Partage de la valeur : la loi est entrée en vigueur !
13 décembre 2023
Un accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur conclu par les partenaires sociaux le 10 février 2023 a modifié certains dispositifs existants d’épargne salariale et institué de nouvelles modalités de partage de la valeur avec les salariés, rendant indispensable l’intervention du législateur pour sa mise en œuvre.
Fidèle, pour l’essentiel, aux propositions de l’ANI, la loi n°2023-1107 du 29 novembre 2023, portant transposition de l’ANI relatif au partage de la valeur, a été publiée au Journal officiel du 30 novembre 2023. A l’exception de certaines dispositions, elle est entrée en vigueur le 1er décembre 2023.
Retour sur les principales mesures de la loi.
Obligation de mettre en place un dispositif de partage de la valeur dans les entreprises de 11 à moins de 50 salariés
A compter du 29 novembre 2023 (date de promulgation de la loi), à titre expérimental et pour une durée de 5 ans, les entreprises de 11 à moins de 50 salariés (à l’exception des entreprises individuelles à responsabilité limitée et des sociétés anonymes à participation ouvrière) ayant réalisé pendant trois exercices consécutifs un bénéfice net fiscal au moins égal à 1% du chiffre d’affaires, doivent mettre en place, à partir de l’exercice suivant, un dispositif de partage de la valeur selon l’une des modalités suivantes :
-
- un dispositif de participation ou d’intéressement ;
-
- un abondement à un plan d’épargne salarial ;
-
- le versement d’une prime de partage de la valeur.
Sont réputées satisfaire à cette obligation, les entreprises qui sont déjà couvertes par l’un de ces dispositifs pour l’exercice concerné.
Cette obligation s’appliquera pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2025. Les trois exercices précédents seront pris en compte pour l’appréciation de la condition relative au bénéfice net fiscal.
Un dispositif identique est mis en place dans les entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire qui ont dégagé au cours des trois exercices précédents un résultat excédentaire au moins égal à 1% de leurs recettes lorsqu’un accord de branche étendu le permet.
Obligation de négocier sur les modalités de prise en compte des résultats exceptionnels
Les entreprises devront négocier sur les modalités de partage de la valeur découlant d’une augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal.
Champ d’application de l’obligation de négocier
Sont concernées par l’obligation de négocier les entreprises d’au moins 50 salariés (ou qui appartiennent à une UES d’au moins 50 salariés) lorsqu’elles sont dotées de délégués syndicaux, à moins qu’elles ne soient déjà dotées d’un régime de participation comportant une formule dérogatoire plus favorable que la loi.
Cette négociation doit se tenir lors de la négociation obligatoire portant sur la mise en place d’un dispositif de participation ou d’intéressement pour les entreprises qui en sont dépourvues, et avant le 30 juin 2024 pour les entreprises qui sont déjà couvertes par un accord de participation ou d’intéressement.
Définition de l’augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal
La négociation porte sur la définition de l’augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal. Cette définition prend en compte des critères tels que :
⇒ la taille de l’entreprise ;
⇒ le secteur d’activité ;
⇒ la survenance d’une ou plusieurs opérations de rachat d’actions de l’entreprise suivie de leur annulation dès lors que ces opération n’ont pas été précédées d’attribution gratuite d’actions aux salariés ;
⇒ les bénéfices réalisés lors des années précédentes ou les évènements exceptionnels externes à l’entreprise intervenus avant la réalisation du bénéfice.
Cette liste n’est pas limitative.
Détermination des modalités de partage de la valeur
La négociation porte également sur les modalités de partage de la valeur déclenchée par des résultats exceptionnels qui peut prendre la forme :
⇒ du versement d’un supplément de participation ou d’intéressement si l’entreprise est dotée d’un accord d’intéressement, dans les conditions de droit commun ;
⇒ de l’ouverture d’une négociation pour mettre en place un supplément de participation ou d’intéressement lorsqu’un versement a eu lieu en application de l’accord initial ;
⇒ de l’ouverture d’une négociation visant à mettre en place un dispositif d’intéressement lorsqu’il n’existe pas dans l’entreprise, un abondement à un plan d’épargne salariale (PEE, PEI, Perco d’entreprise ou interentreprises, Pereco) ou le versement d’une prime de partage de la valeur (PPV).
Aménagements relatifs à la prime de partage de la valeur (PPV)
Nombre de versements
En application de la loi du 16 août 2022, l’employeur pouvait procéder au versement d’une seule PPV par année civile. Celle-ci pouvait faire l’objet de plusieurs versements dans la limite d’un par trimestre.
Les critères de modulation de la prime (rémunération, classification, ancienneté, durée de présence effective pendant l’année écoulée ou durée du travail prévue au contrat de travail) éventuellement définis dans l’acte instituant la PPV – accord collectif ou engagement unilatéral – s’appliquaient à l’identique pour chaque versement.
Désormais, il sera possible d’attribuer aux salariés deux primes par année civile et d’appliquer des critères d’attribution et de modulation différents pour chacune de ces deux primes.
Plafonds et conditions d’exonération de la PPV
Le plafond d’exonération de cotisations sociales de la prime demeure inchangé quel que soit le nombre de prime(s) attribuée(s), il reste fixé à 3000 euros par an et à 6000 euros si l’entreprise est couverte :
⇒ par un accord de participation ou d’intéressement si l’effectif est inférieur à 50 salariés ;
⇒ par un accord d’intéressement si l’effectif est au moins égal à 50 salariés.
Initialement applicable jusqu’au 31 décembre 2023, le régime social et fiscal applicable à la PPV pour les salariés ayant perçu une rémunération inférieure à 3 fois le SMIC annuel au cours des 12 mois précédant le versement de la prime (exonération de cotisations sociales ; de CSG-CRDS, de taxe sur les salaires, d’impôt sur le revenu et de forfait social), est prolongé à compter du 1er janvier 2024 jusqu’au 31 décembre 2026, dans les mêmes conditions, mais uniquement pour les entreprises de moins de 50 salariés.
Le régime social et fiscal applicable à la PPV versée à des salariés dont la rémunération excède la valeur de 3 fois le SMIC annuel est inchangé :
-
- exonération de l’ensemble des cotisations sociales uniquement ;
-
- assujettissement à la CSG-CRDS ;
-
- assujettissement au forfait social (pour les entreprises d’au moins 250 salariés) ;
-
- et à l’impôt sur le revenu.
Ce même régime s’applique désormais à la PPV versée par les entreprises d’au moins 50 salariés même si les salariés bénéficiaires perçoivent une rémunération inférieure à 3 fois la valeur annuelle du SMIC.
Placement de la PPV sur un plan d’épargne
Si la PPV pouvait déjà faire l’objet d’un placement sur un plan d’épargne salariale (PEE) ou sur un plan d’épargne retraite (PER), ce placement ne bénéficiait d’aucune exonération d’impôt sur le revenu.
Il est désormais prévu que les sommes perçues par le salarié au titre de la PPV et qu’il affecte en tout ou partie sur un PEE ou un PER dans un délai fixé par décret, sont exonérées d’impôt sur le revenu. L’employeur doit informer les salariés bénéficiaires d’un plan d’épargne, des sommes qui leur sont attribuées au titre de la PPV et du délai dans lequel ils peuvent formuler leur demande d’affectation au plan d’épargne.
Possibilité de mettre en place un régime de participation moins favorable dans les petites entreprises
Pour rappel, les entreprises qui mettent en place un dispositif de participation ne peuvent prévoir une formule dérogatoire à la formule légale que si celle-ci garantit aux salariés des droits équivalents à ceux qui résultent de la formule légale.
A compter du 1er décembre 2023, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, les entreprises pour lesquelles la participation n’est pas obligatoire (c’est-à-dire les entreprises de moins de 50 salariés et n’appartenant pas à une UES d’au moins 50 salariés), peuvent mettre en place un régime de participation selon une formule de calcul conduisant à un résultat moins favorable aux salariés que la formule légale, soit :
⇒ par adhésion à un accord de branche agréé ;
⇒ par la conclusion d’un accord de participation dans les conditions du droit commun (accord collectif, accord conclu avec les organisations syndicales représentatives, accord conclu au sein du CSE ou à la suite de la ratification par les salariés à la majorité des deux tiers).
En vue de mettre en place un tel régime de participation, les branches professionnelles doivent ouvrir une négociation avant le 30 juin 2024. A défaut, la négociation devra s’engager dans les 15 jours suivant la demande d’une organisation syndicale représentative dans la branche.
Les entreprises qui sont déjà couvertes par un accord de participation au 1er décembre 2023 (date d’entrée en vigueur de la loi) ne peuvent mettre en place ce régime dérogatoire qu’en concluant un accord dans les conditions du droit commun.
Mise en place facultative d’un plan de partage de la valorisation de l’entreprise (PPVE)
Ce dispositif dont la mise en place est facultative permet aux salariés de bénéficier d’une prime de partage de la valorisation de l’entreprise d’un montant plafonné lorsque la valeur de l’entreprise a augmenté au cours de trois années.
Sont concernées les entreprises et les groupes d’entreprises au sens de l’article L. 3344-1 du Code du travail (entreprises juridiquement indépendantes mais ayant établi entre elles des liens financiers et économiques), les EPIC et les EPA employant des salariés dans les conditions du droit privé.
Modalités de mise en place
Le PPVE est établi, sur rapport spécial du Commissaire aux comptes de l’entreprise ou, s’il n’en a pas été désigné, d’un commissaire aux comptes spécialement désigné à cet effet.
Il est institué par un accord qui peut prendre la forme d’un :
-
- accord collectif de travail ;
-
- accord conclu avec le CSE, ou un accord proposé par l’employeur et ratifié par les salariés à la majorité des deux tiers.
Bénéficiaires du plan
Le plan bénéficie à tous les salariés de l’entreprise ayant une ancienneté d’au moins un an à la date de point de départ de la période de 3 ans définie par l’accord instituant le PPVE, en prenant en compte tous les contrats de travail exécutés par le salarié dans l’entreprise ou le groupe au cours des 12 mois précédents.
L’accord peut retenir une condition d’ancienneté inférieure.
Ne bénéficiera pas de la prime, le salarié qui atteint l’ancienneté requise au cours de la durée de 3 ans ou qui quitte l’entreprise pendant cette période.
Contenu et durée de l’accord
L’accord est conclu pour une durée de trois ans. Il doit notamment préciser :
⇒ le montant de référence auquel sera appliqué le taux de variation de la valeur de l’entreprise et les éventuelles conditions de modulation de ce montant : le montant peut différer selon les salariés en fonction de la rémunération, du niveau de classification ou de la durée de travail prévue au contrat de travail ;
⇒ la formule de valorisation retenue pour les entreprises dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé ;
⇒ la date de début du plan, qui constitue le point de départ de la durée de 3 ans ;
⇒ la date de fin du plan (3 ans à partir du lendemain de la date retenue pour le point de départ), permettant de calculer le taux de variation de la valeur ;
⇒ la ou les dates de versement de la prime.
Un décret fixera les conditions dans lesquelles l’accord doit être déposé auprès de l’administration. Ce dépôt conditionnera le droit aux exonérations fiscales et sociales. Sauf observation de l’URSSAF, les exonérations sociales seront réputées acquises.
Détermination de la valeur de l’entreprise
Le taux de variation de la valeur de l’entreprise correspond à l’évolution constatée de cette valeur entre les dates de début et de fin du plan fixées par l’accord
Pour les entreprises cotées en bourse, la valeur de l’entreprise correspond à sa capitalisation boursière moyenne sur les 30 derniers jours de bourse précédant la date de début et la date de fin de la période de trois ans.
Pour les entreprises non cotées, la formule de valorisation de l’entreprise retenue par l’accord doit être identique au début et en fin de période. Elle doit permettre d’évaluer la valeur de l’entreprise en tenant compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la situation nette comptable, de la rentabilité et des perspectives d’activité.
Ces critères sont appréciés, le cas échéant, sur une base consolidée ou, à défaut, en tenant compte des éléments financiers issus des filiales significatives. Cette formule peut s’appuyer sur des comparaisons avec d’autres entreprises du même secteur.
Si l’accord ne contient pas de formule de valorisation de l’entreprise ou si cette formule se révèle impossible à appliquer, la valorisation de l’entreprise retenue est égale au montant de l’actif net réévalué, calculé d’après le bilan le plus récent.
Versement de la prime et régime social et fiscal
Le montant de la prime s’obtient en appliquant le taux de valorisation (s’il est positif) de l’entreprise à l’issue des trois ans au montant de référence défini par l’accord. Le montant de la prime ne peut dépasser 75% du PASS par exercice et par salarié.
Les sommes dues au salarié en application du plan sont arrêtées dans un délai de 7 mois à compter de l’expiration du délai de 3 ans. Le versement peut être réalisé en une ou plusieurs fois au cours des 12 mois suivants, aux dates fixées par l’accord. Ces sommes ne doivent se substituer à aucun élément de rémunération.
Les primes versées entre 2026 et 2028 sont exonérées de toutes les cotisations sociales salariales et patronales ainsi que de la participation-construction et des contributions au titre de la formation professionnelle et de l’alternance mais sont soumises à la CSG-CRDS et à une contribution patronale au profit de la CNAV aux taux de 20%.
Les primes versées au salarié sont assujetties à l’impôt sur le revenu à moins qu’elles ne soient affectées, dans un délai fixé par décret, à un plan d’épargne salarial ou un plan d’épargne retraite. Dans ce dernier cas, elles sont exonérées d’impôt dans la limite de 5% de la somme maximale fixée à 75% du PASS.
Dispositions diverses
En matière d’intéressement, la loi autorise l’accord d’intéressement à fixer un salaire plancher, un salaire plafond ou les deux servant de base à la répartition individuelle de l’intéressement lorsqu’il est proportionnel au salaire.
En matière de participation, la loi abroge l’article L. 3322-3 du Code du travail qui permettait aux entreprises qui atteignaient le seuil de 50 salariés de reporter la mise en place de la participation à l’issue d’une période de trois ans suivant le franchissement de seuil lorsqu’elles étaient couvertes par un accord d’intéressement. La loi précise les modalités et les conséquences d’une rectification, par l’administration, de la déclaration des résultats d’un exercice.
Il sera désormais possible de prévoir le versement d’avances sur les sommes dues au titre de la participation et de l’intéressement.
Enfin la loi :
⇒ augmente les plafonds individuels et globaux d’attribution d’actions gratuites ;
⇒ impose au règlement du plan d’épargne salarial ou de retraite de proposer l’affectation des sommes à un fonds écologique ou socialement responsable et facilite la révision de plans épargne interentreprise ;
⇒ autorise la branche du travail temporaire à adapter la condition d’ancienneté requise (dans la limite de 90 jours) en matière de participation ou d’intéressement par accord de branche étendu.
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