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Participation : la Cour de cassation entérine l’impossibilité de remettre en cause le bénéfice fiscal

Participation : la Cour de cassation entérine l’impossibilité de remettre en cause le bénéfice fiscal

La participation des salariés aux résultats de l’entreprise permet à ces derniers de prendre part aux bénéfices de l’entreprise. Après une importante décision du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation confirme qu’une fois attesté par le commissaire aux comptes ou l’inspecteur des impôts, le bénéfice pris en compte pour calculer le montant de la participation ne peut être remis en cause.

 

La participation est calculée en fonction du bénéfice fiscal réalisé par l’entreprise

 

Voulue par le général de Gaulle, la participation est un mécanisme de partage de la valeur qui a pour objectif de redistribuer aux salariés une partie des bénéfices dégagés par l’entreprise. Elle est obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés.

 

La participation est par nature collective : est ainsi constituée une réserve spéciale au sein de laquelle est affectée une partie des bénéfices réalisés par l’entreprise, cette réserve étant ensuite redistribuée entre les salariés en fonction de certains critères.

 

Le bénéfice réalisé provenant tant du travail des salariés que des rendements du capital, la fraction de bénéfice affectée à la réserve spéciale est calculée en fonction de la part du travail dans la valeur ajoutée réalisée par l’entreprise.

 

L’article L.3324-1 du Code du travail établit ainsi la formule de calcul de la réserve spéciale de participation (RSP) de la façon suivante :

 

RSP = 1/2 (bénéfice – 5 % capitaux propres) x salaires / valeur ajoutée

 

La notion de bénéfice telle qu’utilisée pour ce calcul est donc centrale. Selon le même texte le bénéfice en cause est celui «tel qu’il est retenu pour être imposé à l’impôt sur le revenu ou aux taux de l’impôt sur les sociétés».

 

Autrement dit, il s’agit du bénéfice fiscal. Ce choix est justifié car le bénéfice fiscal est une donnée objective, intangible et aisément accessible.

 

La loi exclut ainsi que le bénéfice servant au calcul des droits à participation diffère de celui qui est utilisé pour le calcul de l’impôt.

 

Afin d’empêcher une telle différenciation, l’article L.3326-1 du Code du travail prévoit l’impossibilité d’une remise en cause du montant du bénéfice net à l’occasion d’un contentieux portant sur la participation. Il dispose ainsi :

 

«Le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l’entreprise sont établis par une attestation de l’inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes. Ils ne peuvent être remis en cause à l’occasion des litiges nés de l’application du présent titre. »

 

Ce texte pose ainsi deux principes : premièrement, le montant du bénéfice en cause doit faire l’objet d’une attestation d’un inspecteur des impôts, ou du commissaire aux comptes de l’entreprise.

 

Cette attestation a un but purement recognitif : elle ne fait ainsi qu’attester que le montant du bénéfice tel qu’il est pris en compte pour le calcul de la RSP est bien celui qui a été retenu pour le calcul de l’impôt sur les bénéfices de l’entreprise.

 

Deuxièmement, l’article L.3326-1 interdit de remettre en cause le montant de ce bénéfice net qui figure sur l’attestation du commissaire aux comptes lors d’un litige portant sur le calcul de la participation.

 

Par ce mécanisme, la loi garantit que la concordance entre le bénéfice fiscal et le bénéfice utilisé pour calculer la RSP sera bien assurée, y compris en cas de contentieux.

 

Ce bénéfice ne peut ainsi être remis en cause que par l’administration fiscale à l’occasion d’un contrôle de l’entreprise, sous le contrôle du juge de l’impôt.

 

Cette concordance est d’ailleurs maintenue lorsque le montant du bénéfice fiscal est réévalué par l’administration fiscale. En effet, l’article D.3325-4 du Code du travail prévoit que lorsque l’administration fiscale modifie le montant du bénéfice net, une nouvelle attestation du commissaire aux comptes est établie fixant le nouveau montant de bénéfice devant être utilisé au calcul de la RSP.

 

Cette modification du bénéfice entraîne donc logiquement un nouveau calcul de la RSP, ce qu’a confirmé de longue date la Cour de cassation (Cass. soc. 10 mars 1998, n° 96-16.473, Bull. civ. V n° 125).

 

Plus récemment, la loi du 29 novembre 2023 relative au partage de la valeur a consacré ce recalcul au plan législatif.

 

Le mécanisme posé par la loi est donc clair :

 

la RSP est calculée sur le bénéfice fiscal ;

 

ce bénéfice fait l’objet d’une attestation du commissaire aux comptes qui en garantit la concordance avec le bénéfice effectivement déclaré à l’administration fiscale ;

 

seule l’administration fiscale peut remettre en cause ce bénéfice à l’occasion d’un contrôle, ce qui donne lieu à un nouveau calcul de la RSP au profit des salariés ;

en revanche, il est interdit pour les salariés ou leurs représentants de remettre en cause d’eux-mêmes ce bénéfice.

 

Ce mécanisme assure la sécurité juridique, pour les salariés, comme pour les entreprises, la sincérité du bénéfice étant assurée par l’administration fiscale, sous le contrôle du juge de l’impôt. Il évite aussi une dérive qui serait incompréhensible entre le bénéfice servant au calcul de la participation et celui utilisé pour l’assiette de l’impôt.

 

La tentation de remise en cause de ce mécanisme par des salariés ou leurs représentants

 

Des salariés, des comités sociaux et économiques (CSE) ou des organisations syndicales ont tenté de remettre en cause l’application de ce régime par la voie d’actions judiciaires.

 

Néanmoins, la Cour de cassation a confirmé à de nombreuses reprises que de telles actions étaient irrecevables dès lors que le bénéfice faisait bien l’objet d’une attestation du commissaire aux comptes (par exemple : Cass. soc., 8 décembre 2010, n° 09-65.810, Bull. civ. V, n° 288).

 

Des requérants ont donc tenté de remettre en cause ce principe lorsque le bénéfice net avait été, selon eux, diminué en raison d’une fraude ou d’un abus de droit.

 

La Cour de cassation a néanmoins également rejeté cette tentative par sa jurisprudence Wolters Kluwer (Cass. soc., 28 février 2018, n°16-50.015) par laquelle elle juge que :

 

«Le montant du bénéfice net devant être retenu pour le calcul de la réserve de participation qui avait été certifié par une attestation du commissaire aux comptes de la société dont les syndicats ne contestaient pas la sincérité ne pouvait être remis en cause dans un litige relatif à la participation, quand bien même l’action des syndicats était fondée sur la fraude ou l’abus de droit invoqués à l’encontre des actes de gestion de la société.»

 

Le sujet semblait donc définitivement clos : il est impossible pour les salariés ou leurs représentants de remettre en cause le bénéfice fiscal servant de base de calcul de la RSP dès lors que celui-ci est bien attesté par un CAC, quels que soient les moyens invoqués.

 

Dans le cadre d’un litige récent, des syndicats et un comité social et économique en ont donc appelé au Conseil constitutionnel par la voie d’une une QPC.

 

Ils soutenaient qu’en empêchant les salariés ou leurs représentants de remettre en cause le bénéfice fiscal à l’occasion d’un litige portant sur la participation, et ce même en cas de fraude ou d’abus de droit, l’article L.3326-1 du Code du travail portait une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

 

Par une décision particulièrement claire du 24 janvier 2024, le Conseil constitutionnel a toutefois rejeté cette QPC et confirmé que le mécanisme institué par l’article L.3326-1 était conforme à la Constitution.

 

Il a ainsi considéré que cet article qui «[évite] que les montants déclarés par l’entreprise et vérifiés par l’administration fiscale, sous le contrôle du juge de l’impôt, puissent être remis en cause, devant le juge de la participation, par des tiers à la procédure d’établissement de l’impôt», poursuit un objectif d’intérêt général.

 

Le Conseil constitutionnel a rappelé également que l’administration fiscale pouvait rectifier ce bénéfice fiscal, notamment en cas de fraude ou d’abus de droit, ce qui conduisait à une nouvelle attestation du CAC et à un recalcul en conséquence de la RSP.

 

Aucune atteinte disproportionnée au droit au juge ne pouvait donc être retenue.

 

Fin de partie pour de telles tentatives de remise en cause

 

A la suite de cette décision du Conseil constitutionnel, l’affaire revenait donc devant la Cour de cassation.

 

Dans un arrêt rendu le 12 juin 2024 (n°23-14.147), et sans surprise, la Cour de cassation a suivi le Conseil constitutionnel dans son analyse.

 

La Cour de cassation reprend ainsi très clairement la motivation du Conseil constitutionnel afin de confirmer que l’impossibilité de contester le bénéfice fiscal à l’occasion d’un litige portant sur la participation, même en cas de fraude ou d’abus de droit, relève de la défense de l’intérêt général et ne porte pas d’atteinte disproportionnée à un recours juridictionnel effectif dès lors que l’administration fiscale pouvait elle-même rectifier ce bénéfice.

 

Reprenant également sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation confirme donc que, dès lors que la sincérité de l’attestation du CAC portant sur le montant du bénéfice fiscal n’est pas contestée, ce montant ne peut pas être remis en cause.

 

La Cour de cassation ajoute, et c’est là une nouveauté, que le défaut de sincérité de l’attestation du CAC ne peut résulter que d’une différence entre le montant du bénéfice fiscal figurant sur l’attestation et de celui déclaré par l’entreprise à l’administration fiscale pour le calcul de l’impôt.

 

Elle en déduit donc que tant que cette insincérité n’est pas établie, l’action des syndicats et du CSE tendant à la remise en cause du bénéfice fiscal servant au calcul de la participation n’est pas recevable.

 

Cela signe donc probablement la fin des tentatives de remise en cause du mécanisme institué par la loi. Et l’unicité du bénéfice, pour la participation et pour l’imposition, est ainsi heureusement confirmée.

 

AUTEURS

 

Vincent Delage, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats

Bruno Gibert, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats

Martin Perrinel, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

Cet article a été publié le 15 juillet 2024 dans Option Finance