etat a jugé que l’objectif de l’OBO ne pouvait pas être exclusivement fiscal dès lors qu’existaient de nombreuses justifications économiques. En particulier, il faisait valoir que la société holding avait bénéficié d’un emprunt bancaire garanti par les titres de la SARL, ce qui présentait des avantages autres que fiscaux indéniables pour les deux associés. Si ces derniers avaient dû emprunter directement cette somme, la banque aurait eu un recours sur leur patrimoine propre. De plus, ce holding de reprise bénéficiait d’une capacité d’emprunt supérieure à celle de ses associés et facilitait l’éventuelle acquisition d’autres entreprises. Enfin, l’absence d’activité économique de la société holding autre que la détention des titres de la SARL n’était pas suffisante pour établir le but exclusivement fiscal de la structuration incriminée.
Cette décision illustre que la démonstration d’un intérêt autre que fiscal peut suffire à écarter le grief d’abus de droit à l’encontre de l’OBO, en ce compris dans des hypothèses dans lesquelles l’actionnariat pré / post opération est rigoureusement analogue.
Dans une deuxième décision Bazin Faucon8, le Conseil d’Etat a également conclu à l’absence d’abus de droit dans le cadre de la cession en exonération de plus-value par un professionnel libéral (expert – comptable) de sa clientèle au bénéfice d’une société constituée à cet effet, qu’il contrôlait avec son épouse.
Nous croyons devoir souligner, avant de conclure la première partie de cet article, qu’ une décision récente du Conseil d’Etat9 semble contracter les deux critères de l’abus de droit (simulation et exclusivisme fiscal) en considérant qu’une opération procédant d’un « montage artificiel dépourvu de toute substance économique » est nécessairement abusive, sans qu’il soit nécessaire de s’interroger sur les objectifs poursuivis par le législateur.
De cette affaire il semble ressortir qu’un « montage artificiel » peut être dépourvu de toute substance économique, même si la société n’est pas dépourvue de toute substance économique.
Au vu de ces considérations – ici exposées de façon synthétique – les opérations d’OBO nous semblent donc devoir obéir à une structuration rigoureuse, au cas par cas :
- caractérisant l’existence de motifs autres que fiscaux,
- sans faire l’impasse sur les nouveaux contours de l’abus de droit qui pourraient ressortir de l’arrêt précité du 25 octobre 2017 (si cette décision s’avérait ne pas être isolée, mais au contraire confirmée par le Conseil d’Etat dans des affaires à venir), incriminant des « montages artificiels10 dépourvus de toute substance économique » et,
- comme nous aurons l’occasion de le souligner dans la seconde partie à paraître de cet article, portant une attention particulière (notamment) à la géographie du capital de la société cessionnaire.
Notes
1 Cet article soumet au taux réduit des droits d’enregistrement les acquisitions d’immeubles assorties d’un engagement de revente dans un délai de 5 ans. C’est précisément pour les besoins de la non remise en cause du taux réduit que certains marchands de biens procédaient, dans les opérations incriminées, à des ventes au profit de sociétés qu’ils contrôlaient.
2 aff. 2005-10
3 aff. 2004-67
4 aff. 2008-17
5 aff. 2008-10
6 aff. 2008-30
7 CE 27 janvier 2011, n°320.313
8 CE 23 juillet 2012, n°342.017
9CE 25 octobre 2017, n°396.954
10 Concernant la notion de « montage », le rapporteur public cite les conclusions de Monsieur Collin sous l’arrêt Sagal : « une série d’actes cohérents et convergents, passés en vue de créer une situation (…) économique artificielle à la seule fin d’entrer dans les prévisions d’une disposition fiscale favorable ».
Auteurs
Olivier de Saint Chaffray, avocat associé spécialisé en fiscalité directe.
Thomas Laumière, avocat associé, droit fiscal