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De l’encadrement des modalités de passation et d’exécution des contrats passés par les sociétés concessionnaires d’autoroutes

De l’encadrement des modalités de passation et d’exécution des contrats passés par les sociétés concessionnaires d’autoroutes

Le décret n°2017-1816 du 28 décembre 2017 relatif à la régulation des marchés et contrats dans le secteur des autoroutes met en œuvre les ajustements, apportés par la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin II », aux règles encadrant la passation des marchés des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA).

Ces textes s’inscrivent dans une réforme plus globale de la régulation du secteur, qui avait été mise en place par la loi n°2015-990, dite « loi Macron », du 6 août 2015 et ses décrets d’application, dont les dispositions sont désormais codifiées aux articles L.122-4 et suivants et – entre autres – aux R.122-27 et suivants du Code de la voirie routière.

La régulation du secteur autoroutier, organisée par l’article 13 de la loi Macron, repose :

  • d’une part, sur l’attribution, à une autorité de régulation indépendante (l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières), de la mission de supervision du secteur à travers un dispositif -certes allégé par rapport aux pouvoirs des autorités de régulation existant dans d’autres secteurs- de régulation des tarifs des péages et de contrôle des comptes des SCA ; et
  • d’autre part, sur un encadrement des conditions de passation et du contenu des marchés, notamment de travaux, passés par les SCA ainsi que des contrats qu’elles concluent avec des tiers pour la construction, l’exploitation ou l’entretien des installations commerciales annexes existant sur le réseau autoroutier concédé.

La mise en œuvre de cette régulation renforcée des SCA constituait un engagement pris par l’Etat français vis-à-vis de la Commission européenne dans le cadre de l’autorisation que cette dernière avait donnée en octobre 2014 concernant le « Plan de relance autoroutier » (décision de la Commission européenne du 28 octobre 2014).

Pour mémoire, à l’instar de ce qui avait déjà été autorisé en 2009, ce nouveau plan de relance consistait en un allongement de la durée des concessions historiques existantes, en dehors de toute mise en concurrence, en contrepartie de l’exécution par les SCA de travaux supplémentaires. Il avait requis l’autorisation de la Commission européenne au titre de son contrôle des aides d’Etat. A cette occasion, avait été examinée par la Commission la question de possibles distorsions de concurrence liées aux travaux et contrats subséquents. En effet, ces derniers auraient pu être attribués, à leurs propres filiales, par les SCA de droit privé, qui font généralement partie de groupes verticalement intégrés (cf. notamment C. comptes, Communication à la commission des finances de l’Assemblée nationale, « Les relations entre l’Etat et les sociétés concessionnaires d’autoroute », juillet 2013 ; Autorité de la concurrence, avis n°14-A-13 du 17 septembre 2014 sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires). L’Etat français s’était alors engagé à abaisser le seuil applicable aux procédures de mise en concurrence pour les marchés de travaux des SCA et à renforcer la régulation de celles-ci.

C’est dans ce contexte que la loi Macron avait prévu des obligations de publicité et de mise en concurrence renforcées pour les marchés passés par les SCA privées. Quelques mois plus tard, l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, et son décret d’application, n°2016-86, du 1er février 2016 ont mis fin à l’obligation, pour les concessionnaires de travaux (ce que sont les SCA) qui ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs au sens de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, de recourir, en principe, à une procédure de publicité et de mise en concurrence pour sélectionner leurs sous-contractants, titulaires de marchés de travaux.

Contrairement à d’autres types de concessionnaires, les SCA sont ainsi, d’une part, tenues, quelle que soit la qualification du sous-contrat en cause (marchés de travaux, fournitures et services du réseau autoroutier concédé, contrats portant sur la construction, l’exploitation ou l’entretien des installations annexes à caractère commercial), de sélectionner leurs sous-contractants au terme d’une publicité et d’une mise en concurrence (sauf pour la réalisation des ouvrages et aménagements initiaux, au regard du 2° de l’article L. 122-12 du Code de la voirie routière) prévues par décret.

D’autre part, les seuils de recours aux procédures formalisées qui s’imposent aux SCA privées sont plus bas que ceux prévus généralement pour les marchés publics : ils sont de 500 000 euros hors taxes pour les marchés de travaux et de 240 000 euros hors taxes pour les marchés de fournitures ou services (art. L.122-12, L.122-16, R.122-30 et R.122-31 / III du Code de la voirie routière), alors que le seuil de droit commun applicable aux marchés de travaux, par exemple, est, depuis le 1er janvier 2018, de 5 548 000 euros hors taxes (avis relatif aux seuils de procédure et à la liste des autorités publiques centrales en droit de la commande publique, publié au Journal officiel du 31 décembre 2017, texte n°171).

Après la publication de premiers décrets en 2016 (décrets n°2016-234 du 1er mars 2016 et n°2016-552 du 3 mai 2016), celui du 28 décembre 2017 vient modifier et compléter les règles applicables aux contrats conclus par les SCA. Il a pour objet : d’étendre aux marchés de travaux la faculté des SCA privées de s’exonérer des règles de mise en concurrence lorsque certaines conditions – notamment d’urgence – sont réunies, d’instaurer un seuil de recours à la procédure formalisée inférieur aux règles issues de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics pour les SCA publiques, d’encadrer la durée des marchés et des contrats d’exploitation relatifs aux installations annexes passés par les SCA, d’élargir les pouvoirs de contrôle de la commission des marchés devant être mise en place au sein de chaque SCA, et d’imposer à ces sociétés la publication, sur leur profil d’acheteur, des données essentielles relatives à leurs contrats d’exploitation et à certains marchés.

Les règles de passation des marchés de travaux applicables aux SCA privées

S’agissant des marchés passés par les SCA privées, il existe, comme pour les marchés publics soumis au droit commun, des exceptions aux obligations de publicité et mise en concurrence pour les marchés répondant aux hypothèses visées à l’article 29 (marchés publics de services juridiques de représentation légale par un avocat ou de consultation juridique en vue de la préparation de cette représentation) et aux I et II de l’article 30 (marché négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables) du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics (par exemple, urgence impérieuse, réception exclusivement d’offres irrecevables ou inappropriées lors de la procédure de publicité et de mise en concurrence). Toutefois, les exceptions étaient jusqu’ici limitées aux marchés de fournitures et services (art. R.122-30 du Code de la voirie routière, version initiale prévue par décret du 3 mai 2016 susvisé), la loi Macron ayant expressément exclu les marchés de travaux d’un montant supérieur à 500 000 euros hors taxes du champ d’application de ces dérogations (art. L.122-16, rédaction initiale). Les marchés de travaux susceptibles de bénéficier des exceptions de l’article 30 / I et II du décret n°2016-360 susvisé pouvaient néanmoins être passés selon une procédure adaptée (art. R. 122-31 / III, alinéa 2), permettant aux SCA de choisir librement les modalités de la procédure.

L’article 41 de la loi Sapin II et le décret du 28 décembre 2017 sont venus étendre la dispense de mettre en œuvre une procédure de publicité et mise en concurrence aux marchés de travaux répondant aux caractéristiques énumérées à l’article 30 / I et II du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ; les dispositions relatives à la procédure adaptée sont, en conséquence, supprimées. Les SCA peuvent donc désormais passer sans publicité ni mise en concurrence un marché de travaux qui satisfait, par exemple, aux conditions de l’urgence impérieuse, et ce quel que soit son montant.

Les règles de mise en concurrence applicables aux SCA publiques

Aucun seuil n’était à l’origine prévu spécifiquement pour les SCA comportant des capitaux majoritairement publics, soumises, en tant que pouvoir adjudicateur, aux règles de droit commun. L’article 41 de la loi Sapin II ayant introduit la possibilité de définir un seuil inférieur pour les marchés passés par ces sociétés (art. L.122-13, alinéa 2), le décret du 28 décembre 2017 est venu fixer une obligation pour ces dernières de recourir à une procédure formalisée pour les marchés de travaux -sans prévoir en revanche de seuil inférieur au seuil de droit commun pour les fournitures et services- d’un montant supérieur ou égal à 2 000 000 euros hors taxes (art. R. 122-32-1).

• L’extension des compétences des commissions des marchés des SCA

Afin d’assurer le respect de ces règles spécifiques, la loi Macron et son décret d’application du 1er mars 2016 avaient rendu obligatoire la création d’une commission des marchés par toute SCA privée dont la longueur des ouvrages est supérieure à 200 km (50 km pour les SCA publiques), la commission étant chargée d’établir des règles internes pour la passation et l’exécution des marchés, de veiller au respect des procédures et de rendre des avis préalables à l’attribution des marchés et à la conclusion d’avenants aux marchés représentant un certain montant. Le décret du 28 décembre 2017 vient étendre la compétence de ces commissions, en prévoyant qu’elles doivent encadrer par leurs règles internes les conditions dans lesquelles les SCA pourront limiter le nombre de candidats admis à soumissionner ou à participer au dialogue compétitif dans le cadre de procédures de passation de leurs marchés de travaux (art. R.122-31 et R.122-35).

• L’encadrement de la durée et des conditions de modification des marchés et des contrats relatifs à l’exploitation des installations commerciales annexes

En outre, le décret complète les règles relatives aux contrats passés par les SCA en vue de faire assurer par un tiers l’exploitation des installations annexes à caractère commercial situées sur le réseau autoroutier concédé. Le texte encadre leur durée (art. R.122-40-1), pour permettre une remise en concurrence régulière, ainsi que les conditions de leur modification par les concessionnaires en renvoyant, sous réserve des adaptations énumérées, aux règles d’exécution prévues par le décret n°2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession (art. R.122-41).

La remise en concurrence périodique des marchés est introduite également, par la suppression, à l’article R.122-1 du Code de la voirie routière, de la disposition aux termes de laquelle l’article 16 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics n’était, auparavant, pas applicable aux marchés des SCA privées. Les conditions dans lesquelles ces marchés peuvent être modifiés sont désormais régies par les dispositions des articles 139 et 140 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.

• L’obligation de publier les données essentielles des marchés et contrats d’exploitation d’un certain montant sur le profil d’acheteur

Par ailleurs, le décret rend obligatoire la publication, sur le profil d’acheteur des SCA, des données essentielles de certains de leurs marchés et de l’ensemble de leurs contrats d’exploitation notifiés à compter du 1er janvier 2018, sous réserve des éléments dont la divulgation serait contraire à l’ordre public (art. R.122-32 et R.122-41). Pour les marchés, l’obligation porte sur les marchés de travaux d’un montant supérieur ou égal à 90 000 euros hors taxes, et les marchés de fournitures et services d’une valeur supérieure ou égale à 240 000 euros hors taxes.

* * *

En définitive, les modifications apportées par ce décret relèvent de deux logiques distinctes mais complémentaires. Certaines dispositions nouvelles procèdent à un renforcement des règles, notamment pour les SCA publiques et les conditions de durée et de modification des marchés et des contrats relatifs à l’exploitation des installations commerciales annexes. D’autres vont dans le sens d’un alignement avec le droit commun des marchés publics, avec l’élargissement, à certains marchés de travaux d’un montant supérieur à 500 000 euros, de la faculté pour les SCA privées de les passer dans certains cas – néanmoins limités- sans publicité ni mise en concurrence préalable.

Auteurs

Kawthar Ben Khelil, avocat, droit public, Infrastructure & projets

Lola Nihotte, juriste, droit européen et concurrence