Publication de l’ordonnance sur les réseaux fermés de distribution
L’ordonnance n° 2016-1725 du 15 décembre 2016 relative aux réseaux fermés de distribution transpose l’article 28 de la directive 2009/72 du 13 juillet 2009, donnant ainsi un statut aux réseaux fermés de distribution dits « réseaux privés », encore inconnus en droit français mais dont l’existence était bien réelle. Enedis a en effet recensé, selon la fiche d’impact de l’ordonnance 600 réseaux privés, dont 200 avec un dispositif de décompte et 400 sans.
L’expression « réseaux fermés de distribution » a été élaborée par opposition à celle de « réseaux publics de distribution », lesquels sont des réseaux appartenant aux collectivités publiques, qui peuvent les gérer via des régies de distribution ou dont Enedis et les entreprises locales de distribution se sont vus concéder la gestion. L’article 28 de la directive 2009/72 du 13 juillet 2009 permet aux États membres de prévoir l’existence de tels réseaux, assujettis à un contrôle de l’autorité nationale de régulation allégé par rapport à celui que connaissent les gestionnaires de réseaux publics.
C’est donc chose faite pour la France depuis la publication de l’ordonnance, sur laquelle la Commission de régulation de l’énergie avait rendu le 20 septembre 2016 un avis favorable. Une nouvelle catégorie juridique a donc vu le jour, à côté de celle des lignes directes, qui, comme les réseaux privés de distribution, doivent être autorisées et permettent à un producteur d’alimenter directement un consommateur ou ses établissements.
Définition des réseaux fermés
La notion de réseau fermé est clarifiée : il doit s’agir d’un réseau qui distribue de l’électricité à l’intérieur d’un site, géographiquement raccordé au réseau public d’électricité par un unique point de livraison. Ce réseau doit alimenter un ou plusieurs consommateurs d’électricité non résidentiel(s), qui exerce(nt) des activités de nature industrielle, commerciale ou de partage de services (article L.344-1 du Code de l’énergie) : les réseaux privés de distribution participeront ainsi sans aucun doute à la transition énergétique puisqu’ils constituent un outil privilégié de développement des smart-grids et des green-office. L’alimentation des consommateurs résidentiels ne peut se faire qu’à titre accessoire, « lorsqu’ils sont employés par le propriétaire de réseau ou associés à lui de façon similaire et résident dans la zone desservie par le réseau » (article L.344-2 du Code de l’énergie) : ce peut être par exemple le cas d’un salarié chargé de la surveillance d’un site industriel et logé sur place. Par ailleurs, l’utilisateur qui soutire de l’électricité pour sa consommation doit pouvoir choisir librement son fournisseur, ce que rappelle l’article L.344-3 du Code de l’énergie : « le raccordement à un réseau fermé de distribution ne peut faire obstacle à l’exercice par un consommateur des droits relatifs au libre choix de son fournisseur prévus à l’article L.331-1« .
Enfin, l’une des deux conditions suivantes doit être remplie (article L.344-1 du Code de l’énergie) : « des raisons spécifiques techniques ou de sécurité doivent justifier l’intégration des opérations ou du processus de production » ou « le réseau doit distribuer de l’électricité essentiellement au propriétaire ou au gestionnaire de réseau ou aux entreprises qui lui sont liées au sens de l’article L. 233 du code de commerce« . La première condition, qui repose sur des « raisons spécifiques techniques ou de sécurité« , laisse une grande marge d’appréciation, mais crée, en contrepartie, une certaine insécurité juridique que la pratique réduira.
Le gestionnaire du réseau fermé
Le réseau fermé de distribution peut être exploité directement par son propriétaire, sauf s’il en confie l’exploitation à un tiers (article L.344-4 du Code de l’énergie).
Ce gestionnaire de réseau privé, qui doit disposer des capacités techniques et financières requises (article L.344-7 du Code de l’énergie), assure la conception et la construction des ouvrages du réseau privé, le cas échéant pour son propre compte lorsqu’il en est aussi propriétaire (article L.344-5 du Code de l’énergie).
Les missions du gestionnaire de réseau privé reprennent, dès lors qu’elles sont pertinentes, celles du gestionnaire de réseaux publics.
Ainsi, outre l’exploitation, l’entretien et la maintenance du réseau privé, son gestionnaire a pour rôle de veiller à l’équilibre des flux, à l’efficacité, à la sécurité et à la sûreté du réseau qu’il exploite, tout en assurant la couverture des pertes d’électricité et le maintien d’une capacité de réserve. Pour ces deux dernières activités, le gestionnaire de réseau fermé de distribution d’électricité négocie librement avec les fournisseurs de son choix les contrats nécessaires à la couverture des pertes et au maintien d’une capacité de réserve selon des procédures concurrentielles, transparentes et non discriminatoires, sauf si la Commission de régulation de l’énergie l’en dispense (articles L.344-9 et L.344-10 du Code de l’énergie).
Le gestionnaire doit s’abstenir de toute discrimination entre les utilisateurs du réseau et leur fournir les informations nécessaires à un accès efficace, tout en préservant les informations commercialement sensibles (article L.344-5 du Code de l’énergie).
C’est aussi lui qui exerce les activités de comptage pour les utilisateurs (article L.344-5 du Code de l’énergie), sauf lorsque ceux-ci interviennent sur les marchés de l’électricité ou participent à des mécanismes (par exemple le mécanisme d’ajustement) nécessitant une contractualisation avec les gestionnaires des réseaux publics, qui dans cette hypothèse seront chargés du comptage. Si cette mission de comptage est nouvelle pour la plupart des gestionnaires actuels de réseaux privés existants, on peut penser qu’en pratique, peu de gestionnaires seront chargés d’une telle mission puisque le plus souvent, les utilisateurs interviennent sur les marchés de l’électricité ou participent à des mécanismes nécessitant une contractualisation avec les gestionnaires de réseaux publics.
Quel régime pour les réseaux fermés de distribution ?
Les réseaux privés doivent satisfaire aux conditions techniques et de sécurité applicables en matière de transport et de distribution d’électricité (article L.344-6 du Code de l’énergie).
La construction et l’exploitation d’un réseau fermé de distribution sont soumises à autorisation, délivrée pour une durée maximale de vingt ans, renouvelable.
L’autorisation d’exploiter le réseau est accordée à l’aune des critères définissant les réseaux privés, étant entendu qu’elle peut aussi être refusée pour des motifs d’intérêt général liés au bon fonctionnement et à la sûreté du système électrique (article L.344-7 du Code de l’énergie).
Par ailleurs, le fait de construire ou d’exploiter un tel réseau sans autorisation est puni d’un an d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende, étant entendu que des peines complémentaires peuvent être prononcées (article L.344-12 du Code de l’énergie) : on voit donc ici une convergence entre les sanctions applicables aux gestionnaires de réseaux fermés de distribution et aux gestionnaires de lignes directes en cas de défaut d’autorisation.
Les tarifs des redevances d’utilisation des réseaux fermés de distribution doivent être approuvés par la Commission de régulation de l’énergie, dans un délai de quatre mois à compter de la réception du dossier complet, sauf si cette dernière en exempte l’exploitant (articles L.344-9 et L.344-10 du Code de l’énergie). Passé ce délai, les tarifs sont réputés approuvés. Lorsque l’exemption d’approbation préalable des tarifs a été accordée par la Commission de régulation de l’énergie, les utilisateurs peuvent malgré tout saisir le régulateur afin qu’il statue sur les tarifs des redevances d’utilisation des réseaux fermés de distribution, sous un délai de quatre mois (article L.344-11 du Code de l’énergie).
Si la description de ce régime administratif semble claire, on peut malgré tout se demander comment la problématique des réseaux privés de distribution et celle du raccordement indirect cohabiteront sur le long terme.
Auteur
Aurore-Emmanuelle Rubio, avocat en droit de l’énergie et droit public.