Les ordonnances Macron à la lumière des décisions du Conseil constitutionnel sur la loi travail
13 décembre 2017
Le Conseil constitutionnel vient de rendre quatre décisions sur des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) concernant la loi travail, deux décisions en date du 13 octobre dernier (n°2007-661 QPC et n°2017-662 QPC) et deux décisions en date du 20 octobre dernier (n°2017-665 QPC et n°2017-664 QPC).
Quand on songe que le recours direct formé contre la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et la sécurisation des parcours professionnels (n°2016-1088) ne portait que sur deux articles -l’article 27, relatif à la mise à disposition de locaux au profit d’organisations syndicales par les collectivités territoriales et l’article 64, relatif à la mise en place d’une instance de dialogue dans les réseaux de franchisés- on mesure l’importance prise aujourd’hui par la QPC par rapport aux recours directs.
Ces quatre QPC, qui portent sur des dispositions de la loi travail du 8 août 2016, ont néanmoins eu une influence directe sur le contenu des ordonnances Macron dans la mesure où :
- soit elles valident des dispositions qui restent en vigueur ;
- soit elles ont conduit à préciser des dispositions dans le sens souhaité par le Conseil constitutionnel ;
- soit elles ont conduit les ordonnances à corriger des dispositions que le Conseil constitutionnel avait censurées ou sur lesquelles il avait émis des réserves.
1. La validation de dispositions qui restent en vigueur
Dans sa décision du 13 octobre 2017 (n°2017-661 QPC), le Conseil a validé les dispositions qui rendent inéligible à la délégation unique du personnel, comme au comité d’entreprise, les salariés mis à disposition d’une entreprise utilisatrice.
Dès 2006, le Conseil constitutionnel avait jugé que le droit des salariés de participer « par l’intermédiaire de leurs délégués » à la gestion des entreprises « a pour bénéficiaires, sinon la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, du moins tous ceux qui sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté travail qu’elle constitue, même s’ils n’en sont pas les salariés » (Cons. const., 28 déc. 2006, n°2006-545 DC).
Les dispositions qui subordonnent le droit de vote et l’éligibilité des salariés mis à disposition pour l’élection des délégués du personnel a une condition de présence dans l’entreprise de respectivement 12 et 24 mois avaient par la suite été jugées conformes à la Constitution (Cons. const., 7 août 2008, n°2008-568 DC).
En l’espèce, se référant à la volonté du législateur, le Conseil a estimé qu’ « en excluant que les salariés mis à disposition soient éligibles à la délégation unique du personnel de l’entreprise utilisatrice, le législateur a cherché à éviter que des salariés qui continuent de dépendre d’une autre entreprise puissent avoir accès à certaines informations confidentielles, d’ordre stratégique, adressées à cette délégation unique lorsqu’elle exerce les attributions du comité d’entreprise » et que, ce faisant, il n’a méconnu ni les exigences du huitième alinéa du préambule de 1946 ni le principe d’égalité, compte tenu d’une différence de situation en rapport avec l’objet de la loi.
L’ordonnance n°2017-1386 reprend à l’identique ces dispositions s’agissant du comité social et économique, sans que l’on ne puisse douter de leur conformité à la Constitution.
2. La précision de règles dont le Conseil constitutionnel n’avait admis la conformité à la Constitution qu’au prix d’un effort.
On sait que, saisie de la conformité à la Constitution d’une jurisprudence de la Cour de cassation qui estime que, dès lors que l’expert accompli sa mission, l’employeur reste tenu au paiement des frais de l’expertise, même dans l’hypothèse où la délibération du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ayant décidé le recours à cet expert a été annulée par une décision passée en force de chose jugée (Cass. soc, 15 mai 2013, n°11-24218), le Conseil a censuré en partie l’article L.4614-13 du Code du travail en estimant que « la combinaison de l’absence d’effet suspensif du recours de l’employeur et de l’absence de délai d’examen de ce recours conduisent dans ces conditions à ce que l’employeur soit privé de toute protection de son droit de propriété » (Cons. const., 27 nov. 2015, n°2015-500 QPC).
À la suite de cette décision, l’article L.4614-13 a été réécrit par la loi du 8 août 2016. C’est cette rédaction qui a fait l’objet d’une QPC dans la mesure où, en prévoyant que l’employeur doit saisir le juge dans un délai de 15 jours à compter de la délibération du CHSCT décidant l’expertise, sans lui imposer d’en fixer le coût prévisionnel, l’étendue ou le délai, ces dispositions priveraient l’employeur de tout droit à un recours juridictionnel effectif.
Le Conseil constitutionnel a rejeté cette QPC en estimant, d’une part, qu’en vertu de l’article L.4614-13-1 du Code du travail, l’employeur peut contester le coût final de l’expertise dans un délai de 15 jours à compter de la date à laquelle il a été informé de ce coût.
Il a estimé, d’autre part, qu’en vertu de l’article L.4614-13 du Code du travail « il appartient au CHSCT […] de déterminer par délibération l’étendue et le délai de cette expertise ainsi que le nom de l’expert ».
Mais il s’agissait là d’une pétition de principe, dépourvue en réalité de toute sanction.
C’est la raison pour laquelle l’ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 a :
- d’une part, introduit un nouvel article L.2315-81-1 aux termes duquel : « à compter de la désignation de l’expert par le comité social économique, les membres du comité établissent un cahier des charges. L’expert notifie à l’employeur le coût prévisionnel, l’étendue et la durée d’expertise, dans un délai fixé par décret en Conseil d’État » ;
- d’autre part, introduit un article L.2315-86 selon lequel « l’employeur saisit le juge judiciaire dans un délai fixé par décret en Conseil d’État de :
1° La délibération du comité social et économique décidant le recours à l’expertise s’il entend contester la nécessité de l’expertise ;
2° La désignation de l’expert par le comité social et économique s’il entend contester le choix de l’expert ;
3° La notification à l’employeur du cahier des charges et des informations prévues à l’article L.2315-81-1 s’il entend contester le coût prévisionnel, l’étendue ou la durée de l’expertise ;
4° La notification à l’employeur du coût final de l’expertise s’il entend contester ce coût.
Le juge statue dans les 10 jours suivant sa saisine. Cette saisine suspend l’exécution de la décision du comité ainsi que les délais dans lesquels il est consulté ».
3. Correction par les ordonnances Macron des inconstitutionnalités relevées par le Conseil constitutionnel.
3.1. En ce qui concerne les accords de préservation et de développement de l’emploi prévus par l’article L.2254-2 du Code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016, et qui sont fusionnés avec d’autres types d’accords dans les accords de compétitivité des ordonnances Macron, la principale critique développée par la QPC était le fait qu’en cas de refus par le salarié de la modification de son contrat de travail en application de l’accord, le licenciement était fondé sur ce motif spécifique mais n’était enfermé dans aucun délai. Pour admettre la conformité à la Constitution de ces dispositions, le Conseil a émis une réserve selon laquelle ce licenciement « ne saurait, sans méconnaître le droit à l’emploi, intervenir au-delà d’un délai raisonnable à compter du refus du salarié » (Cons. const., 20 oct. 2017, n°2017-665 QPC, cons. 12).
La loi de ratification des ordonnances a tiré les conséquences de cette réserve en complétant le V de l’article L.2254–2 du Code du travail par une disposition selon laquelle « l’employeur dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement ».
3.2. Dans un dernier cas, l’ordonnance Macron a corrigé une inconstitutionnalité censurée par le Conseil constitutionnel
Dans cette décision du 20 octobre 2017 (n°2017-664 QPC), le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions relatives à l’organisation d’une consultation dans l’entreprise dans l’hypothèse où un accord collectif n’a pas été signé par les syndicats majoritaires mais seulement par des syndicats ayant recueilli 30% des suffrages exprimés en faveur des organisations représentatives au premier tour des élections professionnelles. L’article L.2232-12 du Code du travail prévoyait que cette consultation est organisée « selon les modalités prévues par un protocole spécifique conclu entre l’employeur et les organisations signataires ».
Le Conseil constitutionnel a estimé qu’ « il était loisible au législateur, d’une part, de renvoyer à la négociation collective la définition des modalités d’organisation de la consultation et, d’autre part, d’instituer des règles visant à éviter que les organisations syndicales non signataires de l’accord puissent faire échec à toute demande de consultation formulée par d’autres organisations. Toutefois, en prévoyant que seules les organisations syndicales qui ont signé un accord d’entreprise ou d’établissement et ont souhaité le soumettre à la consultation des salariés sont appelées à conclure le protocole fixant les modalités d’organisation de cette consultation, les dispositions contestées instituent une différence de traitement qui ne repose ni sur une différence de situation ni sur un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi« : il a donc censuré, pour violation du principe d’égalité, le quatrième alinéa de l’article L.2232–12.
L’ordonnance n°2017-1385 relative à la négociation collective a tiré les conséquences de cette censure en prévoyant que le protocole serait conclu « entre l’employeur et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30% des suffrages exprimés en faveur des organisations représentatives au premier tour des élections professionnelles ».
On voit ainsi que la QPC introduit un jeu subtil dans nos institutions puisqu’elle peut conduire à déclarer inconstitutionnelles les dispositions d’une loi qui seront corrigées par une loi ultérieure dans le même domaine.
Auteur
Olivier Dutheillet de Lamothe, avocat associé, droit social
Les ordonnances Macron à la lumière des décisions du Conseil constitutionnel sur la loi travail – Article paru dans Les Echos Exécutives le 6 décembre 2017
A lire également
Evaluation des salariés : une responsabilité stratégique de l’employeur... 12 novembre 2013 | CMS FL
QPC relative à l’ amende de 5% pour défaut de souscription des états de sui... 22 mai 2017 | CMS FL
Le recours au vote électronique facilité... 17 janvier 2017 | CMS FL
Recours au CDD : ce que changent les ordonnances Macron... 1 décembre 2017 | CMS FL
Indemnisation du licenciement et égalité devant la loi... 31 janvier 2017 | CMS FL
L’absence d’avis du CHSCT peut également valoir avis négatif... 20 juillet 2015 | CMS FL
Le juge judiciaire et la détermination des établissements distincts : un juge ... 27 mai 2021 | Pascaline Neymond
La décision n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024 : le retour d’un nationa... 10 avril 2024 | Pascaline Neymond
Articles récents
- La convention d’assurance chômage est agréée
- Sécurité sociale : quelles perspectives pour 2025 ?
- L’intérêt à agir exclut la possibilité pour un syndicat professionnel de demander la régularisation de situations individuelles de salariés
- Présomption de démission en cas d’abandon de poste : les précisions du Conseil d’Etat sur le contenu de la mise en demeure
- Quel budget pour la sécurité sociale en 2025 ?
- Syntec : quelles actualités ?
- Modification du taux horaire minimum de l’allocation d’activité partielle et de l’APLD
- Congés payés acquis et accident du travail antérieurs à la loi : premier éclairage de la Cour de cassation
- Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable